"L'impasse" Antoine Choplin. Roman. Editions La fosse aux ours, 2006.
Sommes-nous en Tchétchénie ? En Géorgie ? En Ossétie du sud ? Dans une autre ex-république de l'empire soviétique ?
Nous sommes, apparemment, dans la région du Caucase, mais finalement il importe peu de savoir précisément où se situe l'action du roman d'Antoine Choplin.
Ce qui prime ici, c'est le traumatisme de la guerre quand il est vécu par des civils soumis à la violence et à l'arbitraire d'envahisseurs armés et victorieux. Ce traumatisme subi par les habitants d'un pays envahi est de toutes les époques, de toutes les latitudes : hier encore quand les armées nazies puis soviétiques ont déferlé sur l'Europe, aujourd'hui en Afghanistan et en Irak.
De tous temps les populations civiles ont eu à subir les agressions de bandes armées, légitimes ou non, fortes de leur supériorité sur des habitants démunis de tout moyen de défense. Des bandes armées du Moyen-Âge en passant par les horreurs de la guerre dessinées par Jacques Callot au XVIIème siècle et plus tard par Goya, des exactions commises par les grands empires coloniaux sur les populations "indigènes" d'Afrique et d'Asie aux sanglantes boucheries perpétrées en ex-Yougoslavie, la liste est longue des atrocités subies par des civils sans défense.
Voilà pourquoi le contexte de « L'impasse » d'Antoine Choplin n'est peut-être pas si important, si ce n'est qu'il nous ramène à une actualité brûlante en ces jours où le conflit entre la Géorgie, l'Ossétie du sud et la Russie semble être le point de départ d'un nouveau brasier qui risque d'ensanglanter cette partie du monde.
Parce que le roman d'Antoine Choplin touche à quelque chose d'universel – une population devenue la proie d'hommes armés – le contexte pourrait en effet se situer aussi bien dans l'Antiquité que dans le monde contemporain, aussi bien en Europe qu'en Extrême-Orient. Le dénominateur commun n'est ici ni le lieu ni l'époque, il ne se résume que par ces quelques mots : pillage, destruction, tortures et viols.
« L'impasse » se situe donc quelque part, de nos jours, dans une ville du Caucase dévastée par la guerre. Le capitaine Kalinski, assisté de trois de ses hommes : Romanov, Vologuine et Youssov, décide de « nettoyer », à sa manière, une impasse dans laquelle il soupçonne que se cachent des "terroristes". Cette opération de sécurisation du quartier n'est en fait qu'un vague prétexte pour Kalinski, qui compte bien assouvir sur les riverains sans défense ses instincts les plus sadiques. Ainsi, progressant d'appartement en appartement, les militaires vont se déchaîner sur les habitants de l'impasse.
Tout au fond de cette même impasse se cache une famille : Magomed et Zarema, les parents, Timour, Louisa et Moumadi, les enfants, ainsi qu'Aïchat, la grand-mère malade et deux lapins : Hard-Rock et Mata-Hari.
Ce que Timour, l'aîné des fils de Magomed, ne sait pas, c'est que parmi les soldats qui ne tarderont pas à entrer de force chez eux, se trouve Oleg Youssov.
Youssov est une sorte de colosse que Timour a rencontré quelques mois plus tôt dans la bibliothèque de l'Institut déserté. Le soldat et l'adolescent, malgré le conflit armé, vont apprendre à se connaître et à échanger leurs idées en feuilletant un livre sur les oeuvres de Giacometti. Timour apprendra à son partenaire à jouer aux échecs et Youssov entraînera le jeune homme au lancer de poids.
Que va t-il se passer quand Timour et Oleg vont se retrouver face à face ? Que ressortira-t-il de cette confrontation entre la famille de Timour et les soldats du capitaine Kalinski ? La violence l'emportera-t-elle ? Les faibles liens tissés par les deux jeunes hommes sauront-ils préserver Timour et sa famille de la folie meurtrière de Kalinski ?
Avec « L'impasse », Antoine Choplin nous plonge dans un univers où règnent la peur et la violence, un univers de cauchemar qui est aujourd'hui encore le quotidien de millions de personnes dans le monde. Mais au delà de toute cette violence, de toutes ces exactions, de cette sauvagerie qui semble définitivement intrinsèque à l'espèce humaine, ne reste-t-il pas une place, si infime soit-elle, pour la compassion, l'échange et l'amitié ? Le monde, nous le constatons malheureusement tous les jours, est plein de Kalinski en puissance ou en passe de le devenir. Les Timour et les Oleg sont, hélas! beaucoup plus rares.