En 1677, à
l’aide d’un microscope de sa conception, Antoniee van Loewenhoek observe
un spermatozoïde.
Il est le premier à le faire, et pense que la tête de chaque spermatozoïde
contient un minuscule être humain entièrement formé. Il suggère donc que ces
nageurs jouent un rôle dans la fécondation, alors que d’autres scientifiques y
verront plutôt des parasites qui n’ont rien à voir avec la reproduction.
La lettre de 1678 accompagnant sa communication à la Royal Society de
Londres est savoureuse :
« ce que j’ai observé, sans me comporter de façon coupable, était présent dans le résidu d’un coït conjugal. Si votre Excellence considérait que ces observations sont susceptibles de dégoûter ou scandaliser les savants, je prie ardemment votre Excellence de les tenir pour privées et de les publier ou de les détruire selon ce qui lui paraîtra convenable ».Si l’on fait abstraction de la réjouissante expérience de Lazzaro Spallanzani avec des grenouilles mâles portant des caleçons dans lesquels il récupérait leur sperme, les mécanismes de la fécondation seront élucidés bien plus tard. Il faut en effet attendre 1876 avec Gustave Alphonse Thuret et ses algues brunes, puis Oscar Hertwig et ses oursins.
Mais pourquoi aborder ce sujet sur le blog ?
D’une part parce que dans le premier billet d'une série déjà ancienne traitant de l’Histoire des levures œnologiques je commençais par évoquer Antoniee van Loewenhoek qui n’a pas examiné que du sperme, mais aussi un mout de bière où il a été le premier à observer et décrire des levures.
D’autre part parce que je suis en possession de deux livres contemporains pour l’un de van Loewenhoeck et pour l’autre de Thuret et dans lesquels tant le vin que la reproduction humaine sont évoqués au travers d’une cause commune : la fermentation.
Bien que l’on ne puisse pas totalement exclure que le vin et le taux d’alcoolémie puissent avoir un lien direct avec l’activité sexuelle et donc la reproduction humaine, ce n’est pas cette thèse qui est promue dans ces ouvrages.
Le premier de ces livres, publié en 1681, s’appelle : « La nouvelle découverte et les admirables effets des fermens dans le corps humain, expliquez par des expériences & des raisonnements très solides » et est l’œuvre de Jean Pascal, Docteur en médecine originaire du Périgord, alors âgé de 21 ans.
L’ouvrage est dédié à Antoine Daquin, premier médecin de Louis XIV, et non à Guy-Crescent Fagon qui fût le professeur de l’auteur … et qui à la chute de d'Aquin le remplacera au poste de premier médecin de Louis XIV.
Fagon est aussi le fondateur de ce qui deviendra le Museum d’Histoire Naturelle.
Mais Fagon est avant tout connu des œnophiles comme celui qui causera la disgrâce de d’Aquin en imposant la consommation des vins de Bourgogne à Louis XIV, contre celle des Champagne qui avaient la préférence de d'Aquin.
Il faut dire que Fagon agrémentait les vins de quinquina, que d'Aquin rejetait ... et que le quinquina avait la réputation de contribuer favorablement à la virilité vieillissante de Louis XIV.
Mais, là encore, ce n’est pas de cela dont il s’agit.
Le second livre, publié en 1841, est la thèse de pharmacie de M.E. Mazade qui a été soutenue le 28 Mai de la même année.
Son titre ?
« Dissertation sur les causes de la fermentation ».
Or il se trouve que bien que séparés de deux siècles, ces deux ouvrages font état de rapports étroits entre la fermentation, dont la fermentation des vins, et la fécondation.
Attention : on pourra le regretter mais nous ne sommes pas au niveau de sciences appliquées du "Bréviaire de l'amour expérimental" de Jules Guyot, avec son "spasme génésique".
Il n’empêche qu’il me semble que ces deux ouvrages, et les idées qu'ils défendent, méritent bien un billet !
De quoi s’agit-il ?
Jean Pascal observe que la fermentation se caractérise par un dégagement de gaz carbonique, et que bien d'autres phénomènes - dont les réactions acide / base - possèdent cette même caractéristique.
Il ne lui en faut pas plus ranger le tout dans la grande famille des fermentations.
On m'objectera avec raison que la reproduction, si elle peut entrainer des dégagements de gaz carbonique, ne produit pas - en principe - d'effervescence.
Il semble que cette objection ne soit pas venue à l'esprit de Jean Pascal.
Pour lui les ferments sont soit fixes soit volatils. Et les volatils sont responsables aussi bien de la fermentation du vin, de la bière et du pain … que de la reproduction.
Ils interviennent tant pour l’Homme que pour la Femme et ont un "esprit acide". Tout ceci menant à l’un des moments de bravoure du livre :
« Tout le monde sait la nécessité qu’il y a de la semence des deux sexes pour la génération. Celle du mâle qui est plus connue que l’autre, est une matrice gluante chargée d’un grand nombre d’esprits qui sont liés dans ses parties visqueuses, afin qu’ils aient moins lieu de s’évaporer avant que les deux semences se soient unies. Cette matière [.../...] n'est qu'un tissu de petits corps très subtils, qui forment bien par leurs liaisons une substance glaireuse ; mais qui sont pourtant très propres à s'émouvoir après que la fermentation les aura déliés. Car tout de même que les huiles & les graisses sont remplies d'acides, dont la quantité parait dans leur distillation après que l'effervescence les a développées, ainsi le corps muqueux de l'homme renferme copieusement des esprits, qui venant à se délier par le moindre remuement, sont après susceptibles d'un mouvement très rapide.
L'esprit de la semence qui ne parait pas corporel est quelque chose de bien subtil, & d'une matière fort déliée, & soit qu'il dérive des nerfs, ou qu'il ait été tiré des artères, il est constant qu'il est un acide, puisque tous les autres le sont."
Puis, plus loin :
"La semence de la femme dont on dispute encore aujourd'hui, parce que les uns admettent des oeufs, est d'une nature différente de l'autre. Comme cette question ne regarde pas tant le système de nos ferments, je ne veux pas m'embarasser dans cette dispute. Je veux seulement supposer que la femme doit donner sa semence, & qu'au lieu que celle de l'homme est chargée d'esprit, celle de la femme en est dépourvue, étant seulement composée de parties salines, rares et fort adultes ; car comme leurs parties génitales ont une forte chaleur, & que la matière qu'elles versent est extrêmement piquotante, d'où vient qu'elles sont plus luxurieuses que les hommes, & que le plaisir qu'elles ont au coït est beaucoup plus grand par l'acrimonie de leur semence, qui pince un peu plus fortement les nerfs. Nous croyons donc qu'elle est composée de sels, dont les parties rares, inégales et raboteuses forment une humeur alkali, qui les chatouille plus vivement. Ainsi les anciens Latins semblaient avoir été dans ce sentiment, puisqu'ils appellaient les femmes lubriques salaces, comme qui dirait chargées de sel, & comme s'ils eussent crû que la semence de l'homme fût remplie d'acides, & que celle de la femme fût chargée de sels, ils ont dit que Cupidon qui était le Dieu de l'amour, jettait des flêches aigues, qui pourraient se rapporter aux aiguillons des acides, & que Vénus, qui était la Déesse de l'antiquité la plus amoureuse, provenait de la mer, comme si le sel lui eut donné ces instincts amoureux ; au lieu que d'autres Déesses qui demeuraient dans les fleuves qui n'étaient pas salés, comme les Nymphes et les Naïades qui habitèrent les eaux douces, étaient chastes & exemptes d'amour."
Bref :
"Les deux semences étant donc ainsi disposées à se fermenter, & toutes les parties du corps y étant contenues en abrégé, il ne reste maintenant qu'à les approcher, afin que la fermentation qui se doit faire par leur rencontre développant les parties qui se sont embarassées, & les déterminant après à s'unir, nous fasse voir comment la génération de l'homme se fait."
En résumé et tel que c'est écrit dans l'extrait ci-dessus :
"Il faut donc supposer un objet dont les charmes inspirant des désirs amoureux, obligent l'âme flattée par sa passion d'envoyer dans l'instant des écoulements des esprits dans les parties qui servent à la génération".Certains - c'est clairement mon cas - regretteront que cette approche des fermentations ne soit pas même évoquée lors des cours de microbiologie dispensés dans le cadre du Diplôme National d'Oenologue.
Sans doute est-ce une preuve de plus du complot évoqué tant par l'auteur que par son préfacier : déjà, au temps des Anciens, ce complot avait étouffé dans l'oeuf la science de la fermentation !
Deux siècles plus tard Mazaraz, dans sa "Dissertation sur les causes de la fermentation", écrit dans le même esprit que son prédécesseur puisqu'il évoque, avec insistance, des ferments gazeux intervenant tant dans la fermentation du vin que dans la reproduction humaine :
Il les baptise "gazospermes".
Et on pourra déplorer - c'est là aussi mon cas - que cette dénomination ait disparu.
Puis il nous explique le mode opératoire des gazospermes qui s'activent dans le sang avant de se charger en énergie vitale dans les glandes séminales.
Il a la prudence de préciser qu'il doit retenir sa plume avant d'entrer dans des questions trop graves (j'avoue que j'aimerais lire plus souvent ces mêmes réserves dans nombre d'articles viniques actuels. Mais il est vrai que cela condamnerait ce blog au silence).
Vient enfin un rapprochement que l'auteur qualifie de remarquable :
Mais ici doit s'arrêter mon clavier, j'entrerais dans une question trop grave et d'un trop grand intérêt, pour n'être traitée qu'à demi.
Comme très souvent sur le blog : les ouvrages qui me servent de support faisant partie de ma collection personnelle, je peux en faire parvenir des copies (partielles pour celui de Jean Pascal) sur simple demande.