La cabane de Ludovic Lecomte

Par A Bride Abattue @abrideabattue
La cabane est un livre bouleversant sur un sujet méconnu, surtout en France, mais que l’on sent bien réel. En deux mots, un lycéen se débat pour se motiver à sortir de chez lui où il est resté enfermé depuis l’avant-veille des vacances de l’automne dernier.Nous allons passer avec lui les deux prochaines heures de ce lundi 14 mai à l’issue desquelles nous saurons s’il aura réussi à poser la main sur la poignée de la porte, l’ouvrir, franchir le seuil traverser le jardin dépasser le portillon, se retrouver dans la rue (…) partir vers la droite faire, quelques pas sur le trottoir, atteindre l’angle et la boulangerie, faire demi-tour rentrer. Alors... il aura réussi. Il sera « juste » sorti dans la rue. Il aura « juste » marché quelques mètres dehors. Mais ce sera la première fois depuis six moisDit comme ça on pourrait penser que c’est un "no-problème" mais il suffit d’être attentif à quelques mots pour saisir la puissance du syndrome : j’avais épuisé mon après-midi à dormir (p. 25).Au début, cependant, la seule explication à laquelle on pense c’est le manque d’envie pour justifier une sorte de STOP absolu, de paralysie psychique. Mais on devine que ça ne suffit pas pour légitimer un tel état. Ce n’est pas une histoire d’absence de volonté ou d’ennui mais bien d’impossibilité. Sans explication.Enfin si, il existe peut-être une piste (p. 32). Le préfet a fait fermer  scolaire 24 heures avant les vacances d’automne en raison du risque potentiel d’un chantier de démolition. Ajoutez à cela des reportages sur les marches étudiantes pour le climat et vous obtiendrez une combinaison d’angoisse et de culpabilité qui peut générer une dépression et un repli sur soi.On ne sait pas qui a posé ce mot de dépression mais le garçon estime que "c’était rassurant de mettre des mots".Ludovic Lecomte ne nous révèle pas le prénom de l’adolescent, comme s’il n’existait que par ce cataclysme intérieur qui  le détruit à petit feu, avec la trouille pour seule compagnie et sa chambre pour cabane, seul endroit où il se sent (un peu) en sécurité (p. 36).L’absence de ponctuation et la typographie du récit proche de la poésie évoquent des halètements parfois, des hésitations souvent, des essoufflements lorsque les phrases sont très longues, jusqu’à ce que la lecture devienne plus facile avec des morceaux plus classiques.Le syndrome atteint toute la famille. L’auteur explore les dégâts collatéraux de parents aimants, intervenants mais impuissants. Ils réagissent différemment. La mère ruse. Le père offre un chat (il faudra le sortir), un ukulélé et un abonnement à des plateformes de téléchargement (dans le but de lui changer les idées). Tous deux investissent dans des séances de psychothérapie qui se suivent en distanciel. Mais jusqu’à présent rien n’a déclenché le moindre résultat positif.On a tous -enfin je crois- connu des journées où la moindre action exige un effort surhumain. Qui contraigne à chiller, prolonger une grasse mat au-delà du raisonnable, gâcher son temps en enchaînant les épisodes d’une série qui ne nous emballe même pas. On plaide la fatigue ou un coup de mou et le lendemain ça repart. Mais si ça durait depuis 187 jours ?Il parait que Ludovic Lecomte aime les histoires de squelettes, de chiens, de tricot, de soupe et de barbe à papa, celles dans lesquelles on collectionne les chapeaux et on partage son pull ou son parapluie, les aventures avec des vilains qui aimeraient faire peur mais font plutôt rire, celles où les cartes routières servent à se perdre ... Mais comme ces histoires sont difficiles à trouver, il a décidé de les écrire lui-même.
La cabane de Ludovic Lecomte, Collection M+ de l'Ecole des loisirs, en librairie à partir du 17 janvier 2024 - A partir de 13 ans