Y a-t-il un art de la lecture, une manière de bien lire, à la fois sérieuse et légère, instructive et gratuite ? Car à quoi bon lire pour le seul plaisir d’une distraction fugitive, sans incidence ni lendemain ? Mais que vaut une lecture entièrement savante, dont l’unique but est de retenir dans l’effort et qui n’est jamais qu’un moyen ?
Une lecture véritablement féconde ne semble pouvoir être que paradoxale, car elle suppose la conjonction d’attitudes inverses, d’états d’esprit contraires : la lecture exige plaisir et gravité, sérieux et légèreté. Le lecteur ne retire rien ni de ce qu’il absorbe en s’oubliant dans le divertissement, ni de ce qu’il retient par pur devoir envers le savoir. Toute lecture doit donc être active, sous peine d’être inutile, sans toutefois devenir labeur au risque de se rendre anonyme.
Ce dernier cas était celui que Rousseau craignait et critiquait le plus. Rien n’est pire selon lui que la lecture savante, qui ne procure du plaisir qu’autant qu’on la communique et s’essouffle dès qu’elle n’a plus l’assurance d’un public. Car alors elle est pur ornement et laisse l’esprit en friche, quand il demande non à être décoré mais à penser. Lire authentiquement, pour Rousseau, doit toujours s’accompagner de pensée.
Mais ainsi conçue, la lecture idéale culmine dans un nouveau paradoxe, car elle n’est profitable qu’en étant à la fois fidèle et personnelle, littérale et méditative. On cesse de lire lorsqu’on superpose ses idées au texte qui défile, mais on ne lit pas plus lorsque le texte défile sans l’interférence des pensées. Comment donc combiner la lecture et la pensée ? Comment rencontrer d’autres pensées sans limiter notre liberté ?
Dialogues, échanges et conversations, comme souvent, sont la pierre de touche de la qualité et de nos lectures et de nos pensées.