Extrait de mon livre « Peintre à Tunis : Pratique artistique maghrébine et Histoire (L’Harmattan Paris 2006) et qui est ,en fait, le corpus de ma thèse , soutenue en 1977 à la Sorbonne. Chapitre consacrée à la pratique de Bellagha et que je publie sur mon blog, sous forme d’une série de six parties dont celle-ci en est la première
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En faisant appel à l’enquête pour déterminer la nature du rapport qui existe entre la production des peintres tunisiens et le public, nous avons été obligés de recourir au général pour éclairer un élément particulier. N’oublions pas, pour autant, que dans la démarche que nous nous sommes proposés de suivre, il s’agit de considérer toujours des particuliers dont l’exemple de la « fresque » de GORGI ne constitue qu’un cas parmi d’autres.
C’est pourquoi nous allons continuer cette analyse du rapport Arts plastiques société maghrébine, à travers l’examen d’autres cas parmi ceux que présente la pratique picturale en Tunisie. Et comme nous nous sommes déjà référés à la production d’un artiste de l’École de Tunis, nous allons procéder à l’examen d’une oeuvre d’un autre artiste du même groupe, Ali BELLAGHA.
Il s’agit d’une peinture sur bois, figurant une femme assise sur un fauteuil, devant une sorte de guéridon traditionnel, petite table ronde à pied central unique qui supporte, parfois, un plateau en métal gravé, meuble familier aux demeures citadines anciennes. La femme tient dans sa main droite une rose. Sa main gauche repose sur son genou, tandis que la masse de ses cheveux abondants qui lui couvrent le dos est surmontée d’une couronne.
Mais cette description anecdotique n’aurait aucune portée réelle, si elle n’était accompagnée de celle du style, d’une originalité évidente, à travers lequel le peintre a représenté cette scène d’intérieur traditionnel, sous le titre de Femme de Haroun Errachid. (1965)
La facture, autant que le titre de l’œuvre, fait une allusion directe à la peinture sous-verre dont nous avons déjà évoqué la présence dans les références implicites de la « fresque » de GORGI.
En effet, on peut résumer les caractéristiques techniques de cette oeuvre à travers l’énumération des aspects suivants:
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a) La ligne est dure, incisive, gauche et, dans sa façon sommaire de souligner les figures, veut ignorer l’expression subjective individualisée pour mettre en évidence un systématisme décoratif, qui exprimerait plutôt une vision collective.
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b) L’aspect schématisé qui résulte de cette technique donne aux figures une allure hiératique qui abolit les différences entre elles et les instaure en tant qu’objets esthétiques.
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c) L’absence de la perspective ou plutôt son abolition, dans cette oeuvre exécutée par un ancien élève de l’École des Beaux Arts de Paris, la disproportion entre le corps de la femme, le fauteuil, le guéridon et la rose, donne à chacun de ces éléments une indépendance relative qui l’impose au regard en tant qu’objet d’attention, non lié à une signification globale de l’ensemble.
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d) Les couleurs sont réduites au bleu, à l’orange carminé et au noir. Le tout étalé d’une manière savante où la transparence tamisée des plages colorées vient souligner l’intention de l’artiste: donner à son oeuvre cette dimension d’objet de collection qui porte, d’avance, la marque du passé.