À la fin du XIXe siècle, ta carcasse interminable et ta vélocité animale t'auraient ouvert en grand les portes d'une cabane de foire. À l'époque, on ne faisait pas dans la finesse. Tu aurais été baptisé "L'échassier-guépard", on t'aurait inventé une enfance à dormir debout, gratifié d'une origine incertaine et organisé des courses contre les meilleurs purs-sangs du comte Dugoinot de la Motte-qui-pèle. Le reste du temps, tu aurais attendu patiemment le chaland derrière le rideau de ta baraque foraine. Entre la "femme à barbe", "l'homme-éléphant" et "l'enfant sauvage". Pauvres bougres formant la cohorte des Freaks sur le dos desquels des montreurs de phénomènes pouilleux entretenaient leur crasse.
Tu aurais peut-être eu pour voisin d'infortune Michael "Le dauphin bipède" dans son bocal, dont la cage thoracique hypertrophiée et les bras nageoires rendent superflus ses autres membres. Heureusement Pierre Frédy est passé par là. En deux siècles, le monstre qu'est devenu son joli bébé au berceau couronné d'anneaux a permis aux physiques hors normes de partir à la conquête des pistes et des bassins. D'y décrocher même l'or et la gloire en faisant l'objet d'une autre curiosité, la plupart du temps moins malsaine que celle brillant dans les yeux de la populace Belle Epoque.
Quoique. À en juger par la suspicion systématique accueillant désormais chaque performance "phénoménale" réussie sous le soleil d'Olympie, on peut se poser la question. Les clins d'œil entendus, les regards inquisiteurs ne sanctionnent plus la particularité physique. Ce serait indigne de notre statut d'hommes du XXIe siècle aux mœurs policées. Non, ils s'échangent maintenant sur fond de croisade morale. Ceux-là, là, ce Bolt avec ses grandes tiges qui pulvérisent les records, ce Phelps caréné comme un hors-bord, dans quels vilains secrets puisent-ils leurs succès ? Quelle est leur potion magique ? Comment s'appelle leur fournisseur de poudre de perlimpimpin ? Quels composants