Je relatais hier l'œuvre de Suzanne Husky en soulignant son caractère écologique. Si la prise de conscience de certains désastres n'est pas fréquente dans le domaine des arts plastiques, elle est plus marquée, me semble-t-il dans l'univers du théâtre. C'est un constat qu'on peut faire en sortant d'une représentation de Lichen.
Cette pièce de Magali Mougel est un récit à plusieurs voix qui nous plonge dans les rêves et les ressentis d'une petite fille. Il donne à voir la vie et les combats d'une famille qui refuse de se faire déposséder de son foyer et de son histoire au profit d'une rénovation urbaine imposée qui s'accompagnera d'un changement sociétal.
Elle est touchante parce qu'elle est construite sur les paroles de rencontres avec les habitants d'un bassin minier du Pas-de-Calais où l'autrice a vécu une semaine par mois pendant une année scolaire, en résidence dans une des maisons des cités jardin de Lens. Tout sonne (hélas) juste.
Trois actrices dont une musicienne portent admirablement ce texte inédit à la scène, écrit après une longue immersion de l'autrice dans le bassin minier du Pas-de-Calais.
La mise en scène de est d'une grande justesse et on apprécie de disposer des textes de plusieurs chansons à la sortie. Les paroles de Julien Kosellek est précise. La création musicale d' Ayana Fuentes-UnoGoing Down Slow sont bouleversantes : Je me suis bien amusé, mais je ne vais plus bien. Ma santé se dégrade. Et je m'enfonce doucement. Écouter la musique en live avec "juste" l'accompagnement d'une machine à rythme est bien ce qu'il fallait proposer.
Le principe suivi par Xavier Hollebecq et Nathalie Savary d'avoir constitué le décor en utilisant d'anciens décors et de matériaux de réemploi est fort louable et correspond au sujet sans du tout faire miséreux. Que dire encore comme compliment ? Que la sonorisation est fort réussie, permettant de percevoir un chuchotement qui, sinon, aurait été couvert par le bruit des marteaux-piqueurs annonçant la démolition des immeubles voisins, tout autant que les chants des oiseaux et ceux des comédiennes.
Le jeu fonctionne sur la répétition, celle des mots, des phrases, et leur reprise en écho en passant du "je" au "tu". Combien de choses ne sait-on pas quand on est encore un enfant ? La question peut sembler naïve et pourtant elle est profonde : Papa, c'est quoi un taudis ?
e père s'accroche. Ça pourrait être dérisoire de ne pas admettre la nécessité d'aller de l'avant et de chercher à transmettre a minima l'exemple de la résistance et du combat. Il est important de comprendre qu'on ne doit pas cracher sur la nostalgie. Que le passé n'est jamais méprisable. Lichen nous permet de ressentir, à travers le regard d'une petite fille, ce qu'est la vie dans un quartier en voie de destruction (de suppression ?), pour laisser place à des ateliers d'artistes où l'on comprend qu'elle n'aura plus sa place. L e sol est instable , la mère est déjà partie, l 'est beau et c'est notre histoire, entendra-t-on dans un halo d'éco-anxiété, habité par la peur que ce soit une histoire universelle qui signe la fin d'une époque. C
Le titre de la pièce peut sembler étrange. L'auteure en donne l'explication : Le sol a quelque chose à nous dire (...). Je les avais déjà remarquées. Il y a des drôles de taches rouges en avril aux abords de l'ancienne salle des pendus. Ce sont des lichens. C'est la seule chose qui pousse après l'éruption d'un volcan : Cladonie verticillée, rouge comme le sang.
Cela me rappelle une interrogation de ma fille à propos de ce deviendrait la terre si toute l'activité humaine s'arrêtait. Elle imaginait que la nature "reprendrait très vite le dessus" en se basant sur ce qu'elle avait constaté dans le relatif court laps de temps du confinement pendant l'épidémie de Covid.
Vous aurez compris que Lichen ne peut être qu'un coup de coeur et je vous encourage à aller le découvrir, maintenant au Théâtre de Belleville.
Je ne peux pas vous le dire mieux que ne le fait le metteur en scène : Magali écrit avec force et intelligence, ne négligeant ni la poésie ni la narration. Elle donne à voir la beauté et le ridicule de l'être humain, parfois dans la même phrase. Elle est drôle et tragique, violente et tendre. [...] ses pièces, riches et contradictoires, nous interrogent sur notre place dans ce monde déréglé.
Je comprends qu'il lui ait proposé de construire un partenariat de travail dans le cadre de sa résidence au théâtre Antoine Vitez. Une pièce manquante sera le titre de leur prochaine création.
Lichen de Magali Mougel
Mise en scène Julien Kosellek
Avec Natalie Beder, Ayana Fuentes-Uno et Viktoria Kozlova
Création musicale Ayana Fuentes-Uno
Scénographie Xavier Hollebecq et Nathalie Savary
Création sonore Cédric Colin
Du 12 au 27 janvier 2024 à 20 heures au Théâtre Antoine Vitez d'Ivry-sur-Seine
Du 4 au 31 mars au Théâtre de Belleville (les lundis et mardis à 21 h 15, les dimanches à 17 h)
Texte publié aux "Editions Espaces 34"
La première photo illustrant l'article a été prise sur l'île d'Oléron en novembre 2020