Bärlin au Chaland qui Passe à Binic, le 8 mars 2024

Publié le 09 mars 2024 par Concerts-Review

Bärlin au Chaland qui Passe à Binic, le 8 mars 2024

michel

Berlin, 'Take my breath away'?

Non.

Barlin dans le Pas-de-Calais?

Non.

'Berlin', Lou Reed?

Non et oublie " Ich bin ein Berliner " , ensuite tu ouvres les yeux, tu vois les deux petits points, le umlaut: Bärlin.

Le groupe ( atypique) de Lille sévit sur les scènes de l'Hexagone depuis 2006/2007, dans sa besace: 4 LP's, le dernier 'State of Fear' est sorti en mars 2023.

En ce mois de mars ( frileux) de 2024, le trio a repris le chemin des salles de concert du pays des joueurs d'accordéon ( merci, Stone), avec un crochet chez Tchantchès pour participer à l'Insert Name Festival.

Arnaud, le boss du Chaland, te glisse, le concert débutera avec un léger retard, il doit nourrir les brebis, pas forcément égarées.

C'est donc vers 21:20' que Laurent Macaigne ( basse et secondes voix) et Simon Thomy ( drums, backings) prennent place ( avec pas mal de difficultés pour Simon, qui doit se caler sous l'escalier) dans le coin exigu réservé aux musiciens.

Manque à l'appel, Clément Barbier ( chant, clarinette, mégaphone), un plaisantin suggère qu'il a pris un ticket pour Séville.

Encore 5 minutes de patience avant de voir l'équipage au complet.

Derniers réglages et mise sur orbite!

Tu jettes une oeil sur le feuillet qui repose aux pieds de Laurent, des initiales 'W.D.S. 'que tu ne parviens pas à déchiffrer, même en analysant tous les titres repris sur les quatre plaques.

Clément, qui paraissait calme avant l'entame du set, se métamorphose rapidement en prêcheur possédé et inquiétant, style Robert Mitchum dans 'The night of the hunter'.

Pour bien te le faire pénétrer dans tes cellules il répète une dizaine de fois une litanie qui ressemblait à ..let them call... on précise, qui ressemblait, car son chant habité est souvent indéchiffrable.

A l'arrière, Laurent manie sa basse comme s'il manipulait une guitare, on en a discuté avec Arnaud, jamais on n'avait entendu un son de basse pareil.

Evidemment, à ses pieds tu peux voir une panoplie imposante d'effect pedals et de processors qui lui permettent de trafiquer le son à l'envi, n'empêche la surprise est de taille.

Simon, lui, combine jeu jazzy subtil et attaques déterminées.

Après le sermon de Clément, Laurent, d'une voix comparable à celle de Jeff Buckley, et Simon d'un timbre neutre, accompagnent le lament, entamé par leur collègue. Le rythme,lancinant, déjà, nous emporte loin, vers des terres inviolées et c'est là que la clarinette entre en action , pas à la manière 'Petite Fleur' de Sydney Bechet, mais plutôt dans un style avant-garde à la Steven Brown, qui n'a jamais hésité à inclure des influences moyen-orientales dans son approche.

Le public, quelque peu interloqué, applaudit résolument, il vient d'entrer dans l'univers particulier de Bärlin et accepte le défi.

Première apparition du mégaphone et gestuelle de possédé du clarinettiste sur le second titre de la soirée, qui comme le premier demeure un mystère ( Pilam P) , le chant déconcertant, grinçant ou exalté, et le fond sonore tantôt glacé, tantôt névrosé, te clouent sur place.

Faut rester camouflé, des personnages maléfiques rôdent dans le coin.

Une longue intro cinématographique, aussi dramatique que crissante, amorce 'Sailor song', chanté à trois voix.

Laurent a déniché une tige métallique, il s'applique à la frotter sur les cordes de sa basse, effet biscornu garanti.

Ne va pas croire que cette Sailor Song est à classer dans le catalogue "sea shanties" , on est plus proche de Nick Cave ou de Tom Waits que du fameux ' Drunken Sailor'.

'Haus im S.' fort bien, elle se trouve où cette bicoque, ce n'est pas l'allemand moyenâgeux du chanteur qui va nous aider à la dénicher.

Un coup d'ebow sur la basse pour accompagner le chant lancinant et créer une ambiance cabaret à la Kurt Weill.

La musique de Bärlin contient un pouvoir suggestif époustouflant.

Un coup de sifflet, ' Emerald Sky' est sur les rails.

Chant incantatoire, morne et désespéré, et tension intense, la bande-son idéale pour fans de films noirs.

Un client exubérant, ne carburant pas au sirop de grenadine, intervient bruyamment pour encourager les musiciens, Juliette pouffe de rire, il en faut plus pour décontenancer Bärlin qui attaque la suivante.

Lille est proche de la Flandre, faut-il y voir une inspiration linguistique, car le papier dit ' De slangen'.

Vipères ou couleuvres, on rappelle que l'orvet est un lézard, mais ici pas de lézards, c'est parti pour un rondo infernal, à la croisée du post rock, d'un jazz fusion ou d'un blues hanté à la Morphine ou Wovenhand, d'ailleurs l'esprit de Clément semble aussi torturé que celui de David Eugene Edwards.

Les sonorités indus de 'Revenge' évoquent Blixa Bargeld, le chant part en growl et un rire sardonique vient décorer la marche funèbre.

'This way to the tomb' disait Benjamin Britten. Quand au loin retentit le hurlement du loup solitaire, le chanteur est incité à se livrer à des contorsions simiesques.

Un bref instant de calme succède aux exercices acrobatiques, puis vient le véhément 'Cave' , toujours interprété dans l'urgence.

Le looper balance une piste groovy, ' State of Fear' est lancé, un titre perturbant, plus vociféré que chanté.

Une nouvelle fois tu te dis que ce groupe est impossible à cataloguer, des éléments free jazz à la Ornette Coleman, côtoient des pointes post punk ou d'avant-garde à la Univers Zéro.

Après une séquence de remerciements, le trio attaque un dernier morceau 'Siamese souls' , qui s'il part au ralenti va très vite changer de cap, virant hardcore industriel.

Les yeux exorbités, Clément continue son numéro d'exalté impétueux, sa clarinette démente ( pas clémente) se déchaîne, Simon n'est pas en reste, il rosse tous les éléments de son kit avec une fureur non contenue, le seul à garder un calme relatif est Laurent qui, imperturbable, te concocte des riffs scientifiques.

Soudain tout s'arrête, le public éberlué et comme écrasé, est trop déconcerté pour réagir, il a fallu que le patron du Chaland intervienne et pousse les musiciens à procéder aux rappels.

Ils débutent par ' Opium 41' une mélodie explosant en noise brutal , à laquelle succède un second bis tout aussi persuasif et entêtant.

Cette fois, l'assemblée a compris qu'il fallait réagir, en insistant, elle a réussi à faire revenir le trio en piste pour une dernière salve , 'Sleepwalker' , pour tous les zombies se promenant dans les cimetières aux petites heures de la nuit.

Fin d'un concert, tonique, très éloigné des sentiers battus.

Le 9 mars à Cherbourg!