A chaque rentrée littéraire ses découvertes de nouveaux talents. Quelques mois après Le théorème d’Almodovar, le formidable premier roman de par Antoni Casas Ros, la collection blanche de Gallimard fait à nouveau très fort en publiant le premier opus de Tristan Garcia, La meilleure part des hommes. Présenté par son auteur comme « une anti auto-fiction », cet ouvrage suit le milieu intellectuel parisien confronté à l’apparition du Sida. Commençant dans les années 80, le livre est un véritablement tour de force pour un auteur ayant seulement 27 ans.
Quatre personnages articulent le récit. Dominique Rossi est un journaliste, ancien amant de William Miller, figure extravagante de la communauté homosexuelle. Michael Leibowitz est un intellectuel en vue, habitué des plateaux de télé. Enfin, Elisabeth est une journaliste de Libération, amie de Miller, amante de Leibowitz et collègue de Rossi. Elle est également narratrice du roman. En courts chapitres, elle va suivre les déchirements de Rossi et Miller après leur séparation. Alors que le Sida commence à faire rage dans la communauté homo, Miller fait campagne pour les relations sexuelles sans préservatif, s’opposant ainsi à l’association créée par Rossi, qui lutte contre la propagation de la maladie.
En préambule du livre, Garcia précise que « les personnages de ce livres n’ont jamais existé ailleurs que ce roman », et que « s’ils ressemblant sous certains aspects à certaines personnes réelles (…), c’est simplement parce que, plongés dans des situations parfois comparables, personnes et personnages n’agissent pas autrement ». Dans la presse, Garcia s’est également défendu d’avoir effectué des recherches sur l’époque décrite. Difficile d’y croire, pourtant, tant les trois hommes au centre du livre nous rappellent pour Rossi, Didier Lestrade, et pour Leibowitz, Alain Finkelkraut. Le personnage de Miller, quant à lui, est un portrait à peine retouché de l’écrivain Guillaume Dustan (notamment auteur de Dans ma chambre et Plus fort que moi chez P.o.L.). Le déroulement des événements est certes réinventé, mais l’on y sent une profonde référence à la réalité.
Mais l’important n’est pas vraiment là, car La meilleure part des hommes n’est jamais vraiment la biographie d’une époque. Il faudrait même y lire une puissante allégorie à notre temps, tant les relations entre personnages et faits extérieurs semblent proches à ce qu’il en est aujourd’hui. Si la narratrice charge ses écrits de sentiments pour les trois hommes de sa vie, elle brosse simplement le récit des événements sans y émettre de jugement. Le titre fait d’ailleurs référence à une opinion que chaque lecteur sera libre de porter : qui peut oser établir la « meilleure part » de quelqu’un sans que ce choix ne soit purement subjectif ?
A l’image de cette multiplicité de ressentis, La meilleure part des hommes décrit ses événements sous tous les angles. Le roman est tour à tour sentimental, grave, drôle, empli de colère. Mais par dessus tout, il reste un livre profondément intime, comme si la narratrice se confiait au lecteur seul, lors d’une longue soirée de discussion. Mais cette légèreté de ton n’empêche jamais le livre d’être un véritable tour de force littéraire.
« La meilleure part des hommes » de Tristan Garcia, Editions Gallimard, 310 pages, 18,50 €. Parution le 25 août.
Voir l’interview vidéo de Tristan Garcia sur le site de Gallimard.
La première page de
La meilleure part des hommes
Willie
William Miller, sur les photos qu'il m'a montrées, paraissait un enfant renfermé, sage et anodin.
C'est à Amiens qu'il est né, en 1970, où il m'a toujours dit qu'il avait passé une enfance plutôt heureuse sur le moment et terriblement triste a posteriori. Il avait un visage clair et les sourcils fournis. C'était un élève besogneux, pas franchement brillant, et le seul souvenir de classe primaire qu'il ait jamais évoqué devant moi, c'était qu'il avait constamment envie de faire pipi et que les autres se moquaient de lui. Il pissait au lit, dans les draps. Mais bon, visiblement, à part ça, ce n'était pas à proprement parler un « martyr ».
Son père, d'origine juive ashkénaze, travaillait dans les tissus, il a tenté de tenir une boutique à Amiens, près de la mairie, qui n'a pas marché, et il est passé vendeur dans un beau grand magasin de blanc.
Sa mère était à la maison.
William avait deux frères, dont je ne connais pas les prénoms. Il était le plus jeune. Assez vite, il a porté des lunettes. Ses parents ont divorcé quand il avait dix ans. William est demeuré auprès de sa mère, dans la maison à côté d'Étouvie. Le père a pris un appartement. William ne le voyait pas, ou peu, de loin. Le père, lorsqu'il devait passer le prendre pour un week-end, le laissait chez la tante, à Compiègne, là où William aimait bien jouer au roi et au chevalier, dans les ruines du château, près du parking.Ó Editions Gallimard, 2008