Miroslav Tichý (1926-2011, République tchèque) fut reconnu très tardivement comme l’un des plus grands photographes du XXe siècle. Son œuvre, créée sous la Tchécoslovaquie communiste entre les années 1960 et 1980, tourne autour de la figure féminine, en marge complète de la création artistique occidentale. Tichý utilise des appareils de fortune, bricolés par lui-même avec des objets divers, polissant les lentilles avec du dentifrice, qui captent de manière instinctive la réalité qui l’entoure et invente, comme chaque grand artiste peintre, photographe ou sculpteur, une autre réalité, personnelle et donc neuve, jamais entrevue. La vision de l’artiste est extraordinaire et érotisée, hors des normes, mal faite, c’est-à-dire radicalement à l’encontre de notre monde « parfait », préprogrammé. Il est le contraire de l’Homme de Marbre communiste, mais aussi du People libéral. Miroslav Tichý prenait des photos tous les jours, poursuivant ainsi sa pratique depuis l’académie des beaux-arts : il s’agissait d’un exercice de recherche, de poursuite et, en fin de compte, de reproduction du corps féminin.Les éditions suisses Galleria Periferia publient aujourd’hui un nouvel ouvrage sur le travail du photographe: Screenshots. Dans les années 1970 et 1980, Miroslav Tichý a pris des photos de son écran de télévision. Comme il vivait dans la petite ville de Kyiov, près de la frontière autrichienne, il pouvait échapper aux limites et à la pudibonderie de la censure du bloc de l’Est et regarder la chaîne de télévision autrichienne ORF, avec ses films occidentaux et ses émissions tardives plus permissives. Les images des starlettes de la télévision, prises dans la lumière, sont à la fois terribles et magnifiques. Les photos en mouvement semblent encore plus réelles que les photos fixes qui ont précédé l’ère de la télévision. Des lignes dans les images montrent l’écran, reflétant parfois une ampoule dans la pièce. Cette série marque un moment dans le temps de plusieurs manières. On imagine Tichý rivé à l’écran, captant des images changeantes, comme s’il se promenait à l’extérieur, mais cette fois dans un monde insaisissable qui souligne une nouvelle forme d’altérité. La pratique de Tichý nous amène à revisiter notre relation aux médias et aux images qui pénètrent dans nos vies personnelles et transpercent les couches de représentation et d’observation. Son travail est une excursion dans l’avenir des images qui se répandent de la réalité dans le monde virtuel des écrans d’ordinateur et des téléphones portables. Ce magnifique ouvrage de 256 pages est maintenant disponible sur la boutique en ligne des éditions Galleria Periferia.