Mattmark ? C'est le nom d'un barrage dans la vallée de Saas en Valais. Alors qu'il est en construction, le 30 août 1965, un pan du glacier de l'Allalin, qui le surplombe, s'effondre sur les baraques du chantier. 88 personnes perdent la vie.
Parmi ces victimes, Luigi, qui a une double vie. En effet il est marié à Sveva, qui attend de lui un enfant, et il est l'amant de Clémence qui est également enceinte de lui, si bien que Luigi, sans l'imaginer jamais, aura deux enfants posthumes.
L'enfant de Clémence s'appelle Hector, celle de Sveva, Vittoria. L'un et l'autre ignorent qu'ils forment une fratrie et qu'ils sont nés à sept mois d'intervalle. Le père d'Hector est inconnu, celui de Vittoria est mort lors de la catastrophe.
Clémence vit en Suisse. Sveva en est partie à la suite de la catastrophe et vit au bord de la mer, en Italie du Sud, qu'elle avait quittée pour suivre son mari. L'une est considérée comme une fille-mère, l'autre comme une veuve éplorée.
Iacopo, que tout le monde appelle Joseph depuis qu'un fonctionnaire l'a prénommé ainsi à sa descente du train, travaillait sur le chantier avec deux autres compatriotes, Luigi justement et Giuseppe, qui périrent dans la catastrophe de 1965.
Quand le glacier avait vomi ses caillots, il avait enseveli les deux compari de Joseph, qui avait découvert leurs corps. Au cimetière où ils sont enterrés, Joseph a entendu leurs âmes dire qu'il les avait oubliés. Celle de Luigi lui a demandé:
Iacopo, où est ma femme? Et l'enfant? Tu as vu l'enfant?
Peut-être Joseph aurait-il voulu oublier ce terrible drame humain, mais le destin en décida autrement. Un 30 août, une cérémonie commémorative eut lieu dans ce cimetière et Joseph y rencontra Sveva. Il était désormais exclu qu'il oublie.
Avec beaucoup de tact, Chiara Meichtry-Gonet raconte que cette rencontre ne pouvait en rester là et qu'elle devait avoir un prolongement pour l'histoire de cette famille décomposée et que Joseph serait le chaînon la réunissant enfin.
Les liens du sang ne conduisent pas toujours au pardon ou n'effacent pas la révolte, mais ils favorisent la sollicitude. Pour le relater l'auteure suit une chronologie générationnelle, où des touches d'au-delà meuvent les protagonistes.
Luigi serait content de voir sa descendance obtenir les réponses qu'il n'a pu lui donner lui-même et que, bien des années plus tard, le dernier de sa lignée, après un détour en Suisse, renouerait naturellement avec ses racines italiennes.
Francis Richard
Mattmark, Chiara Meichtry-Gonet, 200 pages, Bernard Campiche Editeur
Livres précédents chez le même éditeur:
Passage des coeurs noirs (2019)
Mathilde sous gare (2020)