Un de ses meilleurs romans, parmi les plus noirs qu’il ait écrit, j'y retrouve le souffle de Dans l'ombre du brasier.
Une dystopie, certes, mais la mise sous nos yeux - qui refusons de voir - de situations pourtant déjà vécues par nos contemporains revenus à l’état sauvage, de scènes de guerre telles qu’elles se déroulent en ce moment.
Cela se passe entre 2050 à 2150, autrement dit : demain. Le réchauffement climatique est à son apogée, des vagues successives de pandémies ont décimé les populations du monde entier, les étendues boisées des Landes de Gascogne ne sont plus que décombres fumants, des petits groupes d’individus fuient les exactions de commandos armés qui pillent et violent toute présence humaine sur leur passage - prémonition du carnage du 7 octobre ?
Des seigneurs de guerre exercent leur cruelle férule sous prétexte de principes religieux syncrétiques mais toujours asservissant les femmes leurs désirs bestiaux. Nous voilà propulsés sous les décombres de Berlin ou Hambourg en mai 1945, en Haïti, au Darfour, au Congo, au Niger, à Kherson, parmi les réfugiés de Gaza sous leurs tentes gorgées d'eau …
Au cœur de cet enfer que n’aurait pas même imaginé Dante, une dynastie matrilinéaire de survivantes : Rébecca, Alice, Nour, Clara … Elles fuient, mais où ?
Périodiquement attaquées, submergées par des bandes de « routiers » comme au Moyen-Âge. Ce sont elles, ces femmes, qui transmettent la vie et les vestiges du monde d’avant, leurs hommes sont faibles, absents, blessés comme Marceau, Martin, Gabriel. Léo, peut-être, le tout jeune héros, s’en tirera-il ?
Une seule catastrophe manque à ce tableau cataclysmique : l’agression nucléaire – comme dans Malevil (1972) de Robert Merle. La guerre est venue de l’Est en 2035-36 puis une gigantesque cyberattaque a fait s'effondrer le système numérique de la planète. Les survivants errent et reviennent à la technique de survie des chasseurs-cueilleurs, par petits groupes, tentent cà et là de reconstruire une communauté pétrie d’esprit des Lumières, comme dans L’année du lion de Don Meyer (2016) …
Pas vraiment un livre pour vous redonner le moral, mais surtout un exercice de style époustouflant, un récit d’un réalisme qui dépasse toute représentation cinématographique, des personnages dont l’humanité laisse sourdre un espoir ténu en la sauvegarde du genre humain, même après autant de catastrophes.
Moi non plus, je ne verrai pas cette effondrement de notre monde d’aveugles. Ouf !
Qui après nous vivrez, roman d’Hervé Le Corre, édité chez Rivages/Noir, 394 p., 21,90€