Nils Frahm so far : 2018-2022 (Part II)

Publié le 02 mars 2024 par Heepro Music @heepro

Alors que son nouvel album Day vient tout juste d’être publié, petit retour sur la discographie du pianiste allemand Nils Frahm – ou plutôt, voici la suite du premier article La consécration qui revenait sur la période 2009-2016. Bien sûr, vu tout ce qu’il fait, vous remarquerez qu’il manque toujours ses trois tout premiers disques qui avaient été publiés entre 2005 et 2008 et sont désormais disponibles en version remasterisée sur son propre label Leiter.

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Une écoute seule permet de tout de suite se rendre compte qu’il ne se répète pas sur son nouvel album. Tout ce qu’il a pu faire depuis le dernier – si l’on excepte différentes collaborations, il s’agit officiellement de l’album Solo, publié en 2015 –, on se trouve face à une évidence : le piano garde certes une place privilégiée, mais le plus souvent ce sont d’autres claviers qui prennent le devant de la scène.

Dès lors, plus que jamais, difficile de le classer : artiste électronique avec des incursions classiques ? Au contraire, artiste classique utilisant savamment tout type de technologie le faisant être depuis presque toujours à la scène électronique ? Tous deux à la fois ? Et si c’était tout simplement ni l’un ni l’autre : Nils Frahm est un compositeur, créateur, inventeur, découvreur, explorateur… un musicien, un artiste, point. Besoin d’étiquettes, vraiment ? Non.

Ensuite, toujours après cette toute première écoute, il me semble évident que, pour la première fois, j’ai de vrai impressions de connivences : le nom de Nicolas Jaar (lui aussi fuit les étiquettes, étiquettes qui lui collent difficilement…), pour les ambiances mi-rétros mi-futuristes, parfois teintées de jazz ou de musique de films. Un rapprochement flatteur pour l’un comme pour l’autre. Pour autant, ne vous y trompez pas : All Melody ne ressemble pas à un disque de Jaar, loin de là. Mais, en 2018, ces deux artistes sont, chacun, dans une catégorie à part, ce qui est particulièrement rare.

Sinon, il est une nouvelle évidence : les sonorités synthétiques de Spaces (son album culte de 2013) ou de son projet nonkeen (deux albums à ce jour, publiés en 2016) font la part belle à All Melody et, surtout, nombres de nouveautés viennent ajouter un horizon encore plus effarant à la musique du Hambourgeois : saxophones, flûtes, chorales, etc.

« The whole universe wants to be touched », justement, s’ouvre silencieusement d’abord, puis des voix apparaissent comme au loin, des notes presque liturgiques prenant le relais petit à petit, laissant alors la place à « Sunson » sans que l’on se rende compte que l’on vient de changer littéralement d’espace. Les onze premières minutes de l’album sont tout simplement sublimes !

Les sonorités sont définitivement moins classiques qu’habituellement, mais demeurent amplement organiques, plutôt qu’électroniques, même si ce dernier aspect est par moment lui aussi évident. Néanmoins, on se sent plus que jamais à l’aise, réconforté par la personnalité de Nils.

« A place », « My friend the forest » et les pièces suivantes continuent de prolonger ce voyage magnifique et j’avoue qu’il est aussi difficile de ne pas aller jusqu’au bout de l’album que de résister à l’appel d’une autre écoute, en boucle, tant il devient indiscutable que 2018 verra très peu d’œuvres s’imposer avec une telle élégance.

Si l’on considère notamment ses mots dans un entretien avec le New York Times, Nils Frahm aimerait beaucoup pouvoir contribuer à aider les gens de façon plus pratique et non seulement via sa musique. D’une certaine façon, l’écoute d’All Melody résonne presque comme un dernier soupir. Et s’il s’avérait que ce fût son dernier album, ce serait un au revoir des plus réussis. Pour sûr, quel dommage ce serait s’il nous quittait !

Une seule chose est certaine : Nils Frahm est présent parmi nous, et pour l’heure il continue de nous abreuver de sa musique, une musique motivée par un seul élément : son amour pour la musique. Mon amour de la musique se fond ici dans mon amour pour sa musique.

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Je vous l’avais prédit, Nils l’a fait : il a réuni les trois EP Encore initialement publiés en verions vinyles et digitales uniquement sous la forme d’un album – logiquement intitulé All Encores en référence à All Melody.

1 | Nils Frahm passa deux années à construire son studio actuel et à y faire de la musique. C’était à la Funkhaus de Berlin. De cette longue étape naquit All Melody, publié en janvier dernier. Mais pas seulement.

Toute une ribambelle de compositions avaient été imaginées, créées, enregistrées, prêtes à être livrées. En voici une seconde partie dévoilée, sobrement intitulée Encores 1.

Aussi Encores se veut-il une prolongation de l’album All Melody, une extension, une ramification. Bien sûr, on aura compris qu’il y aura au moins une suite, forcément. En effet, une soixantaine de compositions avaient été élaborées, douze d’entre elles seulement figurant sur le dernier album du pianiste hambourgeois installé à Berlin. Ces cinq nouvelles musiques se veulent un exemple entièrement acoustique de sons dont la palette est confectionnée uniquement à l’aide d’un piano et un harmonium.

« Je pense que l’idée d’Encores est celle d’îles musicales qui complémentent All Melody », révèle Nils Frahm, mettant en évidence que cette dernière histoire tout en mélodie en est peut-être seulement à ses débuts, sur disque comme sur scène.

2 | C’est évidemment sans la moindre surprise que ce second EP est publié – suite au premier volume bien entendu, mais surtout une année après la publication de l’album All Melody, dont la série Encores prolonge irrémédiablement les plaisirs.

Comme nous l’annonçait une publication en fin d’année, Encores 2 a été enregistré via un puits de pierre amplifié que Nils Frahm a trouvé sur l’île de Majorque. On semble donc bien s’éloigner un peu de Encores 1, qui laissait la place à un piano et un harmonium.

« Spells » vous permettra de vous languir de l’univers de l’artiste hambourgeois, et je ne dirai rien de plus de peur que vous ne me trouviez entièrement subjectif, moi, qui est placé All Melody en tête de mes albums préférés de l’année passée.

3 | Avec la publication du dernier volet Encores 3, on arrive à douze nouvelles compositions du pianiste… Soit un tout nouvel album en perspective, à bon entendeur. Me concernant, plus j’écoute ses nouveaux morceaux, plus ils m’envoûtent chacun à leur tour…

Alors qu’il a tout juste 37 ans, Nils Frahm aura été LE pianiste de mes années 2010.

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On y était habitués, mais avec son extrême renommée, j’avoue que je n’attendais plus de sorties de ce genre de sa part. Non qu’il me paraissait loin de pouvoir ou vouloir le refaire, mais Nils Frahm semble parti sur d’autres sphères, notamment depuis qu’il a progressivement quitté les réseaux sociaux et, aussi et surtout, avec son album All Melody, dont il a prolongé l’ombre bien au-delà de toute espérance avec trois EPs très vite réunis sous la forme d’un All Encores. Oui, All Melody n’était pas réellement terminé, ou alors, il se devait de se voir ouvert à d’autres espaces pour encore plus l’apprécier. Et en effet, quel chef d’œuvre !

Cette année, le Piano Day revenait donc pour une sixième édition évidemment particulière. En 2015, son lancement avait été joliment dévoilé par un don de son créateur, et Nils Frahm offrait Solo (que Solo Remains allait suivre un peu plus tard…). Donc, cette année, le 28 mars, le pianiste hambourgeois a de nouveau offert un album : Empty, qui se veut de la même période qu’un certain Screws – album également offert et par lequel j’étais entré, presque sournoisement, dans un monde pianistique qui, aujourd’hui, fait autant partie de ma vie que l’air qui m’entoure. Et comme alors, je laisse la parole à l’artiste, nous présentant une musique étroitement liée à celle de Screws

“La partie la plus difficile était enfin terminée ! Après un long dîner à la française avec mon cher ami et réalisateur Benoît Toulemonde à Berlin, j’ai commencé à préparer l’enregistrement de ce qui deviendrait la musique de notre court-métrage, Empty. Vous n’en avez probablement jamais entendu parler parce que ses techniques de montage inhabituelles – montrant des image complètement noires pendant des minutes, avec seulement de la musique – n’en ont jamais fait un grand « hit du box office ». Ou alors parce que nous voulions que le film soit montré dans des vrais cinémas alors qu’il ne dure même pas 30 minutes. Personnellement, je pense que l’acteur principal (moi) n’était pas un si grand choix après tout. De retour de tournage dans les Alpes françaises en hiver, je me suis effectivement senti plus à l’aise dans mon studio avec mes écouteurs qu’en ayant une énorme caméra tournée vers moi.

Sans trop chercher, la musique sortait tout seule du piano ces nuits-là. La seule chose qui a arrêté le processus d’enregistrement après deux jours a été une chute de mon lit dans mon studio parce que mon ami Erik Skodvin est arrivé tôt et m’a sorti de mes doux rêves. Quand je suis rentré de l’hôpital avec un pouce cassé et ai écouté les enregistrements, je les ai trouvés inachevés, ai décidé de les écarter et ai commencé à travailler sur mon petit album Screws.

De très très nombreuses autres notes de piano ont été frappées depuis ces jours-là, et avant qu’on oublie tous cela, j’ai pensé que cela pourrait être un bon moment de partager ces berceuses avec vous. J’espère qu’elles vous aideront tous à rester forts et calmes en ces jours de solitude – malgré la difficulté, nous pouvons découvrir de l’introspection et de la réflexion de façon inattendue. Qui sait à quoi cela est bon.

Much love,

Nils”

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Tripping With Nils Frahm est à la fois un album live et un film des quatre concerts choisis pour illustrer la tournée monumentale de deux ans suite à la sortie de All Melody, avec plus de 180 concerts donnés – à l’Opéra de Sydney, au Walt Disney Concert Hall, au Centre Barbican de Londres ou encore la Philarmonie de l’Elbe dans sa ville natale Hambourg pour ne citer que quelques uns des lieux les plus mythiques où il a joué à guichets fermés !

Mais ce sont les quatre spectacles donnés dans son propre lieu unique, à Berlin, la Funkhaus, qui sont sa scène préférée – comme ce fut le cas déjà pour la création de All Melody. Et c’est son ami de longue date Benoît Toulemonde qui a eu la chance de filmer cette série de concerts pour son projet Soirée de Poche dont Nils Frahm devient l’un des nombreux artistes à y avoir participer.

Étant donnée la situation actuelle et les restrictions sur notre vie sociale, cela ressemble à un document d’un autre temps ou même d’un autre univers. Mais en fait, ce n’est pas si loin en arrière que mon équipe et moi étions des nomades, utilisant n’importe quelle méthode de voyage pour jouer encore un nouveau concert le jour suivant. Le film a été tourné par mon ami Benoît Toulemonde et sa formidable équipe pendant les performances à la Funkhaus de Berlin en décembre 2018. Des caméras gérées manuellement étaient placées dans le public, cachées avec soin pour ne pas perturber les auditeurs. Il était temps de capturer mes concerts en image et son, en essayant de figer un moment d’un voyage de deux ans autour du monde.

Peut-être que ce soir est la soirée où tout marche parfaitement et où les choses se mettent en place ? Habituellement, des choses se passent mal avec les concerts, donc en combinant nos moments préférés de ces quatre performances, nous avons été capables d’obtenir ce que j’essayais de faire pendant ces deux années de tournée : faire ça bien ! Quand on entend les applaudissements sur ces enregistrements, vous devez savoir que je souriais de bonheur, étant un brin fier et me sentant béni de partager ces moments avec vous.

Love, Nils”

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Vous allez finir par penser que je suis littéralement obsédé par le pianiste allemand. Vous n’aurez qu’à moitié tort, je l’avoue. À moitié, parce que Nils Frahm publie beaucoup de musique, nouvelle ou ancienne.

Avec Graz, sorti le jour-même du dernier Piano Day qui a eu lieu le 29 mars 2021, nous nous trouvons dans la seconde catégorie : il s’agit effectivement d’anciens morceaux qui remontent à 2009, c’est-à-dire lorsqu’il a rejoint son label d’aujourd’hui, Erased Tapes.

Parmi les neufs compositions, toutes jouées sur un grand piano comme l’illustre la magnifiquement simple photo en noir et blanc de la couverture, on retrouve « Hammers » en duo avec son ami de longue date Peter Broderick – ils se sont en effet connus en septembre 2008 et celui-ci avait produit son album The Bells, justement sorti en 2009 – et « Went missing », toutes deux inclues dans son album live Spaces de 2013.

Que voudriez-vous que j’ajoute, moi, qui suis déjà difficilement objectif dès qu’il y a du piano, et encore moins dès lors que c’est Nils Frahm qui en joue ?

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Pour ce double album sur son propre label Leiter, Nils Frahm a profité du confinement pour ranger ses archives et, dès lors, nous voici avec 23 morceaux qui ont été enregistrés et joués sur différents pianos entre 2009 et 2021… comme s’il s’agissait, d’après lui, d’un album sur lequel il avait travaillé pendant douze ans !

L’idée originale d’Old Friends New Friends était, avant tout autre chose, que le pianiste allemand soit certain de pouvoir oublier tout ce qu’il a pu enregistré pendant toutes ces années, sans avoir à se soucier du fait que quelqu’un puisse un jour tomber dessus et les publier. Une façon pour l’artiste de pouvoir enfin se tourner vers l’avenir uniquement.

Après les albums déjà sortis de ses archives Empty et Graz (ce dernier étant l’un de mes coups de cœur de cette année), je me réjouis de cette compilation que je n’ai pas encore vraiment apprivoisée. Et oui, c’est bel et bien un déluge au loin que l’on entend sur « Rain take » et, effectivement, difficile de ne pas remarquer le bruit des pédales sur « Weddinger walzer ». Plus que jamais intimiste.

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Voici déjà son cinquième album solo à sortir sur le label Leiter qu’il a créé avec Felix Grimm en 2021. Cette fois-ci, alors qu’il s’agissait de morceaux de piano inédits qu’il avait joués pendant de nombreuses années auparavant (Old Friends, New Friends) ou d’albums devenus introuvables (Durton, Streichelfisch, Electric Piano), Music For Animals nous offre dix nouveaux titres totalement nouveaux. Ils ont été interprétés et enregistrés sur tout un tas d’autres instruments auxquels Nils Frahm nous a habitués – mais pas une seule note de piano n’est présente sur les trois heures de musique qu’il a dispatchée sur trois disques, rien que ça ! D’une certaine façon, l’aspect primo-colossal de sa nouvelle œuvre me rappelle, tant du point de vue de la forme que du fond, un certain Selected Ambient Works II d’Aphex Twin. Car, oui, on est bel et bien face à un disque nous plongeant avec lui dans des ambiances qui, je trouve, sont plus enivrantes au fur et à mesure où les plages défilent. Il faut donc s’accrocher, persévérer, pour en percevoir toute la beauté, pardon : toutes les beautés.

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Lire la première partie : La consécration (Nils Frahm so far : 2009-2016)

(in Heepro Music, le 02/03/2024)

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