Une femme entre dans le champ, d'Emmanuelle Tornero

Publié le 16 février 2024 par Francisrichard @francisrichard

Une femme entre dans le champ est un roman qui sort de l'ordinaire, à tous points de vue. Par exemple, les chapitres ne sont pas dans l'ordre chronologique et sont quasiment tous datés d'un J suivi d'un plus ou d'un moins.

À la fin du livre, il y a une table qui les récapitule dans l'ordre d'apparition, avec une phrase qui les résume, et une chaise (sic) qui donne la correspondance entre ces dates et les jours et mois du calendrier, remis dans l'ordre chronologique.

Emmanuelle Tornero appelle la protagoniste L et dévoile au lecteur ses pensées les plus intimes, parfois très sombres, comme si elle avait accès à son cerveau et à son esprit qui est rien moins qu'équilibré, comme le montre cet exemple, à J-50:

On ne tue pas son enfant, c'est interdit, tuer, pas même un corps sorti de son propre corps, non, on ne peut pas, mais on peut l'imaginer, est-ce interdit aussi?

Alors, si cela n'est pas formellement interdit et que cela ne tire pas à conséquence, sinon pour son propre esprit, L imagine qu'elle écrase le petit corps de son enfant:

Elle sent sous son pied les petites côtes une à une céder, ployer d'abord puis se rompre en craquant, petits petits craquements sourds étouffés par la peau, par le pied. La pression écraserait les organes, qui chercheraient à sortir du torse, à trouver une issue absurde...

Au bout du compte, que saura le lecteur sur cette femme? Que, pour se rendre à son travail, depuis son appartement de banlieue avec balcon, elle prenait le RER puis deux métros et que tout a changé quand elle a attendu, puis eu son enfant.

Le lecteur continuera à se poser de sérieuses questions sur son état mental, quand l'auteure lui révélera, à J-43, qu'autour de L, pousse un figuier, un figuier qui ne donne pas de fruits, un figuier étrangleur ou banian, ou mutan, ou d'autres noms encore:

Depuis sa tête, le figuier a poussé  et jour après jour il chemine vers le sol, patiemment s'enroule autour du corps de L, femme-tuteur. Il la prend pour appui.

Le lecteur demeurera perplexe quand l'auteure lui apprendra qu'au matin de J-30, L constate que presque toutes les lettres de son nom ont disparu: Est-ce à cause du figuier? Est-ce lui qui les a éteintes une à une? Les lettres ont-elles été dérobées? Par qui? Par l'enfant?

Le monde de l'auteure est peut-être onirique, mais il est surtout cauchemardesque. Mais, peut-être, est-ce l'effet recherché? Il s'agirait d'ébranler le monde réel, lui proposer une alternative où tout serait déstructuré, tout serait dénaturé, notamment les rapports d'une mère avec son enfant.

Francis Richard

Une femme entre dans le champ, Emmanuelle Tornero, 170 pages, Zoé