Pétaouchnock

Par Jperino @Jonoripe

Des choses étonnantes dans "1280 âmes" de Jean-Bernard Pouy comme la localisation précise de Pétaouchnock.

A noter que l’interlocuteur est un vieux journaliste américain, très cultivé, il parle un français châtié, voir la dernière phrase. Note classée dans la rubrique géographie plutôt que papous.

« Et c'est donc dans un rade enfumé et proche du sauna en feu, après quatre pintes d'une pisse d'âne qui filerait le bourdon à un trappiste, que j'ai appris l'essentiel. Que Pottsville est un archétype et pourrait être n'im­porte où dans l'Etat. Ça, merci du renseignement. Avoir fait tant de ki­lomètres pour avoir une version locale de Perpète-les-oies ou de Pétaouchnock, c'était pas vraiment encou­rageant.

Pendant que mon interlocuteur se pintait conscien­cieusement tout en alignant des banalités lagardo-michar­dières sur Camus et Sartre, j'ai laissé mon mental se bala­der, aidé par les petites bulles jaunes qui éclataient avec retard dans mon cerveau.

Pétaouchnock. Cette pauvre ville qui souffre d'un ostracisme révoltant. Ce n'est pas n'importe quoi, Pétaouchnock, c'est une petite bourgade du Sikhole Alin, au bord de la Manche de Tartarie, au nord de la mer du japon, à 450 kilomètres en gros de Vladivostock. Petit village de pêcheurs qui n'offre pas un intérêt grandiose. C'est même nul. Quelques baraques traditionnelles dans le style rondins en bouleau, ressem­blant assez à toutes celles qu'on peut apercevoir depuis cinq mille kilomètres en Sibérie. Mais bon, ce coin est célèbre au moins parce qu'il est très difficile d'y arriver, toutes les routes et voies de communication passant par l'intérieur, par la plaine du Wusuli Kiang, entre Kabar­ovsk et Vladivostock, alors que, sur la côte, ces mêmes routes n'existent pas et que tout le secteur est militarisé, secret défense et tout le tremblement. La gare du Transsi­bérien la plus proche, Blagovechtchensk, est à six cents kilomètres et il n'y a pas d'autocars. Le plus simple est de passer par le japon, de monter en Hokkaido, à Sapporo t Otaru, où, deux fois l'an, un bateau traverse pour re­joindre le petit port de Tatiouke-Pristan. Après, faut louer un yack. Et cent bornes sur le dos poilu de cet animal, il faut être en bonne santé. L'arrivée à Pétaouchnock est inoubliable, ne serait-ce qu'en pensant à tous les gens qui, au cours de votre vie, ont tenté de vous y envoyer.

- Pourquoi vous me parlez de la Sibérie? m'a de­mandé le vieux journaleux en me regardant avec curiosité. C'est la bière?

- Non, non, je rêvais. A haute voix.`

- C'est ça, c'est la bière. L'orge, ici, est halluci­nante...

C'était la première faute de français qu'il faisait.

Notez l’humour de J.B. Pouy qui sait bien sûr que le mot orge est féminin quand il s’agit de grain d’orge pour faire de la bière ou des sucres... d’orge et masculin quand il s’agit d’orge mondé ou perlé pour faire des potages. Donc notre ricain parle un français parfait, et comme souvent dans ce cas pour ce genre de locuteur, plus juste que les natifs.