Je parlerai du château dans un autre article de même que du Pavillon de l'Aurore dont le plafond mérite qu'on y passe une bonne heure tant il fourmille de détails. Quant à l'exposition qui occupe le Petit château (voire même "les" expositions car je crois qu'il y en a au moins deux, la préfiguration du Musée du Grand Siècle, et une temporaire intitulée Fantaisies animales, les verres de Murano de la donation Pierre Rosenberg, jusqu'au 31 mars) au 9 rue du Docteur-Berger, je n'ai tout simplement pas eu le temps d'y jeter un oeil avant la fin de la fermeture de ce domaine qui mérite plus d'une journée !
Le présent article est donc consacré à Allegoria qui se déploie dans les Anciennes Écuries parce que c’est elle qui se terminera la première, même si les organisateurs ont décidé de la prolonger jusqu’au 17 mars.
L’exposition propose un parcours didactique qui captivera petits et grands : que signifiaient l’éléphant, l’obélisque, l’abeille, la tulipe, le rameau de chêne ou le chameau, l’œuf d’autruche, le tournesol ou le coquillage ? Les réponses sont données à travers des objets, des livres anciens, et surtout un exceptionnel florilège de tableaux du XVII° siècle qui
proviennent de collections privées, de plusieurs musées des Beaux-Arts (Rennes, Quimper, Tours et Orléans), du musée du Grand Siècle, du musée du Domaine départemental de Sceaux, ainsi que des Archives des Hauts-de-Seine.Pour pouvoir s'imprégner des œuvres présentées, nous avons besoin d'en capter le sens. La première partie de l’exposition, très pédagogique, porte sur l’émergence du langage symbolique. Ensuite, une galerie de peintures allégoriques s’ouvre au visiteur.Il faut savoir qu’allégorie est un mot latin et italien, de allegorei, signifiant parler autrement. On comprend alors que ce mot désigne la personnification des idées. Un des meilleurs exemples est l’emploi de Marianne pour représenter la République française. Au sens plus large, une allégorie peut être un symbole qui n’est pas forcément un personnage, par exemple un animal, un objet … comme l’exposition en témoigne aussi.Si les allégories sont très présentes dans la peinture de l’époque baroque pour transmettre des messages religieux et politiques, leur origine remonte plus loin dans le temps, à l’Antiquité.Le langage symbolique se retrouve dès l'Égypte ancienne, à travers les écritures figuratives ou hiéroglyphes. Du signe à l'emblème, il utilise des thèmes tels que la nature morte, le langage des fleurs, les insectes, les proverbes et fables… Ce langage a été codifié par des textes, et en particulier par l’Iconologia de Cesare Ripa, publiée en 1593.
Il y présente par ordre alphabétique les sentiments humains, vertus, vices et passions, à travers des symboles antiques et ésotériques. Une fois illustrée de gravures, l’Iconologia, devient une véritable encyclopédie d’emblèmes et se diffuse dans toute l’Europe. Elle pénètre en France grâce à la traduction de Jean Baudoin entre 1636 et 1644. Sous le règne de Louis XIV, la plupart des artistes s’en inspirent, et notamment les grands décorateurs.
Chaque artiste utilise la syntaxe allégorique, soit dans le strict respect du code, soit en l’adaptant. Cette syntaxe influence toutes les écoles européennes : ainsi, des peintres aussi différents que Rubens, Vermeer ou Vélasquez avaient une parfaite connaissance de l’Iconologia de Ripa.
L’exposition commence avec les cabinets de curiosités qui témoignent du goût pour le langage allégorique. Dans cette vitrine, le poisson éponge rend hommage au créateur de l’univers. Mais on aurait pu y placer une autre créature de l’ordre animal.
Cette gravure anglaise de 1617 d’Elisabeth Ière représente la vison du monde juste après Galilée. Elle est encore géocentrée avec, sur la terre, ce singe enchainé à l’allégorie de la nature, elle-même enchainée à un nuage, censé représenter Dieu. Le cercle rose est rempli de bataillons des anges appartenant au monde céleste, qui est le monde de l’esprit.
Dans une des vitrines on peut remarquer une figue à côté d'une grenade. Cette dernière ayant une forme de pomme et contenant des graines d'un rouge intense, serrées les unes contre les autres, évoque une société composée de membres réunis en ordre pour la défense d'une même cause. Selon Pierio Valeriano (1556)
le principal hiéroglyphe et symbole de cette pomme est de signifier l'assemblée de diverses nations et peuples en un. Pour cette raison la grenade est un attributs des allégories de l'Académie, de la Concorde, de la Démocratie, de l'Eglise et de la Victoire.On pourrait aussi noter que la base carrée et le sommet pointu de l'obélisque et de la pyramide ont en commun d'évoquer le passage de la matière à l'esprit. Leur base quadrangulaire symbolise les Quatre Eléments dont la quantité va en se réduisant à mesure qu'ils s'élèvent. La pyramide est associée à la longévité et l'obélisque évoque les mystères les plus sacrés.
Néanmoins il existe des significations partagées par tous comme la rose, associée à Vénus, qui symbolise la beauté, la brièveté de la vie, l'amour et l'odorat ; le pavot évoque le sommeil en raisons de ses propriétés ; la narcisse, l'amour de soi-même ; le lys, la pureté, la pudeur et la sincérité ; l'iris, l'éloquence ; l'oeillet, les fiançailles ; la fleur d'oranger, le mariage ; la tulipe, l'aveuglement d'esprit en raison de la spéculation sur cette fleur ayant conduit au premier krach boursier de l'histoire.
Parmi les fleurs peintes en bouquets apparaissent souvent des insectes ou au pied des vases de petits reptiles, afin d'étendre le discours au monde animal. On rencontre l'abeille (diligence, industrie), la mouche (vie brève, génération spontanée), l'araignée (réussite), la cigale (musique), la fourmi (infatigable), le scarabée (la génération), la chenille (le cycle de la vie).
Nous poursuivons avec un tableau flamand intitulé Les cinq Sens qui est une des allégories les plus faciles à décrypter, même si elle semble à première vue en être éloignée :
Portraitiste oublié, ce peintre est aujourd'hui mieux connu pour ses "vanités". Celle-ci réunit quasiment tous les symboles connus pour ces Memento Mori. Elle présente un crâne retournée (désordre du monde, confusion et folie des hommes), environné de symboles évoquant les plaisirs sensuels (les étoffes précieuses, les instruments de musique, les coquillages), le Mal (l'aspic), la fuite du Temps (le sablier), la Mort (la chandelle qui s'éteint) et la Résurrection (le papillon). Le grand livre ouvert présente deux estampes : la Résurrection des morts et la Séparation des bons et des méchants, pour rappeler la part que chacun doit prendre le propre salut de son âme.
A droite se trouve la Vérité qui est une femme nue, car elle n'a rien à cacher. Elle tient un miroir qui renvoie une image parfaite puisque al Vérité est toujours exacte. De l'autre main s'élève un balance qui symbolise l'égalité qu'elle permet. A gauche, l'enfant qui chevauche un âne est l'allégorie de l'Ignorance. l'enfant symbolise la simplicité de celui qui n'a aucune connaissance et l'âne était vu comme un animal sans intelligence et qui n'en fait qu'à sa tête. L'enfant a souvent les yeux bandés pour signifier que l'ignorant est aveugle aux choses importantes.
Cette combinaison allégorique est traitée par de nombreux artistes à la fin de la Renaissance. La Vérité attend, dissimulée sous un voile sombre, nonchalamment accoudée à un rocher, que le Temps fasse son oeuvre. celui-ci lève le voile sur l'innocente nudité de celle qui jamais n'aurait dû être cachée. Pour attributs, la Vérité trouve à ses pieds un miroir et un globe sur lequel elle pose le talon pour exprimer qu’elle domine le monde.
Le Temps intervient aussi dans l'usure des sentiments passionnels : il altère la beauté, la Gloire, l'Espérance, et quantité de qualités et vertus. L'Amour est parmi les puissances créant le plus de désordre. C'est pourquoi il arrive qu'il faille calmer les ardeurs de Cupidon. Ici le Temps n'attend pas que les sentiments s'émoussent d'eux-mêmes : muni d'une force à tondre les moutons, il coupe les ailes de l'Amour et ainsi le neutralise.
Popularisé dans l'art italien, sous le titre d'Ercole al bivio (Hercule à la croisée des chemins), Hercule doit, au sortir de l'enfance, choisir entre une vie facile -mais courte et peu honorable- faite de plaisirs, et une vie assurant gloire et respectabilité -mais longue et difficile- vouée à la défense du bien. le Vice lui souffle les avantages futiles de la première ; la Vertu lui rappelle les mérites bien réels de la seconde.
En 1691, Henry Jules de Bourbon Condé (1643-1709) commanda à Michel Corneille un grand tableau destiné à la galerie des batailles du château de Chantilly. Cette oeuvre -unique en son genre- devait évoquer le repentir de Louis II de Bourbon Condé (1621-1686) -le Grand Condé- qui, durant la minorité de Louis XIV, était passé du côté de la Fronde et de l'Espagne, avant de revenir au service du roi de France, son cousin. le tableau représente le stratège empêchant une Renommée (la Réputation), à droite, de chanter ses anciennes victoires, remportées au nom de l'Espagne, tandis qu'il demande à une autre Renommée, à gauche, de sonner les succès qu'il connut sous l'étendard français. Dans le coin inférieur gauche, l'Histoire, assise sur le dos du Temps, arrache les pages de son livre relatant les souvenirs coupables de prince de Condé.
De multiples visites guidées et ateliers sont proposés en lien avec cette exposition pour tous les âges. Le jeune public notamment, pourra observer des objets sous cloche, dont la valeur symbolique est expliquée : miroir, obélisque, éléphant en porcelaine, chandelier, sablier, etc. Ils aident à comprendre, de façon ludique, les messages cachés dans les œuvres picturales.Le joyau allégorique du Domaine est la coupole du Pavillon de l’Aurore (1672), chef-d'œuvre peint par Charles Le Brun, à la demande du ministre Jean-Baptiste Colbert et dont la visite fera l'objet d'un prochain article.Allegoria, les clés de la symbolique baroqueAnciennes Écuries du Domaine de Sceaux (92)Du 15 septembre 2023 au 17 mars 2024Réservation conseillée pour la visite guidéeà resa.museedomainesceaux@hauts-de-seine.fr ou 01 41 87 29 71En cliquant sur les images ci-dessous vous aboutirez à l'article concernant les autres expositions visitantes dans le Domaine de Sceaux. Les liens seront ajoutés au fur et à mesure de la rédaction des articles.