Farewell, Angelina, The bells of the crown
Are being stolen by bandits, I must follow the sound.
The triangle tingles, And the trumpets play slow.
Farewell, Angelina, The sky is on fire, And I must go.
There's no need for anger, There's no need for blame.
There's nothing to prove, Everything's still the same.
Just a table standing empty, By the edge of the sea
Farewell, Angelina, The sky is trembling, And I must leave.
The jack and the queen Have forsaked the courtyard.
Fifty-two gypsies Now file past the guards
In the space where the deuce And the ace once ran wild
Farewell, Angelina, The sky is falling, I'll see you in a while.
See the cross-eyed pirates sitting Perched in the sun
Shooting tin cans With a sawed-off shotgun.
And the neighbors they clap And they cheer with each blast.
Farewell, Angelina, The sky's changing color, And I must leave fast
King Kong, little elves On the rooftops they dance
Valentino-type tangos While the makeup man's hands
Shut the eyes of the dead Not to embarrass anyone.
But Farewell, Angelina, The sky's embarrassed And I must be gone.
The machine guns are roaring, The puppets heave rocks
And fiends nail time bombs To the hands of the clocks.
Call me any name you like, I will never deny it,
But Farewell, Angelina, The sky is erupting, I must go where it's quiet.
Selon Bob Dylan lui-même, la mélodie s’inspirerait de la chanson de marin « Farewell to Tarwathie » écrite en 1850 par le poète-paysan écossais George Scroggie.
Cette chanson a fait l’objet d’innombrables commentaires et interprétations multiples prêtant à l’auteur des idées et des messages très divers sans doute très éloignés de sa propre pensée, si tant est qu’il ait eu, lors de son écriture, une intention précise et focalisée. Il s’amusait par anticipation de l'exégèse que pourraient en faire les critiques !
Pour ma part, j’ai le lointain souvenir d’avoir pensé, lorsque j’entendis pour la première fois la version française chantée par Nana Mouskouri, qu’il s’agissait d’une évocation de la guerre civile en Espagne. Il est vrai que l’atmosphère de cette chanson est lourde de menaces. Sont décrits les voleurs, les terroristes, les pillards, la populace, mais aussi les fusils, les mitrailleuses, les bombes à retardement… et les morts… et le ciel de plus en plus menaçant qui témoigne de l’approche inexorable de « la zone de combat ». Pour autant, rien ne prouve que ce soit là ce que Bob Dylan ait voulu mettre en scène. Une lecture métaphorique est possible, comme celle des menaces qui planent sur une relation amoureuse. Le propre de la poésie de Bob Dylan, comme de celle de Leonard Cohen, est de permettre à chaque lecteur de projeter ses propres sentiments, ses peurs et ses espoirs, ses faiblesses et ses rêves : une sorte d’auberge espagnole où chacun apporte ses ingrédients affectifs et spirituels personnels.
Restent la mélodie, aussi simple que belle, les alexandrins qui lui confèrent une forme de solennité, le ciel qui s’obscurcit, et l’angoisse qui se mêle à la résignation.
Le tableau surréaliste que dessine cette chanson est semé d’indices qui ne sont sans doute pas là par hasard, quand bien même les mots conduisent l’auteur plus qu’ils ne sont conduits par lui. Par exemple, le triangle tinte, bien sûr, mais Bob Dylan a écrit non pas « tinkles » mais « tingles », suggérant une démangeaison, une irritation, donc un tintement impatient, urgent. J’ai donc choisi de le traduire par « tintille » pour sa consonance avec « titille », sans bien savoir si ce choix était pertinent mais pour tenter de rester au plus près des mots de l’auteur. De même, l’évocation d’un jeu de cartes, à la manière de Lewis Carroll, cite l’as et le deux (ou l’égalité), mais les gitans ou manouches qui s’alignent derrière les gardes sont au nombre de cinquante-deux, comme les cartes dans le jeu, ce qui n’est sans doute pas non plus un hasard. Bien sûr, on pense aussitôt à une rafle, au racisme…
Mais que font là King-Kong et les elfes ? Et qui est Angelina ?
Comme la recherche scientifique, la poésie apporte en fin de compte autant de questions que de réponses !
Pierre Delanoë en a écrit une très belle version française ("Adieu Angelina), assez fidèle à l’original mais ne s’attardant pas sur certains de ses mystères comme le titillement du triangle (simplement omis), la reine et le valet (devenus les rois et les reines) qui « quittent la basse-cour », et les 52 gitans devenus 200 bohémiennes. L’as et le deux sont aussi absents, mais le « rien ne va plus » évoque bien un jeu de roulette. Je n’avais donc pas grand-chose à apporter, et j’avais soigneusement évité, jusqu’ici, d’entreprendre cette traduction, mais cette chanson a surgi dans ma tête un matin au réveil et y est restée la journée entière, m’incitant à l’examiner de plus près, puis à vouloir me l’approprier en la traduisant sans trop la trahir.
ALN
Adieu, Angelina
Adieu Angelina, je dois suivre le bruit
Des cloches de la couronne volées par des bandits
Tintillent les triangles et sonnent les cuivres
Adieu Angelina, le ciel est en feu et je dois les suivre
Pas besoin de colère, pas besoin de blâmer
Il n’y a rien à prouver, rien n’a vraiment changé
Au bord de la mer, rien qu’une table déserte
Adieu Angelina, le ciel frémit et il faut que je parte
La reine et le valet ont délaissé la cour
Cinquante-deux manouches que des gardes entourent
Dans l’espace que jadis as et deux parcouraient
Adieu Angelina, le ciel va s’écrouler, mais je te reverrai
Vois les pirates bigleux qui au soleil juchés
Canardent des boîtes avec un canon scié
Les voisins applaudissent et acclament chaque tir
Adieu Angelina, le ciel change de couleur, je dois vite partir
King-Kong et petits elfes dansent sur le toit
Des tangos argentins. L’embaumeur de ses doigts
Ferme les yeux du mort pour ne pas inquiéter
Mais adieu Angelina, le ciel est couvert, je ne peux pas rester
Les mitrailleuses rugissent, et les pantins lapident
Des fanatiques piègent les horloges au plastic
Appelle-moi comme tu voudras sans craindre mon déni
Mais adieu, Angelina, le ciel se déchire, je dois aller à l’abri
(Traduction-Adaptation : Polyphrène)