Peu de tenues strictement dédiées à l’usage d’une activité physique y sont présentées, et seulement lorsqu’elles en ont marqué la pratique. L’accent est davantage mis sur tout ce qui a changé dans notre manière de nous habiller, que l’on en soit ou non conscient, et cela de la tête aux pieds puisque les chaussures sont sans doute les pièces qui ont le plus été touchées en devenant des objets iconiques.
Les influences seront réciproques comme en témoigne cette exposition au titre judicieux : La mode en mouvement. Et comme il y a beaucoup à montrer le Palais a choisi de faire trois accrochages. On va donc souvent se rendre avenue Pierre 1er de Serbie, et bien au-delà de cette année olympique, le 7 septembre 2025.
Voici le premier de la série avec l'accrochage #1 qui sera visitable jusqu'au 15 mars prochain. Car pour des raisons de conservation préventive, cette exposition fait l’objet de trois accrochages successifs, nécessitant pour chacun une période de fermeture de cinq semaines. Ainsi, les oeuvres seront en grande partie renouvelées, offrant aux visiteurs l’opportunité de revenir.
La Mode en mouvement est la deuxième exposition issue des collections au sein des galeries Gabrielle Chanel du rez-de-jardin, enrichi de prêts exceptionnels du Musée national du Sport (Nice), de la Bibliothèque Forney (Paris), du Patrimoine Chanel, de la collection Émile Hermès, des maisons Sonia Rykiel et Yohji Yamamoto.
Riche d’environ 200 oeuvres, ce parcours chronologique retrace une histoire de la mode du XVIII° siècle à nos jours, et développe en parallèle une thématique transversale dédiée au corps en mouvement pour interroger la place du vêtement dans la pratique d’activités physiques et sportives, son rapport au corps et au mouvement, de même que les conséquences sociales de son évolution. Le vêtement conçu à travers les époques pour l’activité physique et sportive est mis en regard du vêtement du quotidien. Néanmoins l'organisation chrono-thématique n'est pas stricte et je reviendrai souvent sur mes pas pour mettre mentalement une oeuvre à coté d'une autre pour mieux confronter garde-robe de ville et vestiaire sportif, pour mieux en saisir les transformations.
Le développement de l’activité physique et la naissance du sport moderne trouvent leur origine au XVIII° siècle en Angleterre, au sein d’une classe aristocratique amatrice de loisirs de plein air. Influencée par le rayonnement britannique, la société française adopte cette pratique sportive, d’abord à travers les élites, avant de gagner peu à peu les classes plus populaires. Les théories hygiénistes qui sous-tendent la politique sociale française au XIX° siècle encouragent cette activité dans un objectif de santé publique. Dès lors, le rapport au corps, tant masculin que féminin, change. La notion de mouvement, inhérente à toute pratique sportive, induit alors une nécessaire évolution et adaptation du vêtement et de l’accessoire qui n’a jamais cessé depuis.
La première vitrine met en opposition deux tenues de bain tant on peut croire que c'est dans ce domaine que le vêtement a le plus vite évolué.
On pourrait de la même manière observer une évolution avec les chaussures.
Au XVI° siècle le port de talons hauts apparaît en Occident et change la démarche des femmes.Ci-dessous paire de chaussures de football et rugby (en cuir cousu, tissus, métal, avec sicrampons en cuir, vers 1910) et ces chaussures de ski pour femme (1935) de Camillo Di Mauro en cuir bovin, pleine fleur, métal cuivreux.Les souliers ont été, au XIXe siècle, les premiers éléments de la tenue à s’adapter techniquement à une pratique plus poussée du sport, répondant ainsi à des problématiques telles que le poids de la chaussure ou l’accroche sur des terrains boueux et glissants. L’une des plus grandes innovations est l’utilisation du caoutchouc pour la fabrication des semelles, rendue possible grâce au procédé de vulcanisation inventé par Charles Goodyear en 1839 aux États-Unis, et déposé en Angleterre par Thomas Hancock en 1844. Souples et légères, ces semelles sont appréciées notamment pour la pratique du lawn-tennis. Les grands magasins offrent une grande diversité de modèles dédiés à l’activité sportive de loisir, souliers ou bottines, pour le tennis, le cyclisme ou encore la chasse.
En 1917, l’entreprise américaine Converse lance sa première chaussure adaptée pour la pratique du basket-ball. En 1923, elle lui associe le nom du célèbre joueur Chuck Taylor pour créer la Converse Chuck Taylor All Star. La basket, chaussure à tige haute pour maintenir la cheville, est née.D’autres modèles iconiques de baskets ou sneakers – chaussures basses conçues pour le sport, mais également détournées pour la ville – voient le jour par la suite.
Dorénavant, la basket est un objet de collection et de convoitise, dont la valeur et le cours sont référencés par certains sites spécialisés. Bien loin d’une simple chaussure utile à la pratique sportive, elle est devenue un phénomène de mode incontournable qui touche la société dans son ensemble.
On peut aussi suivre parfaitement l'évolution de la silhouette féminine. Dans la première partie du XVIII°siècle, les corps baleinés étroits et les jupons élargis par des cercles d’osier portés sous les robes donnent aux femmes des airs de guêpes. Les toiles de Joly sont à la mode. Les habits masculins sont, eux, larges et couvrants.À partir des années 1780, les robes droites et lâches s’imposent progressivement. La silhouette féminine retrouve une allure déliée, perdue depuis le XVI° siècle. Paradoxalement, les vêtements masculins à la mode sont plus étroits, contraignant davantage les anatomies.
Le développement des espaces publics urbains est remarquable. On s’y déplace en carrosse ou "en faisant l'usage de ses pieds". D’abord loisir social dont l’enjeu est à la fois de se montrer et d’être vu la promenade est progressivement perçue comme un exercice physique favorable à l’hygiène corporelle. Cette idée d’un corps dynamique s’affirme également à la faveur de l’influence de la société anglaise, accrue dans le dernier quart du siècle, où de nouveaux jeux de compétition physique se développent : courses de chevaux, chasse au renard, boxe et lutte. Outre-Manche, ces passe-temps sont regroupés sous le nom de sports, dérivé du français médiéval "desport" (amusement).
Au XIX° siècle la silhouette féminine semble faire le yoyo, subissant des effets de volume puis un affinement de la taille régulièrement accru, au moyen du corset. Mais le grand changement est qu’on commence à adapter sa tenue à l’activité du moment, quitte à changer de vêtement plusieurs fois au cours de la journée, surtout si on pratique l’équitation, les bains de mer et bientôt le cyclisme. Le vestiaire se spécialise et commence à libérer les corps.
On le constate sur ce costume-tailleur de sergé de laine et velours de soie, soutaches de soie (vers 1900). Inventé par John Redfern dans les années 1880, le costume-tailleur connait une immense vogue à la Belle Epoque. Coupé dans un drap de laine il comporte une veste ou jaquette et une jupe assortie. Son côté pratique et confortable et sa simplicité répondent aux exigences de la vie moderne et du voyage. On peut avec lui trotter aisément dans les rues de Paris. Une influence militaire est perceptible dans ce modèle à travers la disposition des galons.
Le vêtement va lui aussi suivre cette évolution. S’il s’agit dans un premier temps d’adaptations simples du vêtement quotidien, viennent ensuite l’apparition de formes nouvelles et l’adoption par les femmes de pièces issues du vestiaire masculin. La spécialisation du vêtement, des textiles et de l’accessoire, notamment de la chaussure, amorcée dès la fin du XIX° siècle, participe de la recherche de performance d’abord pour les hommes, puis pour les femmes. Elle coïncide avec le développement de la compétition.
La culotte bouffante, associée dans les esprits à cette pratique sportive, est connue sous le nom de "bloomer" comme on le voit sur cette tenue de cycliste (vers 1900) composée d'un spencer de toile de laine chinée, sergé de laine et soie, boutons en bois recouvert de passementerie, sur une culotte de toile de coton natté, boutons en nacre. Elle évoque ainsi la féministe américaine Amelia Jenks Bloomer (1818-1894), qui revendiqua en 1851 le port du pantalon accompagné d’une longue tunique. Pourtant l’appellation est en fait erronée, puisque cette dernière ne porta jamais une telle culotte, mais un pantalon.
L’automobile apparaît au XX° siècle et bien que la vitesse soit alors restreinte à 10 km/h, les véhicules dépourvus de toit imposent de porter des tenues adaptées, pour se protéger du froid, du vent et de la poussière. On portera en hiver d’épais manteaux et gants en fourrure. Le cache-poussière en toile de lin ou de coton suffira lorsque la météo sera plus clémente. Les chapeaux sont complétés par un voile, les casquettes se sophistiquent avec des lunettes aux allures de masque.
L’Exposition universelle de 1900 affirme la suprématie de Paris dans le domaine de la mode. Les années 1910 marquent une période de transition. Ardent défenseur de la libération du corps, Paul Poiret s’impose par la simplicité de ses créations aux coloris vifs et adopte la forme fourreau dès 1908. Denise, son épouse et mannequin fétiche, assure la promotion de la robe droite à taille haute. Une large ceinture en gros-grain baleiné y remplace le corset. À la même époque, la coupe des manteaux en entonnoir (ci-dessous à gauche - vers 1912-14 en taffetas de soie imprimé selon la technique du batik, doublure en satin de soie) restreint cependant le mouvement de la marche.
La Première Guerre mondiale sera porteuse de profonds changements. Occupant les tâches des hommes partis au front, les femmes s’émancipent peu à peu. La mode s’adapte à ces bouleversements. Les tenues raccourcissent et se simplifient, ouvrant ainsi la voie aux années 1920 dont voici deux exemples :
La femme à la mode, à la silhouette jeune et androgyne, porte des tenues sobres le jour, luxuriantes le soir. La vie nocturne est intense. De nouveaux rythmes – charleston, fox-trot et black-bottom – connaissent un succès foudroyant. Le corps en mouvement se dévoile, et les robes raccourcissent. Panneaux flottants, quilles, volants et franges de perles agrémentent la robe à danser et mettent en valeur le mouvement.
Tiares et coiffures du soir, perruques colorées, longs sautoirs, éventails, réticules et pochettes, bas brodés de paillettes, salomés aux talons de strass rehaussent les tenues de leur éclat.
Initiée par Chanel dès 1916, l’utilisation du jersey – auparavant réservé à la bonneterie – suscite un engouement général. Composé d’une jupe et d’un confortable et souple sweater en maille, l’ensemble sport, entendu au sens étroit et au sens plus large de sportswear convenant à la villégiature, stimule la créativité de toutes les maisons de couture. En 1925, Jean Patou ouvre avec succès «Le Coin des Sports». Les championnes de tennis Suzanne Lenglen et Helen Wills en font la publicité. Lanvin Sport, Schiaparelli, Lucien Lelong, Jane Regny, parmi tant d’autres, témoignent de ce succès.
Les années 1930 marquent le retour à la féminité, au classicisme et à la sophistication. C’est la grande époque du blanc. Généralisé à partir de 1930, le rallongement transforme la silhouette, la robe de soirée atteignant la cheville.
Les robes retrouvent leur volume, magnifiées par la coupe en biais qui accompagne le modelé du corps et permet de tirer parti de l’élasticité du tissu. Madeleine Vionnet est sans conteste la figure de proue de cette technique. Le savoir-faire est inégalé et génère savantes oppositions de matières et jeux de lumière que favorise l’utilisation du satin. Apprécié pour son confort, le pyjama du soir s’érige au rang de tenue de réception décontractée. Les années 1920-1930 marquent un tournant dans la pratique du sport. La démocratisation de celle-ci, déjà amorcée pour les hommes dès la fin du XIX° siècle, se confirme pour les femmes dont le vêtement, de manière générale, raccourcit. Les joueuses adoptent, sur les terrains et les pistes d’athlétisme, le maillot et le short. Sur les courts de tennis, une véritable révolution se produit avec l’arrivée en 1919 d’une joueuse de légende, Suzanne Lenglen, vainqueure à 20 ans, du tournoi de Wimbledon. Elle s’affranchit de la traditionnelle jupe longue et opte pour une robe plus courte dévoilant ses jambes et permettant plus de liberté de mouvement.
À la Libération, la haute couture tente de prouver qu’elle n’a rien perdu de sa créativité. Malgré une volonté de renouvellement, la silhouette si caractéristique des années de guerre demeure, et il faudra attendre février 1947 et la collection "New Look" de Christian Dior, pour renouer avec une féminité idéalisée qui rompt avec les privations imposées par la guerre.
Les épaules s’arrondissent, les hanches s’épanouissent tandis que la taille marquée est à nouveau corsetée par des guêpières qui rappellent les silhouettes du XIX° siècle. Cette décennie amorce un nouvel âge d’or de la haute couture. Celle-ci accompagne le retour à la vie mondaine et signale Paris en tant que capitale de la mode. Les longues robes du soir, fastueuses, triomphent aux côtés des robes de cocktail, plus courtes. En parallèle, le prêt-à-porter émerge à travers les boutiques au rez-de-chaussée des maisons de couture. Les vêtements proposés, déjà montés, sont souvent inspirés du sportswear américain, à travers, notamment, la mode du blouson et des vêtements confortables en maille. Un temps déconsidéré, le prêt-à- porter va progressivement s’imposer au cours de la décennie. Gagnant en qualité, il réussit à influencer les créations haute couture.
En réaction à la décennie précédente, la mode des années 1960 est éprise de liberté. Moins cintré, le vêtement s’éloigne du corps tout en le révélant, par le biais de découpes échancrées et de jeux de transparence. Fascinés par les progrès scientifiques, certains couturiers de la nouvelle génération s’orientent vers un futur utopique. Leurs créations jouent avec le blanc pur ou les couleurs saturées. À la faveur de l’engouement pour la conquête spatiale et du renouvellement de la littérature de science-fiction, certaines typologies de vêtements sont remises à l’honneur, à l’instar de la combinaison qui accompagne, tels le short et le pantalon, la révolution sexuelle et le désir d’émancipation du corps féminin.
La minijupe, popularisée par la créatrice britannique Mary Quant, participe également à cet élan de liberté, en facilitant la marche tout en révélant les jambes. Évasée et raccourcie, aussi bien portée à la ville que sur les courts de tennis, elle devient un véritable phénomène de mode et de société.
La mode des années 1990 poursuit la déconstruction du vêtement classique amorcée la décennie précédente. Elle privilégie les matières techniques, le minimalisme des formes et la fluidité, permettant un confort maximum et garantissant un mouvement sans entraves. Ce principe trouve son expression dans l’usage du t-shirt décliné en simple maillot de coton blanc ou en tenues synthétiques colorées et déstructurées.
L’attrait pour le sportswear se fait plus que jamais sentir. Les échanges entre les créateurs de mode et les équipementiers sont plus que jamais renforcés, tant sur le plan créatif qu’économique. La première réunit, en 1995, Puma et la marque Xuly.Bët, connue pour sa démarche précoce et éthique de recyclage de matériaux de la fast fashion.
Palais Galliera - 10 avenue Pierre 1er de Serbie - 75116 Paris - 01 56 52 86 00
Le musée est ouvert du mardi au dimanche, de 10h à 18h.Le musée est fermé les lundis, et le 25 décembre 2023 et le 1er janvier 2024. Du 16 juin 2023 au 7 septembre 2025Accrochage #1 du 16 juin 2023 au 15 mars 2024Accrochage #2 du 20 avril 2024 au 5 janvier 2025Accrochage #3 du 8 février au 7 septembre 2025** *Prolongeant son exposition des collections dans la galerie courbe du rez-de-jardin, le Palais Galliera présente, du 16 juin 2023 au 15 mars 2024, Les Couleurs de la mode, une exposition-dossier dédiée au fonds d’autochromes - premier procédé photographique couleur - conservé au Musée des Arts et Métiers (CNAM, Paris).
De 1921 à 1923, le luxe s’expose à Paris sous une forme inédite lors du Salon du goût français : des autochromes rétroéclairées, tels les "vitraux d’une cathédrale", font la promotion des industries d’art, de la mode à l’automobile, de l’orfèvrerie aux arts décoratifs.
Présentée sous forme de fac-similés, une centaine d’images fait découvrir la palette subtile de l’autochrome, en regard des costumes, accessoires et documents du musée et de quelques œuvres invitées.