Mon école, odeur médicamenteuse de craie. Glissade sur le tableau. De la poudre blanche sur la pulpe des doigts. Blouse " mes crayons " . Du chocolat sur le bout du nez. Apprendre à écrire sur les lignes.
Mon école, des leçons bues par cœur, des théorèmes incompris. Compter sur les doigts. Le cerisier en fleur dans la cour de récréation. Les pétales humides sur le gris du ciment. Un, deux, trois, soleil. Martine fait l'école buissonnière. Rêvasser en cours d'algèbre. Dessiner des palmiers sur les angles droits. Exclusion du cour. Dévorer tout de paquet de " Prince " dans les toilettes des filles. Un cœur barré d'une flèche gravé sur le mur. Oh la menteuse, elle est amoureuse ...
Mon école, ma prof d'allemand en robe portefeuille très échancrée. Elle avait les pommettes slaves et du rouge à lèvres sur les dents. Tous les midis, elle mangeait des soupes déshydratées. Un peu plus tard, foudroyée par le cancer. A peine 37 ans. J'ai pleuré. Relire Rainer Maria Rilke. " Une seule chose est nécessaire : la solitude. La grande solitude intérieure. Aller en soi-même et ne rencontrer pendant des heures personne, c'est à cela qu'il faut parvenir. Etre seul, comme l'enfant est seul..."
Mon école, des miettes et des devoirs froissés dans mon sac US. Téléphone à fond dans le Walkman. " Un jour j'irai à New-York avec toi, toutes les nuits déconner, ne voir aucun film en entier, ça va de soi ". Perfecto noir acheté aux Puces de Saint-Ouen, lippe boudeuse, cheveux fins choucroutés. Anaïs-Anaïs, Cacharel. Attendre le bus sous la pluie, lycée Jacques Monod. Corinne aux yeux d'amande, sa main blanche dans ses cheveux noirs. Amitié effeuillée comme une marguerite. Eluard, la mort de Nush, bac de français, le trac. 28 novembre 1946. Nous ne vieillirons pas ensemble. Voici le jour. En trop. Le temps déborde. Mon amour si léger prend le poids du supplice.
Mon école, échange de Vinyles à la récré. Luna Parker. Tes états d'âme sont pour moi Eric comme des états d'Amérique. Il ne m'a pas calculée ou prise au sérieux. Apprendre à ne pas être son genre. Kilt écossais, créoles, Doc Martens. No Future. Qu'est-ce que je ferai plus tard ? Criminologue, médecin légiste, professeur de français, diva du dancing, femme libérée ? Je sais c'est pas si facile. Et puis on s'en fout. Savoir qu'il reste du temps, plein de temps. Cette grâce de l'insouciance.
Mon école, 16h30, la cloche sonne. Soleil mélancolique de juillet. Enfin, les grandes vacances. Se délecter de l'ennui. Fuir les vagues, avoir la peau blanche, rester à Paris, acheter des abricots juteux. Imiter Béatrice Dalle dans 37°2 le matin. Betty blue et Zorg, s'aimer sur la bande d'arrêt d'urgence. Ma trousse est presque prête. Un effaceur magique. Gommer les ratures, les maladresses, les mots en trop, les déclinaisons évasives. Apprendre à nouveau, puis tout oublier. Poitrine serrée, dire que ce con de François préfère ma copine.
Mon école, testament en couleur, bleus aux genoux, Mercurochrome, eau précieuse, la main de ma mère à la sortie des classes. Sa petite main diaphane qui sentait le muguet et le produit vaisselle. Lâcher sa main pour devenir une grande.
Astrid Manfredi, copyright tous droits réservés, le 27 décembre 2023.