Quand il faut se résoudre à installer ses parents en Ehpad

Publié le 11 mars 2024 par Eric Acouphene

C'est un passage important dans la vie d'une famille, dans les rapports entre les enfants et les parents vieillissants. Il est temps de solder le passé et de préparer la fin de vie des aînés.

Nicole Prieur, psychologue et essayiste

Si la culpabilité apparaît en premier, tenace et envahissante, elle ne représente qu’un aspect de la tempête psychique et émotionnelle qui s’élève dans la tête des enfants confrontés à cette difficile décision. La question « Suis-je une bonne fille, un bon fils ? » est d’autant plus douloureuse que l’on a eu du mal à voir ses parents vieillir. Fréquemment, elle n’a pas la même acuité pour les femmes et pour les hommes.

C’est souvent par le déni que nous accueillons les premiers signes de fragilisation de nos parents. Une mère toujours vaillante qui se casse le col du fémur, un père à qui on diagnostique une grave maladie… nous n’avons pas envie de prendre la mesure du temps qui passe. Cette forme de déni protège contre une prise de conscience qui serait trop brutale et, à la fois, la préparerait.

Prendre soin de ses parents

Car, déjà, de grands mouvements s’opèrent en profondeur. Un réaménagement des images parentales s’impose devant leur vulnérabilité qui s’installe. Prendre soin de ses parents, alors qu’ils ont été les figures d’attachement de la famille, nous met à une place nouvelle, nous devenons plus ou moins le parent de notre parent. Cela inverse les loyautés, et les remet en question. Ce père ou cette mère dont j’attends peut-être encore une reconnaissance manquante, qui ne m’a pas donné l’affection, le soutien dont j’avais besoin, que lui dois-je aujourd’hui ? La machine inconsciente des comptes et contentieux s’active.

Ainsi, quand l’état des seniors s’aggrave et qu’il faut décider pour eux, souvent contre eux une entrée en Ehpad, nous savons que ce sera leur dernier lieu de vie. La responsabilité est lourde. Au-delà de la tristesse ressentie, nous y enfermons aussi, par ce geste, une partie de notre enfance, surtout si le parent, témoin précieux de ce temps révolu, en a perdu la mémoire et ne nous reconnaît plus. Dans cette absence, quelque chose meurt, déjà. Alors comment faire ?

Le temps de la réconciliation

Pour apaiser sa culpabilité, il est important d’être au clair avec cette décision, même si elle n’est pas validée par le reste de la famille, critiquée souvent par les personnes mêmes qui se contentent d’un rapide et rare coup de téléphone. Reconnaître et admettre qu’il n’y a pas d’autres solutions, que c’est l’unique lieu où ce parent sera en sécurité. S’assurer aussi de la qualité des soins prodigués par l’établissement choisi, ne pas hésiter à faire son enquête, à en visiter plusieurs.

Rien de tel aussi que de considérer ce temps comme particulièrement propice à une réconciliation. « Solder les comptes », ne plus lui en vouloir de ses insuffisances. Grandir, c’est s’affilier aux côtés positifs de ce parent, mesurer ce que l’on a reçu de lui, malgré tout. Ne garder que les bons moments, les beaux souvenirs, les sourires partagés qui continueront à vivre en nous.

C’est aussi une manière de préparer le deuil et d’entrer dans la gratitude. Selon une interprétation rabbinique, tel est le sens du commandement « Tu respecteras ton père et ta mère ». Le verbe hébreu traduit par « respecter » veut dire littéralement, « rendre lourd », « donne du poids à la vie de tes parents, donne du sens, comprends pourquoi ils ont été ce qu’ils ont été ». Peut-être, alors, le pardon n’est pas loin, et l’apaisement adviendra malgré la perte.

---------------- source : La Vie

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