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L'Eau de Narcisse Bleu d'Hermès ou les mots (maux) bleus

Publié le 31 décembre 2023 par Papillondessenteurs @Papillondessent
L'Eau Narcisse Bleu d'Hermès mots (maux) bleus

Photos personnelles, incluant mon flacon de l'Eau de Narcisse Bleu ainsi que l'Atlas de botanique parfumée et l'Oracle du langage botanique

J'ai partagé un post sur les réseaux sociaux à ce sujet il y a quelque temps : dans la vie d'un perfumista, les arrêts de production de certains parfums sont vraiment déchirants parfois. Je ne parle pas de parfums basiques interchangeables comme peuvent l'être souvent les lancements mainstream actuellement (voire de niche désormais) , mais bien de ces parfums avec un vrai parti pris créatif, ceux qui se démarquent de la masse si bien que leur signature est unique et reconnaissable.

A ce propos, ce qui distingue bien souvent un perfumista (qui peut s'ignorer), c'est cette capacité à reconnaître facilement les parfums de son entourage ou des passants dans la rue.

J'ai déjà raconté certaines de ces anecdotes ici mais quand j'étais une jeune adulte, je savais quels parfums les membres de ma famille portaient chaque jour, me troublais quand je captais Body Kouros dans la rue, me délectais des effluves de Byzance de Rochas chez ma grand mère, râlais après ma tante qui avait un peu forcé sur Angel de Thierry Mugler ou je pensais à Math (coucou si tu passes par là) quand Kenzo pour homme se faisait sentir dans le bus.

Quand on est sensible olfactivement parlant, les odeurs ont autant voire plus d'impact que la nourriture que l'on mange, les sons que l'on entend et les formes que l'on voit. La raison de cet impact est simple : l'odorat est un sens directement relié à la région de notre cerveau qui gère les souvenirs et les émotions, ou cerveau limbique. C'est ce qui explique que quand nous sentons un parfum, s'il vient résonner avec un souvenir, il peut entraîner une réaction de joie et de nostalgie heureuse ou au contraire, une répulsion ou de la tristesse.

Je me souviens de l'engouement généralisé de la communauté perfumista sur les réseaux sociaux au moment du lancement de l'Eau de Narcisse Bleu en 2013, après un teasing relativement involontaire du parfumeur Jean Claude Ellena en l'évoquant dans son livre nommé Journal d'un parfumeur (que je vous encourage vivement à lire si vous vous intéressez au monde merveilleux de l'odorat, ou simplement si vous êtes curieux du processus de création artistique). Si la filiation avec les précédents parfums du parfumeur était évidente, il arriva à surprendre et à ravir les nez les plus exigeants.

Quelques semaines après sa sortie, je profitais d'un moment d'attente pour visiter l'une des parfumeries où j'ai mes habitudes et découvrir le parfum. Rapidement, j'ai été conquise et c'est l'une des grandes qualités de JC Ellena : arriver à émouvoir avec des accords "simples", assez facile d'accès, mais intrigants. Toute sa maestria réside dans sa capacité à jouer sur les contrastes et les résonances des matières premières utilisées pour créer une composition unique et addictive, tout en finesse.

Sans savoir exactement l'expliquer, j'ai ressenti cette impression de déjà vu, ou plutôt de déjà senti, mais dans le sens noble du terme (pas du tout dans le sens d'une inspiration trop évidente d'un parfum existant).

Ici, le parfumeur avait souhaité créer une oeuvre florale autour du narcisse mais avec un véritable effet de texture(s), de matière. Ainsi, le narcisse se révèle dans sa richesse florale noble mais sans excès, nuancé par une entrée en matière vive et lumineuse portée par le vert galbanum qui ne porte pas tant que cela sur le petit pois dans cette composition mais procure une vraie sensation de clarté et de fraîcheur, un peu comme un jardin encore sous la rosée. Puis, les facettes néroli et fleur d'oranger de l'accord Cologne apportent une douceur tendre et pure, comme la caresse délicate des premiers rayons du soleil. Les notes d'iris et les muscs poudrés accentuent cette tendresse et m'évoquent tour à tour un peau propre et talquée, ou l'odeur inimitable de linge séché au soleil sur lequel resterait la réminiscence d'un joli parfum vintage. Enfin, au milieu des notes proprettes de muscs blancs, apparaît un soupçon de bois ambrés mais dosés avec suffisamment d'intelligence pour réhausser le parfum, lui donner de la diffusion malgré sa discrétion et une tenue honorable sur peau comme sur tissu, sans pour autant dénaturer le propos initial (comme c'est trop souvent le cas de nos jours à mon humble avis).

J'aime ces effets de contrastes, de clair obscur, et cette facette irisée orangée, savonneuse, transparente et subtilement boisée n'est pas sans me rappeler l'Infusion d'Iris de Prada créé par Daniela Andrier, l'un de mes favoris absolus ou encore la Colonia Iris d'Acqua di Parma.

C'est donc assez naturellement que le parfum a rejoint ma collection et si je ne l'ai pas utilisé de manière intensive (le réservant plutôt à des moments précieux ou à des jours où sa tendresse parvenait à me réconforter telle une caresse), sa présence n'a eu de cesse de me rassurer, un peu comme ces photos que l'on garde coûte que coûte dans notre téléphone car elles nous font du bien. Et puis je dois dire que le retrouver olfactivement me mettait toujours en joie, telle une âme soeur sur laquelle la distance et le temps n'ont pas de prise, on se retrouve tels qu'on s'était quittés.

Ainsi, ce beau parfum a accompagné 10 ans de ma vie et de nos jours, c'est déjà une très belle prouesse, à l'ère des lancements de parfums incessants et du zapping (oui, c'est bien moi qui dis ceci, car si j'aime varier les plaisirs, je reviens toujours à mes classiques).

En écrivant cet article, je me remémore aussi avec amusement et douce nostalgie à quel point ce parfum m'était apparu telle une évidence quand, après avoir vu Charlie Winston sur scène pour la première fois, j'avais décidé d'imaginer quels parfums il pouvait porter. Il me semble d'ailleurs que c'était l'un des premiers qui me soit venu en tête, car je retrouvais en lui cette complexité et cette évidence, cette force et cette tendresse, cet éclat et cette douceur, cette authenticité et cette élégance. Désormais, j'ai la chance de connaître Charlie depuis plusieurs années et mon intuition première s'est vue confirmée au fil du temps, il aurait porté L'Eau de Narcisse Bleu comme un gant ! Sa présence rassurante et son âme d'enfant font de lui une personne rare pour laquelle j'ai la plus grande estime et beaucoup d'affection, un autre point commun avec cette belle Eau de Narcisse Bleu :).

S'il me faut à présent me résoudre à l'évidence que ce parfum d'Hermès se conjugue désormais au passé, j'ai réussi à trouver un dernier flacon l'été dernier car comme dirait notre ami perfumista Dau, il faut toujours stocker les parfums qui apportent de la beauté à notre quotidien et nous font du bien au coeur ! Quand ce dernier sera fini, cela marquera la fin d'une belle histoire, mais cela n'enlèvera rien aux souvenirs qui lui sont associés et d'une manière ou d'une autre, on se retrouvera d'une manière ou d'une autre, peut être au détour d'une rue, j'en suis persuadée !


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