Missak Manouchian, Missak et Mélinée, ces noms sont indéfectiblement liés à la Résistance. Denis Donikian écrit : « Tout en fréquentant les milieux compatriotiques de la diaspora arménienne, Missak Manouchian devient communiste. Entendre par là et selon l’époque : adepte d’une vision humaniste qui transcende les nationalités. » Aujourd’hui, il entre avec Mélinée au Panthéon. C’est l’occasion de lire ses poèmes, publiés en arménien en 1946 à l’initiative de Mélinée, puis dix ans plus tard en Arménie soviétique. Le livre publié par les éditions Points reprend les 56 poèmes du recueil de 1946. En voici deux extraits traduits de l'arménien par Stéphane Cermakian :
Autoportrait
Désenchanté des augures du temps,
De sauvages élans fouettent furieusement
Ton âme et la livrent envahie de nostalgie
À la passion enchanteresse, au palais de la langue mielleuse…
Tes racines, qui ont poussé dans le jardin
De la perdition, toujours rampent vers le bas…
De chaque péché tu bois l’abcès aux relents de volupté
En méprisant la bride universelle du temps…
Dans ton élan il y a le poison de la ruine…
Tu parcours tes rêveries sans ménagement,
Et des messages de l’idéal sacré
Tu deviens volontairement l’ignoble traître.
Parfois s’éteignent les flambeaux de l’espérance
Et les ténèbres t’étreignent entièrement…
Ton monde intérieur, tourmenté et sauvage,
S’écrase impuissant contre le rocher de la vie…
Ton âme cependant est un phénix qui s’enflamme ;
Fécondée par des forces inconnues,
Elle renaît victorieuse de ses chutes
Et s’élève sans cesse jusqu’à la lumière…
(10/12/1932. Châtenay)
Les sans-travail (extrait)
« Du pain ou du travail, du travail ou du pain ! »
Hurlons, camarades, incendiés de colère,
Que brûlent sans fin nos coeurs fiers,
Que la protestation enfle comme un torrent!
Afin que tous les esprits refroidis,
Afin que ce monde bâtard et vieilli,
Arrachés par les flammes de notre dense colère
Jusqu’à la fin des temps deviennent cendres…
(19/09/1933. Alfortville. Écrit à l’occasion d’une manifestation)
On connaît le poème de Louis Aragon, Strophes pour se souvenir, interprété par Léo Ferré sous le titre L’affiche rouge. Il intègre quelques mots de la dernière lettre de Missak à Mélinée :
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le coeur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant