Si vous avez comme moi été enthousiasmé par Tutu il ne faut pas manquer Car /men. Ce ne sont pas les mêmes danseurs mais c'est toujours Philippe Lafeuille qui est aux manettes avec sa compagnie Chicos Mambo créée il y a 30 ans maintenant.Avec un tel titre on devait s’attendre à des surprises, et on avait deviné qu'elles seraient essentiellement viriles.Effectivement le chorégraphe et metteur en scène reprend Carmen de Bizet (qui est l'opéra le plus joué au monde) dans une version 100% masculine. L’idée de ce spectacle est née de son envie de retrouver l’Espagne où il a vécu dans les années 90. Il a voulu dans ce spectacle, s'attaquer, avec des hommes, à cette icône féminine, synonyme de liberté.Le pari est triplement réussi : les chorégraphies sont parfaites, avec un humour qui sied complètement à la liberté de ton que l'artiste a voulu insuffler dans la soirée. On identifie malgré tout très bien le sujet et on parvient tout à fait à décoder les clichés propres à l'Espagne, comme la tauromachie, le flamenco, les objets emblématiques de la péninsule ibérique (castagnettes, éventail, épingle à chignon, cape et montera traditionnelle du toréro, la bata de cola de la robe de flamenco à traîne …), l'univers d'une manufacture de tabacs, les points communs ou divergents de la gitane versus la bohémienne ou la cartomancienne, tout y est.La bande son est magnifique, composée des principaux airs de l'opéra mais aussi d'un beau morceau de Goran Bregovic pour le film Le temps des gitans ou d'Aberto Iglesias pour Parle avec elle.Et pour bien signifier son admiration pour ce personnage mythique il a choisi de provoquer le sourire en lançant le show avec le thème principal de Superman. Ne manquera que le Carmen de Stromae (2015) dénonçant le ravage de Twitter dans les relations affectives. Mais loin de moi l'idée de critiquer les choix du chorégraphes qui sont quasi parfaits, et très éclectiques.Plusieurs scènes se déroulent en blanc et rouge, couleur de la passion. Le noir est présent car Carmen est une tragédie mais on retrouve régulièrement un univers très coloré et fleuri comme Lafeuille en a fait sa spécialité. Il mixe également danse contemporaine, pas de gymnastique, marche militaire ou pas chassés classiques et déhanchés modernes, solo et groupes,Il oppose régulièrement le sérieux et la dérision. Il joue avec les codes. Le défilé militaire devient ainsi défilé de haute couture, marche olympique, promenade de chiens en laisse, parcours de nage. Les danseurs marchent, glissent sur des skates ou empruntent une trottinette et bien entendu dansent sublimement. L'un d'entre eux chante les airs principaux, jouant à fond le côté opéra.
Il ne pouvait pas ne pas y avoir un taureau et j'ai reconnu la magnifique tête que j'avais admirée il y a quelques mois dans le musée archéologique d'Heraklion. Elle a été trouvée lors des excavations au Petit Palais de Knossos (1600-1400 av. J.-C.). C’est le rhyton le plus beau et le mieux conservé, véritable chef-d’œuvre témoignant de la finesse de l’art minoén. Il s’agit donc d’un vase à boire en forme de corne décoré d'une tête, comme on le faisait fréquemment. Il était percé d'une petite ouverture dans sa partie inférieure.Les cornes ont été restaurées pour faire ressortir la dorure du bois. Les yeux sont en cristal de roche peint avec réalisme et le museau en coquillage avec une perle de nacre.Il faut remercier Philippe Lafeuille de nous offrir un tel spectacle de couleur, de légèreté, mais aussi de lumière et de joie, tel qu'il voulait le partager. Et, bien sûr, j'attends avec impatience que sa nouvelle création, A4 (comme la feuille), soit présentée à Paris.CAR/MEN par les Chicos MamboChorégraphe et mise en scène de Philippe LafeuilleAvec Antoine Audras, Lucas Radziejewsky, Antonin “Tonbee” Cattaruzza, Phanuel Erdmann, Samir M’Kirech, Jordan Kindell, JB Plumeau, Stéphane Vitrano
Chanteur : Antonio Macipe en alternance avec Rémi TorradoThéâtre Libre, 4 Boulevard de Strasbourg, 75010 ParisJusqu'au 4 février 2024