5 Le nu de dos en Italie (1/2)

Publié le 29 janvier 2024 par Albrecht

A partir de la Renaissance italienne, le nu de dos perd le caractère marginal qu’il avait eu jusque là, et ses évolutions se se confondent avec celles du nu en général. La figure reste néanmoins assez rare. Cet article en propose un panorama, de la première à la haute Renaissance (1450-1530).

Article précédent : 4 Le nu de dos au Moyen-Age (2/2)

La copie de la nature : Pisanello

Etudes avec six nus féminins et l’Annonciation, 1425, Museum Boymans van Beuningen, Rotterdam Etude avec deux nus masculin et Saint Pierre, vers 1430, Gemäldegalerie Berlin

Pisanello

Ces études, les premiers nus de dos de la peinture occidentale, frappent par leur naturel, voisinant sans complexe avec des sujets religieux. On voit bien que le préoccupation du dessinateur est de rendre avec réalisme les attitudes d’une femme et d’un homme qui se trouvent sous ses yeux (le bâton tenu par l’homme est une commodité pour tenir la pose).

Deux études de nus
Filippino Lippi, Vers 1482, Paul Getty Museum.

Les études de nus atteignent rapidement un haut niveau de réalisme : le même modèle a été dessiné deux fois, une en vue de dos et l’autre en Saint Sébastien. On ne sait pas si ces croquis ont servi pour des tableaux.


Le nu synthétique : Pollaiuolo


Un prisonnier amené devant un juge trônant
Antonio Pollaiuolo, 1448-1498, dessin à la plume et à la sépia, British Museum

Dans cette frise très décorative, composée de huit nus, on distingue à gauche deux officiers avec leur bâton de commandement, le juge sur son trône, un prisonnier ligoté et poussé par un garde : celui-ci se retourne vers un soldat qui veut se faire justice avec son sabre, retenu par deux autres hommes sans armes.

Pour Panofsky, il s’agirait d’un épisode de la vie de Titus Manlius Torquatus, tout comme les deux autres oeuvres de Pollaiuolo que nous allons voir (cette théorie englobante n’a pas été publiée [1] ).

La composition semble surtout l’occasion d’une étude de cinq nus vus de dos.


Combats de nus

Combat de dix guerriers nus
Antonio Pollaiuolo, 1470-95, Albertina, Vienne

Ce combat à l’antique a fait l’objet d’interprétations innombrables, dont aucune ne se dégage vraiment. La variété des postures a fait penser que la gravure a pu être conçue comme un recueil d’anatomies pour les artistes [2]. D’autant que la chaîne fermée, au centre,  ne fait référence à aucun épisode connu : certains y voient une chaîne de combat, arme rarissime, ou bien un collier qui serait l’enjeu de la lutte, ou la règle à observer par les deux chefs : combattre sans le lâcher des mains.

Sur la symétrie entre les deux guerriers centraux, voir 3 Les figure come fratelli : autres cas


L’issue d’un combat (SCOOP !)


Il y en a ici deux, tous dans le camp des cinq guerriers qui portent un bandeau (en rouge), et s’affrontent à cinq autres sans bandeau.

Malgré la symétrie apparente de l’ensemble, il faut distinguer deux duels (A et B) et deux combats à trois (C et D), dans lequel l’archer ou l’homme à la hache viennent prêter main forte à un compagnon [3].

La situation semble en train de basculer en faveur du camp des guerriers au bandeau : l’un des adversaires a lâché son arc pour se défendre en combat rapproché, à la hache ; et deux autres sont à terre : celui de gauche a encore une chance, bloquant la dague de sa main gauche et repoussant l’assaillant avec son pied ; mais celui de droite est déjà transpercé.


Cette victoire des hommes au bandeau est soulignée par le bouclier posé à l’endroit.


Image inversée

En inversant l’image, on se rend mieux compte de la dynamique d’ensemble : les guerriers au bandeau sont les attaquants qui montent sur un terrain légèrement en pente, en direction de l’écriteau : la vue de dos est ainsi une manière graphique de traduire leur avancée.


L’énigme des épis

Le champ de bataille se développe entre deux oliviers, chacun portant une vigne grimpante. Mais la haie de céréales géantes qui ferme l’horizon est généralement passée sous silence par les commentateurs.


Panicule de sorgho Plant de maïs

Il s’agit probablement de sorgho, comme le propose Joseph Manca dans un article très documenté [1] , qui souligne avec pertinence tous les détails de la gravure tirant vers le primitivisme : insistance sur cette céréale connue mais méprisée par les Italiens, mélange anarchique de l’olivier et de la vigne, armes barbares, chaîne grossière comme enjeu du combat. Ainsi, la gravure illustrerait un stade primitif de l’humanité, dans le même esprit que les grandes compositions de Piero di Cosimo quelques années plus tard (voir Les pendants de Piero di Cosimo).

Jill Burke fait quant à elle l’hypothèse, sur la base d’un récit de Cadamosto, que l’image pourrait illustrer les batailles entre tribus africaines au Sénégal [4].


Le maïs et le Nouveau Monde ?

Certains auteurs reconnaissent dans ces compositions de Piero, vers 1505, l’ influence de la découverte du Nouveau Monde et de ses peuplades sauvages. Or une des merveilles ramenée d’Hispaniola par Christophe Colomb dès 1493 est le maïs, dont le gigantisme frappait l’imagination. Des épis sont envoyés au pape Alexandre Borgia, à l’époque justement où Pollaiuolo réside à Rome et termine la tombe de Sixte IV. Sur le papier; il serait possible que l’artiste ait entendu parler de cette plante remarquable et ait voulu la représenter dans la gravure, pourvu qu’on la retarde après 1493.

Cependant, la lettre de Christophe Colomb qui circulait en Italie dès cette époque insiste bien sur le caractère timoré des peuples primitifs du Nouveau Monde, et sur le fait qu’ils n’ont pas d’armes en métal [5]. Il est donc impossible d’imaginer que Pollaiuolo ait voulu les représenter.


L’autre gravure de combattants

Le combat d’Hercule et des douze géants
Ecole d’Antonio Pollaiuolo, 1470-80, Harvard Art Museums

Cette gravure pose d’inextricables problèmes. Dans son second état, le mot HERCULES a été rajouté sur le glaive du guerrier à la hache, ainsi que le texte :

Comment Hercule a frappé et vaincu douze géants.

quomodo hercules percussit et vicit duodecim gigantes

Outre que cet épisode n’a aucune source textuelle, la gravure ne montre manifestement ni des géants, ni douze combattants contre un. On a donc supposé qu’elle ne constitue qu’une partie d’une scène plus complète (noter en haut à droite la main isolée tenant un poignard). Voici un schéma synthétique de ce que l’on sait aujourd’hui [6] .


La gravure d’Allaert Claesz, en bas, est ce qui se rapproche le plus de la composition complète, mais les personnages sont loin de se correspondre deux à deux. Le fragment de dessin du Fogg Art Museum, à droite, confirme que le dessin initial, très proche du Jugement du prisonnier du British Museum, était bien de la main de Pollaiuolo. De plus, deux guerriers (l’archer et Hercule) sont identiques à deux personnages du Combat des dix guerriers nus.


Le combat d’Hercule et des douze géants (détail)

Enfin, l’idée du fond végétal est la même : on y distingue de la vigne, des roseaux, des tiges portant une efflorescence terminale, mais rien qui ressemble au sorgho.

L’impression générale est que « Le combat d’Hercule et des douze géants » est un sujet-prétexte pour une sorte de catalogue de schémas musculaires, gravés par l’atelier de Pollaiuolo pour une plus large diffusion. L’absence de nus de dos milite en faveur d’une date précoce, durant la période florentine.


Bataille entre humains et satyres
Jacopo da Barbari, vers 1490, British Museum

Quelques années plus tard, les nus de dos abondent dans cette grande gravure de bataille, pour distinguer les humains, qui montent à l’assaut, des satyres qui se défendent.


Le prestige de l’Antique

Fresque de la mort d’Adam (détail)
Piero della Francesca, 1452, Basilique San Francesco, Arezzo Deux nus masculins et deux chiens endormis
Benozzo Gozzoli, vers 1459, Gabinetto Disegni e Stampe degli Uffizi, Florence

Cette pose en déséquilibre s’explique par un modèle antique :

Pothos (le désir amoureux), d’après Scopas (inversé) Musées capitolins, Rome

La récurrence de cette pose (de dos comme de face) laisse penser que des modèles de cette statue circulaient dans les ateliers [7].

Des couples antiques réinventés

Déjanire et Hercule, Andrea Zoan, vers 1475 Vénus et Mars, Giulio Campagnola (attr), 1500-16, Brooklyn Museum

Ces deux artistes utilisent la vue de dos pour deux raisons opposées :

  • pour Déjanire, qui s’en va en tournant le dos à son époux, il s’agit d’exprimer sa jalousie (qui coûtera la vie à Hercule) ;
  • pour Vénus, il s’agit de montrer ses charmes pour séduire Mars : le geste pudique de voiler son sexe a l’effet contraire de dévoiler sa croupe, pour la satisfaction du spectateur.

Pétrarque et Laure en Apollon et Vénus, anonyme, vers 1500, Rome, Biblioteca Nazionale MS Varia 3-612 fols 138v 140

Ce dessinateur anonyme s’est plu à diviniser Pétrarque et Laure. Dans cette composition très méditée, la vue de dos traduit l’avancée d’Apollon vers Vénus, précédé par sa torche qui déjà a pénétré la page féminine. Le ruban qui flotte dans son dos souligne cette avancée, tout en équilibrant le voile de son amante. Le soleil situé derrière Apollon (dont l’épithète est Phébus) illumine Pétrarque du même coup.


Mantegna et son école

Saint Jacques mené à son exécution, fresque de la chapelle Ovetari, à Padoue, détruite en 1944 Etude pour la fresque, British Museum

Mantegna, vers 1455

Cet exemple précoce prouve que, dès le milieu du XVème siècle, le nu est utilisé pour la mise en place rapide de grandes compositions : ici la célèbre contre-plongée qui dramatise l’arrestation de Saint Jacques.

Variations sur la Descente aux Limbes

Descente aux Limbes
Mantegna, vers 1475, anciennement collection Barbara Piasecka Johnson

Le point commun de toutes les compositions mantegnesques sur ce sujet est l’extraordinaire invention du Christ vu de dos à l’entrée des Limbes, tendant la main droite vers un patriarche encore emprisonné à l’intérieur. Deux des patriarches sont déjà sortis, celui de gauche flanqué d’Adam jeune (en tant que Père de l’Humanité) et d’Eve jeune (en tant qu’épouse légitime). A noter que la scène constitue la partie inférieure d’un panneau qui comportait en haut la Résurrection (voir 3 La Chapelle Gaillard Roux à Rodez)

Cette composition très originale a été précédée par d’autres, dont la chronologie et l’attribution restent incertaines [8].

Le Christ aux Limbes, Mantegna (attr.), vers 1468

Cette composition, probablement la première, comporte beaucoup plus d’éléments narratifs :

  • les trois démons vus en contre-plongée (deux sonnent de la trompe pour tenter bien inutilement d’effrayer les fugitifs) ;
  • une vieille Eve et un vieil Adam (vu de dos), avec un troisième homme qui se bouche les oreilles ;
  • le Bon Larron portant sa croix.

C’est un passage de l’Evangile de Nicodème qui permet de l’identifier :

« Voici qu’il survint un autre homme très misérable portant sur ses épaules le signe de la croix. Et lorsque tous les Saints le virent, ils lui dirent : « Qui es-tu ? ton aspect est celui d’un larron, et d’où vient que tu portes le signe de la croix sur tes épaules ? » Et leur répondant, il dit : « Vous avez dit vrai, car j’ai été un larron commettant tous les crimes sur la terre. Et les Juifs me crucifièrent avec Jésus, et je vis les merveilles qui s’accomplirent par la croix de Jésus le crucifié, et je crus qu’il est le Créateur de toutes les créatures et le Roi tout-puissant, et je le priai, disant : Souviens-toi de moi, Seigneur, lorsque tu seras venu dans ton royaume. Aussitôt, exauçant ma prière, il me dit : « En vérité, je te le dis, tu seras aujourd’hui avec moi dans le Paradis. » Evangile de Nicodème, chapitre XXVII

Autrement dit, l’image comprime deux moments :

  • celui où le Christ délivre les Justes des Limbes ;
  • celui où, après avoir fait leur entrée au paradis, ils y rencontrent le bon Larron qui s’y trouve déjà depuis la Mort du Christ.

Mantegna suppose en somme que le Bon Larron est sorti du Paradis pour attendre les Justes sur le chemin.

L’homme qui se bouche les oreilles pose plus de problèmes. Certains, par symétrie, y ont vu le Mauvais Larron, ce qui semble théologiquement acrobatique. Vu sa place au côté d’Adam et d’Eve, d’autres y reconnaissent leur fils Caïn, autre personnage négatif peu crédible parmi les Justes. Le plus logique est qu’il s’agit de Seth, le troisième fils engendré pour remplacer Abel, qui s’inscrit dans la lignée des patriarches, et qui prend la parole dans l’Evangile de Nicodème. Ici, il se bouche les oreilles non par honte, mais parce qu’il est accablé, comme ses parents, par le vacarme des démons.

Mantegna (atelier), vers 1470, MET

Ce dessin constitue une évolution vers plus de sobriété narrative. Les trompes ont disparu : les démons se contentent de hurler et seule Eve est importunée. Adam rend grâce et Seth s’est anonymisé derrière les parents de l’Humanité.

L’évolution la plus remarquable est celle du Bon Larron : la vue de dos le pose comme un assesseur du Christ, présentant la grande croix de la Passion en symétrie de l’étendard de la Passion.

Marcantonio Raimondi, 1512, photo L.Chastel (c) RMN Albrecht Altdorfer, 1512

Marcantonio Raimondi a bien saisi l’idée de Mantegna, et la développe encore : il décale Eve à l’écart, assourdie par une trompe en hors champ qui lui fait, tout de même, payer le Péché originel. A droite, entre l’étendard qui tient en respect un démon et et la croix qui en fait fuir un autre (on ne voit qu’une patte palmée), le Christ accueille un Adam juvénile devenu une sorte d’alter-ego du Bon Larron.

Altdorfer, la même année, transpose la composition de Raimondi dans un extérieur nébuleux et fait faire à Eve, qui échappe à peine au démon, un geste simiesque et obscène.

Le jour et la nuit ? (SCOOP !)

Diane, Mars et Iris (?)
Mantegna, 1495-1500, British Museum, Londres

Ce nu debout vu de dos n’a pas été identifié avec certitude : il pourrait s’agir de Vénus ou plus vraisemblablement d’Iris (il semble que la forme derrière elle est un arc-en-ciel).

A gauche, Diane est représentée, de manière assez rare, avec une torche renversée : symbolisant la Lune qui brille pendant la Nuit, elle s’oppose logiquement à Iris, le Jour. La vue de face et la vue de dos auraient ici pour fonction de renforcer cette antithèse.


Les Bacchanales

Bacchanale à la cuve et bacchanale au satyre
Mantegna, avant 1481

La plupart des spécialistes reconnaissent dans ces deux gravures non pas des pendants, mais une scène continue, de part et d’autre de la flaque de vin qui s’échappe de la barrique. Ce schéma résume le peu de certitudes qui se dégagent des nombreux travaux consacrés à cette paire ( pour une synthèse récente, voir [9], p 427-432)) :

  • les deux scènes se ferment à droite par un groupe de deux musiciens (en bleu) ;
  • chaque scène comporte un couronnement (en vert) : de Bacchus à gauche, de Silène à droite.

De nombreuses tentatives ont été faites pour relier cette scène éminemment antiquisante à des fragments antiques que Mantegna aurait pu voir.

Pour la gravure « à la cuve », la figure de Bacchus debout, reprend la pose classique d’Apollon dans de nombreuses figurations. L’homme nu vu de dos (en violet), vêtu d’une peau de lynx, n’a pas d’antécédent connu (l’absence de la massue exclut qu’il s’agisse d’Hercule). De plus sa haute taille, et le personnage qu’il porte sur ses épaules, le rendent incompatible avec le format d’un bas-relief.



La gravure « au silène » a été rapprochée, de manière assez convaincante, de trois groupes, d’un sarcophage bacchique autrefois à Sainte Marie Majeure et aujourd’hui au British Museum. Le groupe de Silène porté par un âne existe dans d’autres sources [10] , mais le Silène obèse, sans barbe et porté dans un linge, semble bien être une invention de Mantegna.

Le thème du portage (SCOOP !)


La haute présence du nu de dos, à l’entrée de la première gravure, donne à celle-ci une forte composante ascensionnelle. Entre lui et les musiciens, Bacchus victorieux et son jeune compagnon endormi illustrent peut-être un concours d’ivresse. Le jet jaillissant du tonneau initie un mouvement vers la gravure de droite, où le cortège de Silène se met en branle pesamment, précédé par les deux autres musiciens. Notre grand porteur vu de dos se décompose ici en quatre porteurs écrasés par leur charge. Le thème du portage, qui à gauche était lié au noble couronnement de Dionysos, prend ici une connotation comique : il s’agit seulement d’éviter à trois patapoufs de se mouiller les pieds.

vers 1497, MET vers 1500, Albertina, Vienne

Hercule et Antée, Ecole de Mantegna

Hercule utilise le seul moyen pour vaincre le géant Antée : le décoller de la terre-mère qui lui donne sa force. Ce sujet, peu traité par la statuaire antique, est devenu très populaire chez les sculpteurs italiens du XVIème siècle, de par les postures spectaculaires qu’offrent la lutte et le portage.

Ces deux gravures mantegnesques montrent probablement le recto et le verso d’un même groupe sculpté, qui n’a pas été retrouvé.


Le réalisme anatomique : Signorelli

Le retable Bicchi

Figures dans un paysage, panneaux provenant de la cappella Bichi, Sant’Agostino (Sienne)
Luca Signorelli, 1488-90, Toledo Museum of Art

C’est le contexte de la baignade qui justifie les premiers nus debout vus de dos de Signorelli. Celui-ci exploite d’emblée deux particularités essentielles du motif, bien connues depuis l’Antiquité   :

  • sa capacité à ouvrir et/ou à fermer une composition, comme par une parenthèse ;
  • son fonctionnement « en contraposto » avec une figure vue de face, soit assise soit habillée.

Ces deux fragments seraient assez énigmatiques si nous ne possédions une description assez précise du retable dont ils proviennent, démembré au XVIIIème siècle :

Dans l’arcade centrale … dans laquelle, comme il a été écrit, la statue de S.Christophe est placée, il y a à l’avant dudit site, peints en couleur sur panneau, plusieurs personnages dont on ne peut reconnaître à coup sûr la signification, en tout cas, en observant les visages représentés, les figures nues, et d’autres, certaines en train de se déshabiller, et d’autres de se rhabiller près d’une rivière qui y est montrée, on en vient à comprendre que ce tableau fait allusion au métier de passeur exercé par St Christophe : puisque ceux qui se trouvent dans une telle occasion, sans que personne ne les transporte sur l’autre rive, doivent se déshabiller pour passer, puis s’habiller quand ils sont passés… Et parce que les dites figures sont en haute estime, et que les Intendants de la Peinture les disent être de bonne manière et bien peintes, il en a été fait ici une copie séparée, puisque la statue de Saint-Christophe, en empêchant la vue totale , n’en laisse pas connaître la disposition et la conception qu’on peut observer ici tout ensemble, dans le présent livre, à la page susmentionnée..

Description par Galgano Bicchi, 1720-30 [11]

Nell’arco di mezzo… nel quale vi è scritto esser collocata la statua di S. Cristolano, vi sono nel di fronte di detto sito dipente a colori in tavola piu figure, le quali ancorche con certezza di sapere, non si possa conoscere qual cosa debbano significare, ad ogni modo coll’ osservar visi rappresentate -figure nude, ed altre, parte in atto di spogliarsi, ed alcune di vestirsi vicino ad un fiume ivi dimostrato, si viene a comprendere, che tal dipintura é allusiva alla professione esercitata di S. Cristofano di Passatore d’Acqua di Fiume: poiche quelli che trovansi in tal occasione, senza alcuno che gli passi all’ altra riva, soglionsi levar di dosso le vesti per passare, e rivestirsi allorche sono passati…. E perchè le dette Figure sono in molto stima , e vien detto dagli Intendenti di Pittura esser di buona maniera , e ben dipente , se ne fa qui per tal motivo particolar copia, mentre che la statua di S. Cristofano coll ‘ impedire la total veduta , non lassa conoscere la dispositione, et il Designo, come observasi tutto in un tempo nel presente Libro alla Facciata – sopracita.

Ainsi les deux personnages de gauche se déshabillent avant de se mettre à l’eau, tandis que le nu de droite est en train de se sécher avec une serviette, à côté d’une femme à la robe mouillée qui a traversé en portant son enfant sur l’épaule.

Hypothèse de reconstruction, d’après Martina Ingenday [12]

Les panneaux subsistants sont conservés dans différents musées [13]. J’ai repris ici la reconstruction proposée par Martina Ingenday, en remettant dans l’ordre logique nos deux panneaux, partiellement cachés derrière la statue de Saint Christophe.



La conception d’ensemble du retable est surprenante, puisque la niche centrale ne forme pas avec les deux autres un espace continu : les minuscules figures des passants derrière la robe de Marie Madeleine ne sont pas à la même échelle que celle des baigneurs, et le paysage ne se raccorde pas.



En outre, comme l’a remarqué Martina Ingenday, les deux panneaux centraux se raccorderaient mieux en le présentant dans l’autre sens, et légèrement décalés en hauteur : la traversée se lirait alors non pas de gauche à droite, mais du fond vers l’avant, les personnages se trouvant sur une sort d’île, et les deux nus debout se trouvant totalement occultés par la statue du Saint.

L’Education de Pan, 1490, détruit à Berlin en 1945 Vierge à l’Enfant, 1492-93, Alte Pinakothek, Munich

Quoiqu’il en soit, ces deux panneaux sont fondateurs pour Signorelli : il reprendra la figure du nu à la serviette quasiment à l’identique dans le grand chef d’oeuvre de la même époque, L’Education de Pan.

Quant au nu qui ôte sa sandale, qui figure également dans la Vierge à l’Enfant de Münich, il dérive de la célèbre statue antique du jeune homme ôtant une épine de son pied :

Spinario, Musées capitolins, Rome


Les fresques de l’Apocalypse à la cathédrale d’Orvieto

Fresque de la résurrection de la Chair (détail en bas à droite), capella San Brizio, Duomo di Orvieto Dessin préparatoire, Louvre

Signorelli 1499-1502

Dix ans plus tard, Signorelli multiplie les nus et les squelettes dans toutes les positions. Comparée au réalisme anatomique de l’étude, la stylisation des formes dans la fresque est un expressionnisme délibéré.

Né à la fois de la copie de la nature, de l’imitation de l’antique et de la rivalité avec la sculpture (voir Comme une sculpture (le paragone)), l’innovation quelque peu scandaleuse du nu debout vu de dos progresse ici d’un cran dans le déshabillage : jusqu’à l’os.


Le nu idéalisé : Raphaël

Deux hommes nus et un agneau,  Musée Bonnat,Bayonne Trois hommes nus debout, 1505-08, British Museum, Londres

Raphaël

Le nu, mémorisé sous tous ses angles, est pour Raphaël l’étape indispensable dans la mise en place des compositions.


Raphaël : nus masculins

Trois nus masculins, 1515, Albertina La bataille d’Ostie (détail), 1514-17, fresques des Loges du Vatican

Raphaël

L’étude est parfois, pour le plaisir ou pour l’épate, poussée plus loin que strictement nécessaire : ce dessin très célèbre a été envoyé par Raphaël à Dürer, qui l’a daté et authentifié de sa propre main dans le texte de droite [14]. La perfection de la représentation du corps humain disparaît dans le résultat final : un personnage assez banal, servant d’admoniteur auprès du pape.

Le jugement de Salomon Apollon et Marsyas

Raphaël, 1508-11, Voûte de la Chambre de la Signature, Vatican

Les deux seuls nus de dos masculins de Raphaël sont voilés, et concernent un personnage secondaire, mais décisif dans une scène dramatique :

  • le soldat qui se prépare à trancher en deux le bébé ;
  • le juge qui déclare Apollon vainqueur du concours musical, condamnant Marsyas à être écorché.



Ces deux nus presque identiques se font pendant aux deux angles de la Chambre de la Signature, dans des sujets qui combinent les thèmes des murs adjacents :

  • le Jugement de Salomon entre la Philosophie et la Justice ;
  • le Supplice de Marsyas entre la Théologie et la Poésie.

Raphaël : nus féminins

Les Trois Grâces

Copie romaine d’un original grec, Bibliothèque Piccolomini, Sienne Francesco del Cossa, vers 1470, détail de la fresque du Mois d’Avril, Palais Schifanoia, Ferrare (inversée)

Retrouvé à Rome en 1465, ce groupe antique appartenait à la collection Colonna au Quirinal, avant d’être transféré à Sienne à la Bibliothèque Piccolomini. Cossa est le premier à l’avoir reproduite, en l’inversant (la jambe d’appui de la statue centrale est la droite).

Raphaël et atelier, Libretto del disegno, Accademia, Venise Raphaël, 1504, Musée Condé, Chantilly

Les Trois Grâces

Directement calquée sur le groupe antique, cette composition très harmonieuse peut s’analyser comme un répertoire de symétries : figures en miroir (vert et jaune), recto/verso (vert et bleu), inversées (bleu et jaune). Pour plus de détails, voir Comme une sculpture (le paragone).

Raphaël va reprendre à plusieurs reprises l’idée du nu de dos dans un trio féminin, formule qui deviendra très courante pour les Trois Grâces ou les trois Déesses du Jugement de Pâris.

Le jugement de Pâris

Le Jugement de Pâris
Raphaël (attribué), 1512, collection Malmesbury, Heron Court

Après avoir été longtemps attribué à Giorgione pour son climat très vénitien, ce tableau a été attribué à Raphaël par Greame Cameron (on croit pouvoir lire, difficilement les lettres RV 1512 sur la pomme). Une étude des repentirs a montré que la composition avait évolué lors de la réalisation (changement de main de la pomme, emplacement du chien, déplacement du Mercure en vol [16] ). Comme on ne connaît pas de dessin préliminaire de l’ensemble, on suppose que le groupe des trois femmes a évolué par collages à partir de croquis d’atelier, avec possiblement une intention autobiographique : Pâris serait un autoportrait de Raphaël et la femme de gauche (Junon) aurait les traits de sa célèbre amante, la Fornarina [17] .



Si elle est bien de Raphaël, la composition s’expliquerait assez bien à partir du pendant de 1504 : l’arbre, le mont à l’arrière-plan et la position couchée de Paris reprennent le Songe de Scipion, et le groupe des Trois Déesses est obtenu par compaction à partir des Trois Grâces, la femme de dos, passant à droite pour clore la composition et laisser la place centrale à Vénus victorieuse .

Jugement de Pâris, 1510-18, gravure de Marcantonio Raimondi

Une source textuelle indique que cette gravure a été réalisée d’après un dessin de Raphaël [18], qui n’a jamais été retrouvé.

Sarcophage de Pâris, Codex coburgensis planche 58, Coburger Landesstiftung

Ce sarcophage, conservé aujourd’hui à la villa Médicis, ici reproduit dans son état au milieu du XVIème siècle, explique la plupart des éléments de la composition : il est donc probable que le dessin perdu de Raphaël était un croquis fait à partir de ce sarcophage, avec quelques recompositions.



Le sarcophage est centré sur la figure de Pâris [19], vu de face, qui sépare les deux scènes : à gauche le Jugement, à droite, l’envol des Déesses vers l’Olympe.

La recomposition Raphaël/Raimondi consiste essentiellement à supprimer les duplications. Le second Pâris, qui servait de pivot entre la scène terrestre et la scène céleste, est remplacé par Minerve vue totalement de dos, et qui sert de pivot à la nouvelle composition. Le groupe des trois nymphes de gauche est repris d’un autre sarcophage romain (Codex coburgensis planche 59), aujourd’hui à la villa Doria Pamphili. Le groupe qui leur fait pendant à droite, les trois dieux fluviaux assis, a connu une belle postérité puisqu’il a été repris par Manet comme base de son Déjeuner sur l’Herbe.


Cette généalogie n’est qu’une parmi les nombreuses manières de relier ces oeuvres sur lesquelles on ne sait rien de sûr, et de suivre la migration des motifs chère à Warburg [20], qui avait déjà relevé l’invention de la Minerve vue de dos :

« On retrouve encore sur la gravure de Marcantonio une autre figure qui révèle un changement d’attitude à l’égard du motif mythique : la femme nue vue de dos, en train de jeter son vêtement par-dessus sa tête. Sur le sarcophage, ce motif n’apparaît pas ; il se peut qu’il ait été repris d’une statue antique, pour cette figure identifiée ici comme Minerve par le bouclier et le casque à plumes qui reposent à côté d’elle sur le sol. Sur le sarcophage, elle apparaissait comme la fille offensée de Zeus, se précipitant vers le haut en armure complète, telle un oiseau en colère. »

Les fresques de la Salle de Psyché

Ces fresques empreintes d’érotisme illustrent les amours contrariées du commanditaire, le riche banquier Agostino Chigi, avec Francesca Ordeaschi, fille d’un simple épicier vénitien [20].


Le Conseil des Dieux
Raphaël, 1517-18, Salle de Psyché, Villa Farnesina, Rome

Le jeune garçon vu de dos est ici un personnage principal, puisqu’il s’agit du dieu Amour. La scène illustre fidèlement un passage de l’Ane d’Or d’Apulée, dans lequel Amour plaide auprès des Dieux la cause de Psyché, la simple mortelle dont il s’est épris :

Jupiter  » convoque sans délai tous les dieux à l’assemblée… et siégeant sur un trône élevé, commence ainsi: …il a choisi une jeune fille et lui a pris sa virginité: qu’il la garde, qu’il la possède, que, dans les bras de Psyché, il jouisse toujours de celle qu’il aime. Et se tournant vers Vénus : et toi, ma fille, dit-il, ne sois pas triste et ne redoute pas cette union avec une mortelle pour la condition de ta noble maison. Je ferai en sorte que ce mariage ne soit pas disproportionné, mais valable et conforme au droit civil, et aussitôt, il ordonne à Mercure d’enlever Psyché et de l’amener au ciel. Puis, lui tendant une coupe d’ambroisie : prends, dit-il, Psyché, et sois immortelle, l’Amour ne s’écartera jamais de cette union qui te l’attache, et votre mariage sera indissoluble. »

La femme qui retient Amour par son aile est donc Vénus, qui s’inquiète pour son standing. Psyché est la jeune femme qui se présente à l’extrême-gauche pour boire la coupe d’ambroisie.

Le sujet illustre surtout les amours contrariées du commanditaire, le riche banquier Agostino Chigi, avec Francesca Ordeaschi, fille d’un simple épicier vénitien [15].


Le Festin des Dieux
Raphaël, 1517-18, Salle de Psyché, Villa Farnesina, Rome

« Et aussitôt, on sert un magnifique repas de noces. Sur le lit d’honneur était le mari, tenant Psyché embrassée, et, de la même façon, Jupiter avec sa Junon, et, ensuite, par ordre, tous les dieux. La coupe de nectar, qui est le vin des dieux, est présentée à Jupiter par son échanson, le petit paysan, les autres sont servis par Liber ; Vulcain faisait la cuisine. Les Heures mettaient partout l’éclat pourpre des roses et d’autres fleurs, les Grâces répandaient des parfums, les Muses faisaient entendre une musique harmonieuse. Apollon chanta en s’accompagnant de la lyre, Vénus, au son d’une belle musique, dansa gracieusement, après s’être constitué un orchestre dans lequel les Muses chantaient en chœur, un Satyre jouait de la double flûte et un Pan du chalumeau. C’est ainsi que Psyché passa, selon les règles, sous la puissance de l’Amour. »

L’homme de gauche est Apollon, dont la vue de dos permet un effet de devinette (elle cache sa lyre) tout en se justifiant par l’interaction avec Vénus qui danse. Les trois femmes en haut à droite, dont celle du centre est vue de dos, sont une évolution des Trois Grâces, ici répandant des parfums. Le nu de dos le plus inventif celui de l’épouse d’Hercule, non mentionné dans le texte : il s’agit d’Hébé, l’ancienne échansonne de Jupiter. Le geste de son bras fait écho à celui du nouvel échanson, Ganymède tendant la coupe, tandis que son séant en saillie donne du relief à la table et du piment au festin.


Hébé (inversée)

Lit de Polyclitus, Palazzo Mattei di Giove, Rome Stuc de Giovanni da Udine, dessin de Raphaël, 1516-19, Loges du Vatican

Une des sources possibles de cette pose est le Lit de Polyclitus, un bas-relief supposé antique dont plusieurs copies ont circulé à l’époque, et dont on pense aujourd’hui qu’il s’agit d’une invention du XVIème siècle par collage de deux motifs antiques [20a]. Cette vue de dos était en tout cas dans les préoccupations de Raphaël à l’époque, puisqu’il l’a reproduite pour un stuc des Loges du Vatican.

Cupidon et les Trois Grâces, Raphaël et atelier, 1518, Loggia d’Amour et de Psyché, Villa Farnesina, Rome

Saluons enfin une dernière variation sur les Trois Grâces, où celle vue de dos s’est désormais décalée en première position, dans une pose qui imite celle d’Hébé.


Le nu didactique : Vinci

Homme de Vitruve, 1490, Gallerie dell’Accademia, Venise 1504-06, Royal collection trust

Léonard de Vinci

A peu près à l’époque où il prépare la fresque de la Bataille d’Anghiari, Vinci s’écarte de la représentation idéalisée du corps humain, basée sur des proportions géométriques, pour une représentation anatomiquement très précise : sous le modelé délicat on peut identifier tous les muscles de cet individu particulier, un musicien nommé Francesco Sinistre [21] .

Etude de nus pour la Bataille d’Anghiari
Léonard de Vinci, 1505-08, Biblioteca Reale, Turin

Dans cette étude, sans doute sous l’influence de ses premières dissections, Vinci détaille les masses musculaires, comme s’il s’agissait d’écorchés.


Le nu exacerbé : Michel-Ange

1501-04 1504-05, Casa Buonarroti, Florence

Michel-Ange

Pour le sculpteur, la vue « di schiena » est l’occasion de modeler des corps bodybuildés, sortes de paysages musculaires qui font tomber dans l’oubli les anatomies de Signorelli. Le second dessin est une étude pour « La bataille de Cascina », grande fresque qui devait décorer la Salle du Conseil du Palazzo Vecchio de Florence, et dont seul le carton a été réalisé.

La bataille de Cascina, copie par Sangallo, 1542
Michel-Ange, 1505

Les Florentins, qui se baignaient dans l’Arno, sont surpris par les Pisans mais finissent par remporter le combat. La baignade justifie la nudité, l’escalade et l’assaut les vues de dos.

Marcantonio Raimondi, 1509-10, MET

Ces figures spectaculaires seront reprises en gravure par Marcantonio Raimondi.

Homme au drapeau
Marcantonio Raimondi, 1500-34, MET

Cette autre vue de dos héroïque a eu sa célébrité, puisque regravée à l’identique par Agostino Veneziano vers 1525. Il pourrait s’agir simplement d’un morceau de bravoure de drapé et d’anatomie, mais le lion qui veille semble faire contraste avec le sphinx du cimier, aveuglé par le plumet. Comment se raccrochent au casque les deux autres plumets tombant vers le bas ? Quel est ce motif de flammes coincé sous la dalle de droite : un brasier souterrain, une plante ? Enfin, que signifie la hampe courbée de la bannière : le guerrier tente-t-il de la planter, de la déplanter, ou de la maintenir contre le vent ? Faute d’éléments de comparaison, le sujet, comme d’autres gravures attribuées à Raimondi, risque de nous rester totalement impénétrable.

Michel-Ange maniériste

Au plafond de la chapelle Sixtine (1511-12) ne figurent que deux nus de dos : deux ignudi assis au centre, associés à une figure de Dieu, lui-aussi vu de dos (voir 1 Les figure come fratelli : généralités).

Vingt ans plus tard, les nus de dos sont nettement plus nombreux dans le Jugement Dernier, ce qui est logique d’un point de vue statistique (300 figures, nues pour la plupart) , mais aussi parce que le maniérisme a entre temps largement banalisé la vue de dos.

Les Elus sauvés Les Damnés précipités

Jugement Dernier, Michel-Ange, 1536-41, Chapelle Sixtine

Dans ces deux groupes qui se font pendant, le nu de dos est utilisé de deux manières différentes.

Chez les Elus, il est minoritaire (deux seulement), et exprime l’élan vers le haut et l’arrière-plan.

Chez les Damnés, poussés depuis le haut par des anges habillés et tirés vers le bas par des démon, il est majoritaire (cinq sur sept) et exprime une notion d’inversion. L’un des deux damnés vus de face est tête en bas, autre forme d’inversion ; l’autre exprime sa perdition par une double abolition, du mouvement et de la vue.


Etude pour le groupe central, Musée Bonnat, Bayonne (C) RMN photo René-Gabriel Ojéda

Dans cette étude préparatoire, Michel Ange avait envisagé de représenter des Saint vus de dos, faisant cercle devant le Christ.


Etude pour le Jugement dernier, Musée Bonnat, Bayonne (C) RMN photo René-Gabriel Ojéda

Puis s’est présentée l’idée d’un groupe centré sur un nu de dos debout, épaulant du bras gauche un autre personnage et tenant du droit le montant vertical d’une croix : peut être le Bon Larron, Dismas, le premier Saint à accéder au Paradis.

Michel-Ange, 1536-41, Chapelle Sixtine

Finalement, ce personnage a été casé à un emplacement privilégié, à la droite du Christ, établissant un pont entre Marie et une autre femme qui regarde en arrière. On y reconnaît habituellement Saint André, à cause de sa croix (mais il en manque un bout, et le X est très dissymétrique). Jack Greenstein ([21a], note 72) a trouvé une bonne raison à sa présence entre Jean Baptiste et le Christ, dans le fait qu’il est le tout premier disciple de Jean Baptiste à avoir suivi le Christ, et à en avoir entraîné d’autres :

« Or, André, le frère de Simon-Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu la parole de Jean, et qui avaient suivi Jésus ». Jean 2,40

Ici, il continue de jouer ce rôle en attirant vers le Christ la femme à l’arrière-plan.

On pourrait donc justifier la présence provocatrice de cet homme qui s’exhibe sous les yeux de la Vierge Marie par une combinaison de raisons :

  • graphique : amorcer l’effet de relief des saints en cercle autour du Christ ;
  • théologique : donner la place d’honneur à Saint André, le premier des disciples ;
  • cryptique : entretenir (par la croix peu reconnaissable) l’ambiguïté avec Dismas, le premier des saints, et dont la Croix était plantée justement à cet endroit, à la droite du Christ.


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Références : [1] Joseph Manca, « PASSION AND PRIMITIVISM IN ANTONIO POLLAIUOLO’S « BATTLE OF NAKED MEN », Notes in the History of Art , Spring 2001, Vol. 20, No. 3 (Spring 2001), pp. 28-36 https://www.jstor.org/stable/23206983 [2] https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_the_Nudes_(engraving)
Sur les différents états de la gravure :
https://www.clevelandart.org/exhibcef/battle/html/4286621.html [3] Certains pensent que l’homme à la hâche (D1) menace l’homme penché (D2), qui est pourtant du même camp d’après le bandeau. Pour une analyse détaillée du combat et une interprétation très discutable (le meurtre de Giuliano de Medicis), on peut lire
http://e-arthistory5.blogspot.com/2016/03/pollaiuolos-battle-of-ten-naked-men.html [4] https://renresearch.wordpress.com/2011/03/12/pollaiuolos-battle-of-naked-africans/ [5] The Spanish Letter of Columbus to Luis de Sant’ Angel, Escribano de Racion of the Kingdom of Aragon, Dated 15 February 1493 http://www.thehistoryblog.com/archives/24975 [6] Michael Vickers « A Greek Source for Antonio Pollaiuolo’s Battle of the Nudes and Hercules and the Twelve Giants » 1977, The Art Bulletin https://www.academia.edu/1171164/A_Greek_Source_for_Antonio_Pollaiuolos_Battle_of_the_Nudes_and_Hercules_and_the_Twelve_Giants [7] Francis Ames-Lewis, « Benozzo Gozzoli’s Rotterdam Sketchbook Revisited », Master Drawings Vol. 33, No. 4 (Winter, 1995), p 399 https://www.jstor.org/stable/1554240, [8] Anna Forlani Tempesti « Italian Fifteenth- to Seventeenth-century Drawings » MET p 31 https://books.google.fr/books?id=-Cn70h46H_EC&pg=PA31 [9] Heather O’Leary McStay, “Viva Bacco e viva Amore”: Bacchic Imagery in the Renaissance
, Ph.D., Columbia University 2014 https://academiccommons.columbia.edu/doi/10.7916/D81C2484/download [10] Michael Vickers « The ‘Palazzo Santacroce Sketchbook’: A New Source for Andrea Mantegna’s ‘Triumph of Caesar’, ‘Bacchanals’ and ‘Battle of the Sea Gods’, The Burlington Magazine, Vol. 118, No. 885 (Dec., 1976), pp. 824+826-835 https://www.jstor.org/stable/878619 [11] Robert Vischer, Luca Signorelli und die italienische Renaissance, 1879, p 243, https://books.google.fr/books?id=B_FjrUYXrooC&pg=PA243 [12] Martina Ingenday, « Rekonstruktionsversuch der ‘Pala Bichi’ in San Agostino in Siena » Mitteilungen des Kunsthistorischen Institutes in Florenz 23. Bd., H. 1/2 (1979), pp. 109-126 https://www.jstor.org/stable/27652470 [13] https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Paintings_of_Pala_Bichi_by_Luca_Signorelli [14] Arnold Nesselrath, « Raphael’s Gift to Dürer », Master Drawings, Vol. 31, No. 4, Essays in Memory of Jacob Bean (1923-1992) (Winter, 1993), https://www.jstor.org/stable/1554084
Voir aussi : http://e-arthistory5.blogspot.com/2017/10/raphael-and-durer.html [16] https://artintheblood.typepad.com/art_history_today/2012/03/the-malmesbury-judgement-of-paris-the-full-picture-updated-research-report-4.html [17] https://artintheblood.typepad.com/art_history_today/2012/01/the-malmesbury-judgement-of-paris-the-full-story-3.html [18] Henri Delaborde, « Marc-Antoine Raimondi; étude historique et critique suivie d’un catalogue raisonné des oeuvres du maître » p 159 https://archive.org/details/etudehistoriquec00dela/page/159/mode/1up?q=jugement [19] Pour une description détaillée de la gravure et des sarcophages, voir Laura Kopp, « Das Urteil des Paris. Eine ikonologische Untersuchung des Paris-Mythos in den Niederlanden des 17. Jahrhunderts » p 105 et ss https://books.google.fr/books?id=Lec7DwAAQBAJ&pg=PA105 [19a] A. Warburg, H. Frankfort, Claudia Wedepohl, « Manet and Italian antiquity », 2014 https://www.researchgate.net/publication/311673618_Manet_and_Italian_antiquity [20] Amélie Ferrigno. « Agostino Chigi et le mythe de Psyché ». Cahiers d’Etudes Romanes, Centre aixois d’études romanes, 2013, pp.221-239 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01192997/document [20a] Doris Carl « An inventory of Lorenzo Ghiberti’s collection of antiquities » Burlington Magazine, avril 2019, vol 161 p 293 [21] https://www.rct.uk/collection/search#/8/collection/912596/a-standing-male-nude [21a] Jack Greenstein « How Glorious the Second Coming of Christ. » Michelangelo’s « Last Judgment » and the Transfiguration » Artibus et Historiae , Vol. 10, No. 20 (1989), pp. 33-57 http://www.jstor.org/stable/1483352