« 60 caprices pour esprit désaccordé » de Denis Hamel (poésie)

Par Etcetera

Denis Hamel vient de faire paraître en février 2024, aux éditions Encres Vives (Collection Encres Blanches), le recueil « 60 Caprices pour esprit désaccordé« . Il s’agit de son quatrième recueil publié.

Voici le lien vers la note de Christophe Stolowicki sur le site Sitaudis, consacrée à ce même livre.

Note sur le poète

Né en 1973, Denis Hamel vit et travaille à Paris. Il lit de la poésie depuis 1995, en écrit depuis 1999 et en publie (peu) en revue depuis 2002. Ni avant-gardiste (Charybde) ni anti-moderne (Scylla), il cherche une clairière dans la forêt de l’écriture.

Note de Lecture

Comme son titre l’indique, ce recueil de « caprices pour esprit désaccordé » réunit soixante poèmes en prose relativement courts qui ont une forte musicalité. La rythmique souvent irrégulière, syncopée dirait-on, est marquée par les assonances, les juxtapositions d’images qui s’entrechoquent et créent la surprise. La quasi absence de ponctuation renforce les possibles ambiguïtés de significations et enrichissent celles-ci. Souvent des mots ou des portions de phrases se font écho les uns aux autres comme ces « morts codifiés en peinture » répondant aux « corps modifiés en pâture » (page 13) dans une sorte de mélancolique contrepèterie. Ou encore « tant va la grande pauvreté de mon dire tant vit la grande pauvreté de mon dard » (page 8) ou encore ce « sabir de bazar saboté » (page 18) – une façon de swinguer sur l’autodénigrement.
C’est une poésie foisonnante, luxuriante, qui semble pouvoir convoquer des registres lexicaux multiples. Végétaux, animaux, pleine nature, vocabulaire de la ville, des banlieues et des campagnes, désert, montagne : comme dans un univers onirique et fantasmé, le poète nous propose ses visions entremêlées. Des phrases belles et mystérieuses surgissent soudain, telles que : « la signification de la neige marche à côté de ton rêve ». Mais pour autant nous ne tombons jamais dans l’irréel pur ni dans l’abstraction vague. Toujours Denis Hamel sait ancrer sa poésie dans une réalité contemporaine tangible, inspirée de l’expérience. Ainsi, des notations extrêmement concrètes et parfois même prosaïques nous ramènent au quotidien du poète, à l’ici et maintenant, de manière précise. Par exemple : « dans les vestiaires des garçons odeurs de sous-vêtements », « les programmes se succèdent à la radio », « comme chaque soir assis à la table grise avalant ma pitance crevettes et riz cantonais » (page 22). Dans beaucoup de ces textes les images liées aux « cachets et vinasse et cigarettes »(page 18) reviennent, avec les mots « fumée », « vin », « verre ». Ce mélange d’un grand onirisme avec des considérations très réalistes me paraît être l’une des caractéristiques de ce style poétique et j’apprécie énormément ces effets de contraste.
Tout comme Baudelaire voulait aller « n’importe où hors du monde », Denis Hamel esquisse à plusieurs reprises un tel dessein, à moins qu’il ne l’ait déjà atteint sans en être satisfait. En tout cas, sa place par rapport au monde et à la vie semble une question cruciale. Il écrit page 4 « tu restes séparé du monde » ou encore page 18 : « je rêve d’un avant-poste isolé » et de façon encore plus claire page 5 : « une vie autre que la vie voilà ce que j’aurais voulu faire ». Changer la vie, voilà un programme qui nous évoque quelque chose. Il y a d’ailleurs une référence claire à Rimbaud parmi les dernières pages du livre, au Sonnet des voyelles : »ne cherche pas la couleur de la nuit (…) dans le son d’une voyelle » (page 31). Une autre peut faire penser autant à Ma Bohême de Rimbaud qu’au Molloy de Samuel Beckett : « moi aussi un jour je partirai des cailloux plein les poches » (page 26).
On pourra également relever les très nombreuses références religieuses de ces textes, non pas comme celles d’un poète chrétien cherchant à nous édifier – pas du tout – mais comme un poète élevé dans cette culture et « cherchant des intensités » (page 14) ou encore disant : « C’est absurde de chercher tout le jour une vérité »(page 31). Le poète semble d’ailleurs hésiter entre perdition et salut. Ses références chrétiennes sont loin d’être toujours positives : il parle d' »un ascète pourri », « la vision d’un royaume éventré », « l’ange déchet », etc.
Vous l’aurez compris, ce recueil poétique est d’une grande densité et profondeur. Plein d’images, de musicalité et de significations sensibles, il parle à notre intériorité. 

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Un Poème page 17

Les restes d’un pigeon mort se coulent dans l’asphalte on voit déjà l’os médian qui reliait les deux ailes est-ce une leçon de liberté ou un schéma de biologie j’aurais aimé prolonger cette atmosphère d’insignifiance mais le distributeur de billets a englouti ma carte bleue cette méditation prend fin et vole en éclats comme un verre à vin vide fracassé sur la chaussée sur le parvis des invalides un homme prétend que dieu existe

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