On m'opposera que ce peintre est un post-impressionniste mais le musée d'Orsay prêtera dans quelques semaines tout de même quatre de ses oeuvres aux musées de Caen, Clermont Ferrand et Tourcoing afin de compléter des expositions temporaires commémoratives de l'événement.
Quinze ans après Séraphine, qui fut couronné de sept César (et qui fut un des premiers articles que j'ai publiés) le cinéaste nous propose un nouveau film sur une grande figure artistique.
Il serait erroné de croire qu'il s'agit d'un biopic et Martin Provost revendique la dimension fictionnelle même si de nombreux éléments sont tout à fait inspirés de la réalité, … telle qu'il a pu la connaitre.Le désir de ce film remonte à son enfance, né d'une affiche que sa mère -qui fut peintre- lui avait rapportée d'une visite d'une exposition et qu'il avait punaisée sur le mur de sa chambre. Le parcours professionnel de cette femme qui, bien que première au concours des arts décoratifs à 18 ans arrêta une carrière qui aurait pu être prometteuse parce qu'elle se marie, et que naissent trois enfants. Le métier de son mari, officier de marine, contraignant à d'incessants déménagements, n'arrange rien.
D'autres éléments sont rigoureusement exacts. Il est amusant pour nous de voir le peintre dessiner sur un papier punaisé au mur tapissé de toile de Jouy, ce qui bien évidemment ne m’étonne pas puisqu’elle était tant à la mode en ce temps là. Et que Bonnard avait la réputation de ne pas utiliser de chevalet.On voit combien sa peinture est sophistiquée, composée de quantité de couches. Il avait beaucoup de mal à s'arrêter et il avait la réputation de venir retoucher ses tableaux une fois qu'ils étaient accrochés dans un musée. Il a fallu faire refaire 150 toiles pour les besoins du film, à différents stades d'exécution.Si l'on connait plutôt bien les Nabis il y a des personnages qui ont moins marqué l'histoire comme Misia Godebska (Anouk Grinberg) qui était alors la reine de Paris mais une artiste ratée.A propos de la distribution il faut dire que Vincent Macaigne, qui est absolument méconnaissable, fait un travail exceptionnel. C'est vraiment lui qui dessine et il a un grand mérite, même si sa mère est peintre. Cécile de France est fort émouvante. Son affrontement avec Misia au beau milieu de la rivière dans les nénuphars est une scène d'anthologie. L'eau est presque un personnage sachant que Marthe était obsessionnelle des baignoires. On la voit très vite se laver de dos dans un tub. Et peu importe si Renée Monchaty (Stacy Martin) ne s'est pas suicidée dans une baignoire. Cela reste plausible.Quant aux qualités de gastronome de Claude Monet (André Marcon), elles sont de notoriété publique. Il était abonné à plusieurs catalogues de graines et bien qu'aimant les gibiers, il avait une passion pour les légumes. Je possède Les carnets de cuisine de Monet de Claire Joyes (éditions du Chêne, 1989) que j'ouvre régulièrement.Par contre, lorsqu'il dit à Marthe Enterre-moi, cette injonction n'est pas la sienne. Elle est empruntée à la culture libanaise qui supplie Enterre-moi, mon amour, pour signifier à quelqu'un, un ami, son mari, son fils, son amoureux, qu'on l'aime très fort et que l'on ne voudrait surtout pas avoir à mourir avant lui.La lumière est soignée, on s'en doutait. Elle inonde les scènes de pleines fenêtres ouvertes. Avec son directeur photo, Guillaume Schiffman, Martin Provost tenait à échapper à l'atmosphère des films d’époque. Ils tenaient à restituer les bords de Seine sauvages à l’époque de Claude Monet qui habitait tout près et se déplaçait souvent en barque. Il fallait une lumière crue. Certains spectateurs pourront penser àUn dimanche à la campagne, de Bertrand Tavernier, qui a été lui aussi tourné près de Vétheuil.Le casting est précis. Chaque peintre ressemble à l'image qu'on s'en fait, Paul Signac, Maurice Denis, Edouard Vuillard, Paul Sérusier, tous les Nabis, jusqu'à Claude Monet tout cela participe au charme du film.On regrettera l'absence de Yolande Moreau mais il n'y avait pas de rôle à sa hauteur. Elle est présente en filigrane lorsqu'on entend les roucoulements de pigeons sur le générique parce que je me souviens des lâchers de volatiles dans Henri, le second film de la comédienne qui est aussi réalisatrice.Par contre j'ai eu plaisir à reconnaitre Isabelle Andreani que je vois très souvent au théâtre et qui fait dans ce film sa première apparition cinématographique, utilisant ses origines italiennes pour camper une hôtelière vénitienne.
La musique se fait naturelle, peu travaillée, mais accompagnant les plans sans faire d'effet, ce qui est très agréable.
Le film est ponctué de jolis moments. Par exemple ces jeux de doigts qui projettent des ombres d'animaux sur le mur blanc de la chambre. Et très vite, cet échange entre Pierre et Marthe :- Tu veux vivre avec moi ? lui demande-t-il.- Ça va pas un peu vite, lui répond-elle.- La vie aussi ça va vite, lui rétorque-t-il.Plus tard lorsque Pierre joue sur les épaules de Marthe avec une brindille (scène qui est immortalisée par l'affiche) on dirait qu'il utilise son dos comme une toile.Le réalisateur creuse un thème qui lui est cher, celui de l'émancipation féminine. J'ignorais que Marthe avait peint. Lorsqu'elle est à genoux, maniant les pastels, on la voit retrouver son enfance, lue moment où les dessins sont sublimes. On pense à la phrase de Picasso : Quand j'étais enfant, je dessinais comme Raphaël mais il m'a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. J'espère pouvoir admirer un jour ses oeuvres. Il me faudra aller au Musée Bonnard - 16 boulevard Sadi Carnot - 06110 Le Cannet qui réunit 80 de ses toiles pendant le festival de Cannes 2023.
Un des points clés, et qui fut soldé par le procès que les nièces de Marthe fit à Pierre, concernant la question de la succession et de la propriété des oeuvres d'un artiste lorsqu'il est marié sous le régime de la communauté de biens. La loi, depuis, a changé.
J'ai beaucoup aimé ce film qui nous entraine au coeur de cette période, en nous plongeant dans une fresque historique, artistique et si romanesque. On pourrait à certains moments estimer que le scénariste a poussé un peu trop loin le curseur alors que la réalité devait être encore un niveau au-dessus.
Martin Provost a confié au public que la production était très resserrée et que le planning de tournage était chronométré. Il faut croire que la contrainte rend créatif car rien ne se sent de l'autre côté de l'écran. Ce huitième long métrage n'est peut-être pas l'oeuvre d'un peintre (il réfute ce terme le concernant) mais il est l'aboutissement d'un vrai auteur qui n'a sans doute pas fini de nous enchanter, que ce soit sur ce registre ou celui, plus léger de La bonne épouse.
Précédents films de Martin Provost, chroniques sur le blog :Séraphine en 2008 et déjà au SélectOù va la nuit ?VioletteLa bonne épouse