Je suis assez incorrigible. Alléché par la dernière couverture des Inrocks qui annonçait une interview de Régis Jauffret, je l’achetai au kiosque, le déballait à la maison et lus de la plume de Nelly Kapriélian, que j’avais autrefois brocardée, une critique du dernier Angot. La messe fut dite. Je dois dire que je me sens libéré d’un poids, car après avoir lu cette pleine page, je me sens débarrassé de la tâche qui m’incombait de rétablir la vérité dans notre république des zarzélettres. L’intérêt pourtant que trouve Kapriélian au roman n’est guère convaincant, et je n’en dirai donc pas plus. Je me prive donc d’un grand moment de lecture, de mots clés à gogo qui aurait pu booster de manière exponentielle l’audience bien maigre de ce blog. Aveu de faiblesse de ma part, de paresse après tant de teasing ; j'ai simplement réalisé que j'aurais mieux à faire ; au diable la cohérence interne.
Par ailleurs très belle interview de Jauffret, et les extraits lus dans le supplément du magazine ainsi que dénichés sur le net laissent présager d’une œuvre importante, si ce n’est radicale. J’en fume d’avance. Droit aussi aux premières pages du Pynchon, du Johnson (que je lis en VO en ce moment même), du Ford (que je commencerais la semaine prochaine, en attendant de finir de rédiger un papier sur Indépendance), et peut-être donnerais-je un coup d’œil au roman de Tristan Garcia (La part belle des hommes) qui n’a pas l’air inintéressant.
Après une centaine de pages de Zone de Mathias Enard, je peux déjà faire mentir tous les papiers écrits dessus (oui, quel justicier je fais) : il y a bien des points, c'est-à-dire le signe de ponctuation final auquel nous sommes tous habitués, dans le roman, même si je le concède, il n’y en a pas tant que ça. Un examen plus approfondi dans les semaines qui vont venir nous en diront plus.
Tout commence dans un train qui va de Milan à Rome, ligne droite imaginaire, progression géographique et temporelle et linéaire, dans lesquelles viennent s’entrecouper tout l’espace, mais aussi toute l’Histoire de la Méditerranée du point de vue de ses conflits et donc toute son épaisseur. Un grand maëlstrom mené d’une main de maître, sans un souffle, effort de lecture pour trouver un rythme, interrogation sur l’écriture d’une mémoire en perpétuelle modification. Enard réussit pour le moment le pari un peu fou de fixer le fluctuant, l’indécis, l’Histoire dans un récit qui ne peut avoir de début réel, et dont je ne sais s’il aura pour le moment une fin. Grand moment : le récit de la bataille de Lépante ; que c’est beau, mais une beauté « étrange »…. (Je n’ai pas trouvé de meilleure formule pour étaler mon admiration du moment).