Titre : Deep It
Auteurs : Marc-Antoine Mathieu (texte et dessins)
Éditeur : Delcourt
Collection : Hors collection
Année : 2024
Pages : 112
Résumé d'une histoire qui vagabonde :
L'espace, une " cellule " flotte dans le vide, à l'intérieur, une pensée, une intelligence, résultat des dernières expériences de l'homme avant sa disparition suite au grand Deuil. La mission de cette IA : veiller sur la mémoire de l'humanité et tenter de recréer la vie. Pour cela, il faut trouver le lieu qui réunit toutes les conditions pour y déposer la source des acides aminés, de là, une longue errance et le temps de se poser de nombreuses questions...
Le scénario d'un voyage sans fin:
On suit cette cellule perdue dans l'infini, et surtout cette pensée, cette intelligence artificielle, qui raisonne et réfléchit sur elle-même au rythme de ses veilles. Car elle s'éteint régulièrement.
Avec ce postulat des plus simples, Marc-Antoine Mathieu nous entraîne dans un voyage de la pensée. Que peut bien se dire cette intelligence, à longueur de journée, au fil du temps ? Car les heures n'ont plus cours, ni les jours ni les années, seuls ces fameuses veilles marquent l'écoulement du temps. Vouloir revenir et comprendre ce qui a entraîné la fin de l'humanité est un des buts de cette IA. Ca tombe bien, elle a la mémoire du monde sous la main - si vous me passez l'expression -. Mais y accéder n'est pas si facile que ça. Cet objet étrange recèle bien des surprises. Et, de plus, cette recherche n'est pas une urgence totale. Il faut s'orienter pour trouver un endroit réunissant les conditions favorables à la (re)naissance de la vie.
Car tout ce que l'humanité a laissé tient dans cette cellule spatiale, petite navette ronde, c'est de quoi recréer la vie, les acides aminés qui ont abouti à l'humanité. Mais combien faibles sont les chances de trouver un lieu réunissant les conditions optimales pour un tel développement.
L'auteur nous rappelle ainsi que nous sommes, statistiquement, une chance quasi-unique dans l'univers. Une chance gâchée par la fin de l'humanité. A nous de réfléchir et d'éviter ce qui serait notre grand Deuil.
Cette BD repose juste sur ce voyage lent, avec ses pensées qui tentent de se structurer. Et pourtant, on est happé car l'auteur a su distiller des informations étonnantes qui soulèvent des questions au fil des pages. Cette IA ne connaît pas ses origines, ne sait pas tout. Elle a donc matière à creuser, nous permettant d'en apprendre plus sur ce monde. Marc-Antoine Mathieu nous rappelle combien notre équilibre est précaire et combien il ne restera rien de nous, quand nous aurons tout incendié. En nous rappelant, sans prétention aucune, la singularité de l'homme dans l'univers, Marc-Antoine Mathieu nous rappelle aussi sa fragilité.
Le dessin statique :
La cellule est toujours en mouvement dans l'espace. Mais Marc-Antoine Mathieu parvient à créer non pas le mouvement, avec son dessin, ses mises en scène et ses compositions de page, mais bien le flottement. Ce flottement, à l'image de ces réflexions intellectuelles, est l'essence de la BD. Ce décor éternellement identique, nous parvenons pourtant à avoir l'impression qu'il change. Cette vue noire de l'extérieur, avec ces restes de poussières terrestres, est éternellement différente et pourtant identique. Mais on ne se lasse aucunement de cette immersion.
Jouant sur les noirs et les gris, Marc-Antoine Mathieu sait aussi rompre ce fragile équilibre en y infusant, en y laissant entrer le blanc. Ce blanc qui remplit tout avant de s'effacer. Les passages d'un état à l'autre, les travellings avant qui nous rapprochent des différents éléments de la cellule, qui nous les grossit, ces flottements de particules qui forment des objets, des silhouettes, bien que rien ne bouge vraiment, tout attire l'œil. A l'image des réflexions ce cette IA, qui nous poussent à réfléchir nous-mêmes, le dessin nous pousse à mieux regarder les cases, à mieux suivre chaque nuance, à profiter du temps que l'on a.
Conclusion d'une BD qui marque:
Deep It parvient à nous captiver alors même que son intrigue est si évanescente, en apparence seulement. En effet, elle est construite pour avoir un début, un milieu, des retournements de situations, un protagoniste qui évolue et une fin. Car la force de cette BD, c'est de proposer un vrai dénouement ouvert alors que le risque était grand de vivre juste un moment d'errance dans cette solitude spatiale. Marc-Antoine Mathieu réussit à nous rendre attachante cette IA, à nous captiver avec un dessin présentant pourtant le même décor, et à proposer une errance qui s'achève à un moment. Un joli tour de force !
Zéda croise la cellule spatiale !