Mon amie Pascale a eu la gentillesse de me prêter ce livre sur la poétesse du IXe siècle (époque Heian) Ono no Komachi, intitulé Visages cachés, sentiments mêlés. Elle est devenue une figure mythique au Japon, célèbre aussi bien pour sa beauté que pour la qualité merveilleuse de ses waka (poème de cinq vers typiquement japonais, aussi appelé tanka).
Ses tanka abordent les thèmes amoureux d’une manière particulièrement raffinée et sont généralement empreints de tristesse.
Il ne reste que vingt-un ou vingt-deux poèmes qui lui sont attribués avec une complète certitude, d’autres poèmes peuvent lui avoir été attribués plus tardivement et de façon plus incertaine. J’ai retenu trois tanka à vous proposer.
Note Pratique sur le livre
Editeur : Gallimard, collection Connaissance de l’Orient
Première date de publication : 1997
Traduit du japonais, présenté et annoté par Armen Godel et Koichi Kano
Nombre de pages : 250
Biographie succincte de la poétesse
Bien que ses dates de naissance et de mort ne soient pas certaines, on considère qu’elle est née vers 825 et morte vers 900. Elle est probablement issue de la petite noblesse ou faisait partie des suivantes de la Cour Impériale. Sa vie est mal connue et entourée de nombreuses légendes. Elle a été choisie parmi les « six génies de la poésie » et « les trente-six grands poètes ». Considérée d’une rare beauté, elle est devenue le symbole de la belle femme au Japon, son nom devenant par la suite un nom commun. La perte de son enfant aurait terni sa beauté, amenant son mari à la répudier. Sa vieillesse aurait été marquée par la solitude, la mélancolie, la pauvreté et, surtout, les regrets d’une jeunesse trop vaniteuse. De nombreuses œuvres ultérieures de la littérature japonaise, ont évoqué son personnage, par exemple dans le théâtre nô.
Extrait de la Quatrième de Couverture
La poésie est l’essence du langage divin. Suivant la volonté divine, les hommes ont érigé la poésie en art qui devait être accessible à tous. La poésie est donc le fondement de la culture japonaise. Depuis les temps premiers, des poètes se sont distingués et, parmi eux, de talentueuses poétesses. La plus fascinante, mais aussi la plus mystérieuse, fut Ono no Komachi, qui vécut au IXe siècle. Seule femme élue parmi les Six Poètes Immortels, elle acquit une célébrité hors du commun. De son œuvre poétique, seuls vingt et un poèmes avérés ont été conservés – vingt-deux, selon certains. A-t-elle existé ou n’a-t-elle été qu’un personnage légendaire ? Le doute plane jusque dans ses poèmes, où couve une mélancolie à la fois profonde et lucide. La passion amoureuse s’y exprime insaisissable, impossible à se réaliser, en des formules imprégnées de fragilité ou de délicatesse. Le style est d’une rare élégance, révélant l’habileté extrême de la poétesse à jouer sur les métaphores, les sous-entendus, les jeux de mots cryptés. Les poèmes de Komachi, autant que la puissance du mythe qui l’enveloppe, n’ont cessé d’intriguer et d’inspirer poètes et dramaturges, au Japon comme en Occident, dont Yukio Mishima, Henri Michaux, Jacques Roubaud ou Michel Butor pour notre XXe siècle.
(Source : Site de Gallimard)
Choix de Poèmes
Page 31
Les coloris des fleurs
ont bel et bien passé
En pure perte
ma vie coule en ce monde
dans le temps d’une longue averse
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Page 38
En pensant à lui
je me suis assoupie et
il m’est apparu
Un rêve donc – si j’avais su
je ne me serais pas réveillée
(Note du traducteur sur ce tanka : ce poème évoque une croyance fondée sur les pouvoirs de l’autosuggestion : quand on pense à quelqu’un, on le voit apparaître dans le rêve)
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Page 46
Assoupie toute seule
abîmée en ma langueur
je m’éveille
la lune est si captivante
et tant pis pour l’interdit
(Note explicative sur ce tanka : Autrefois, la femme devait éviter de regarder la lune, de crainte que l’astre ne lui jette un mauvais sort et ne perturbe sa fécondité. C’est de cet interdit qu’il est question ici.)
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