" C'est un peu comme si les freins de ton vélo avaient lâché au sommet de la côte. Irrésistiblement, tu prends de la vitesse. Le temps qui file à toute allure te blanchit les tempes. Tu ne roules plus, tu glisses. Ta vie est de neige, de sable et d'eau courante.
L'inconnu est de plus en plus proche. Il ne se déguise plus en terres lointaines, en azurs, en chimères. Assis là, sur la chaise, il t'attends devant la porte.
Que lui dire ? La misère n'est précise qu'en sa phrase démunie. La machine du cœur continue son travail. Au-dehors, la campagne dort. Là-bas, la pluie est silencieuse. Il n'est de chant possible qu'un bâillon sur la bouche.
Tu attends, toi aussi, derrière la porte, l'oreille déjà collée contre le bois. Tu as pris rendez-vous. Ton tour viendra bientôt. Tu ne guériras pas de cet abîme.
Viendra-t-elle à minuit, quand la lune est bien ronde, ou dans l'aube en même temps que la pluie ? Nue, gracile, mais froide, la pointe des seins dure comme la pierre ? Peut-être même un reste de rêve dans le regard ? Et je ne sais quel sourire encore sur les lèvres...
- Appelons cela, si vous voulez bien, la douceur ou la douleur de disparaître.
Qu'elle entre donc par la fenêtre, un matin ou un soir d'été, avec la lumière du soleil et le souffle du vent, tandis que je lirai un livre, la tête pleine de rumeurs, si elle ne brise pas tout à coup ma plume, arrêtant mon geste.
- Je croiserai les bras, effondré sur la table. Comme un voleur de nuit cachant ce qu'il dérobe.
Jean-Michel Maulpoix, extraits de "L'hirondelle rouge", Éditions du Mercure de France, 2017.