Je connais Gabriel depuis très longtemps. J’ai fait sa connaissance à travers le regard de sa mère, Valérie Donzelli dont je me souviens de presque chaque scène de La guerre est déclarée. Difficile d’être plus enthousiaste que je en l’ai été, et pourtant le sujet est grave. Je saluais sa capacité à faire d’un drame un évènement porteur de vitalité. J’avais inventé un néologisme pour qualifier la fin de son film que je voyais comme une hoppy end.
Le fils a hérité cette compétence. Son seul-en-scène nous donne la pêche. Certains humoristes nous font rire en racontant leurs malheurs mais on se culpabilise de s’en amuser et on les voit comme des clowns tristes. Gabriel a le génie de nous faire rire en partageant le plaisir qu’il a de vivre, et tant pis s’il a fallu traverser des orages.
C’est bientôt fini est un titre trompeur, comme l’est cette pseudo promesse des adultes envers les enfants quand ils disent que ça ne fera pas mal. Rien n’est jamais fini.
Gabriel déboule en trombe sur la petite scène intime de la Piccola Scala près avoir dévalé l'escalier. Essoufflé, il nous prévient : Bonjour, j’m’appelle Gabriel, j’vais vous raconter ma vie, y’a eu des hauts et des bas mais ne vous inquiétez pas, c’est bientôt fini.Les hauts, je ne les connais pas. Je sais juste que ses parents ont déclaré une guerre il y a plus de vingt ans.Enola Gay enflamme le public. Gabriel danse comme un fou. On a tous cette musique dans la tête. L'enthousiasme des spectateurs retombe en apprenant que c'est le morceau que ses parents avaient pris l'habitude d'écouter pour se donner du courage quand ils allaient à l'hôpital.
Nous allons sans cesse passer d'un extrême à un autre, à l'instar de ce qu'il a vécu. Nous sommes tous beaux à la naissance. Gabriel avait une gueule d'ange. Son cancer en guise de cadeau de premier anniversaire a plombé l'ambiance familiale. S'il est "guéri" il a des handicaps invisibles (qu'il nous détaille et qui, effectivement, ne nous avaient pas sauté aux yeux) et on comprend qu'il est légitime à ressentir le symptôme de l'imposteur.
La pétanque de la bite, le strabisme des couilles, il est manifeste que les scénaristes de sa vie n'y sont pas allé de main morte avec leurs claviers quand ils ont imaginé les épisodes de son enfance, et ils n'ont pas fait mieux pendant l'adolescence. Les traitements ont avancé sa puberté à l'page de huit ans. Ce n'est pas banal et on comprend que ce soit terrifiant.
Gabriel a une manière très particulière de s'exprimer, sans filtre. On lit en lui comme dans un livre ouvert, ou plutôt comme dans un album car tout a l'air d'être une BD et il est l'incarnation d'un personnage de BD, vous savez, quand les traits se déforment et qu elle personnage a des super pouvoirs.
Il compare sta première fois tout seul à la découverte du feu par l'homme des cavernes. A douze ans il a la charge mentale d'une mère de famille.
Il raconte les colères de son père, le collège (la vie en moins bien), imagine les séances da mère chez son psy, la maladresse verbale de son père ("On" l'aura ce Bac, qui me fait honte car moi aussi je disais à ma fille "on" les aura les félicitations, après avoir passé plusieurs nuits de suite à relire sa thèse).
On réalise qu'il aura été grand trop tôt et petit trop longtemps. Il découvre la fête des samedis soirs bien après ses potes, s'appropriant la musique d'Enola Gay à sa façon, tout en nous faisant remarquer que c'est tout de même le nom de la bombe qui a été larguée sur Hiroshima.
Ses phrases font mouche, même lorsqu'elles relèvent de la pure invention comme celle-ci : Dans la forêt le grand singe se balance toujours à l'arbre le plus proche.
Il a peur d'être un monstre, ressent les angoisses 2.0, craint d'avoir un cerveau qui tournerait à l'eau de Javel. Et surtout, il ne se débarrasse pas de la peur d'avoir fait du mal en ayant souffert, une culpabilité originale que tout proche de personne malade devrait prendre en considération. Quant à son concept de l'anniversaire centré sur soi je vous le laisse découvrir …
Il sait que ce ne sera jamais fini. Qu'il a des choses à dire à sa mère, à son père, à sa soeur, ne serait-ce que pour la rassurer sur la question de la taille de la place. Mais une chose est sûre, il fait qui il est, et nous de mêmes.
Mise en scène Valentine Catzéflis
Avec Gabriel DonzelliDu 8 février au 15 juin 2024 à 19 h 30
La Scala -13 boulevard de Strasbourg - 75010 Paris