« J'ai consumé ma vie en lectures, j'ai lu au lieu de vivre et les livres m'ont tué de mon vivant. »(August von Platen cité par Marthe Robert dans Livres de lecture)..
27 février 2023.- Froides éclaircies (5°C). (Matin.) Fini Les Chemins de l'évasion de Graham Greene. Malgré quelques belles pages sur Evelyn Waugh c'est un livre décevant qui donne souvent l'impression d'avoir été bidouillé au magnétophone. Pas la moindre appétence littéraire, un ensemble d’anecdotes plus ou moins intéressantes et un côté baroudeur qui pourraient être l’œuvre d'un mythomane qui ne s'ignore pas. Bon il n'y a rien de mal à vouloir verser dans la mythomanie, enfin de mal sauf si l’on se barbe et là c'est le cas. (Après-midi.) Longtemps je me suis couché assez tard et pour mieux m'endormir j'écoutais Du Jour au Lendemain l'émission d'Alain Veinstein sur France Culture. C'est là dans les strates du demi-sommeil que j'ai pu entendre une flopée d'écrivains que je pourrais caractériser comme contemporains de mon morne passage sur cette terre. C'est aussi là que j'ai pu entendre Pierre Dumayet parler de son Autobiographie d'un lecteur. Je me souviens que ce soir-là me réveillant à moitié je crus comprendre qu'il était question de Kafka ce qui était tout à fait ton sur ton et tenait assez du réveil éveillé dans lequel, mon corps et mon reste de cerveau disponible se trouvaient être. Cet après-midi, vingt ans plus tard, j'ai commencé la lecture de ce livre et comme tout se tient toujours par quelque chose — même un petit doigt — il se trouve que Dumayet commence son récit par une sorte de rêve éveillé… Pour le reste, il tire le fils de ses souvenirs et forme avec une merveilleuse pelote pleine de coq à l'âne et de digressions : « Il me semble qu’à ce moment-là, juste après la guerre, se mit en place une sorte de nouveau ciel que l’on regardait en baissant la tête. Il était composé d’étoiles ou d’astres qui avaient entre eux une parenté d’un type nouveau. Il y avait d’abord Franz Kafka, que les occupants avaient essayé d’étouffer et dont, maintenant, on espérait, presque chaque jour, un nouveau fragment. Nous lisions Kafka comme on lit, après coup, un prophète. »
28 février 2023.- Temps nuageux et froid (4°C). (Matin.) Dumayet, éloge de l'ORTF, éloge de ceux qui écrivent, de ceux qui lisent. Souvenirs de toutes ses émissions de télévision qui n’avaient rien d'élitiste et qui mettaient la culture à la portée de tous. Souvenir de Max-Pol Fouchet, de Nicole Vedrès, de Pierre Desgraupes, d'autres… Beaux sautillements entre Flaubert, Kafka et Proust. Le fait qu'il soit possible de vraiment interroger les phrases de ces trois trois là, car nous savons — peu ou prou — tout de leur œuvre et même tout de leur œuvre cachée (tout est édité ce n'est pas las le cas pour les écrivains contemporains). Les différentes façons de lire : pour le plaisir, pour s'instruire, pour travailler, parfois pour les trois en même temps. Dernière partie : les lecteurs et cette belle émission que fut Lire c'est vivre. Des quidams et des quidamesses ordinaires. Des ménagères, des instituteurs (et trices), des ingénieurs, des ouvriers, des collégiens qui interrogés par Dumayet parlent de leurs lectures, de littérature, d'Emma Bovary ou de Gregor Samsa. Cette émission qui malgré la prolifération indéfinie des moyens de transmission serait impossible aujourd'hui. Pour conclure : beau livre. « Je ne crois pas qu'un texte puisse être offensé par une lecture trop personnelle. Un texte est d'autant plus riche qu'il peut être lu de mille manières. Un texte qui serait lu de la même façon par des millions de personnes n'aurait pas plus d'intérêt que : “Il est dangereux de se pencher par la portière”. »
(Après-Midi.) Court retour dans le Dictionnaire égoïste de Charles Dantzig. Pas mal sur Musil : « Les Désarrois de l'élève Törless est un livre non « construit » (comme souvent les très bons livres, dont la devise pourrait être : “La maçonnerie suivra !” Et voilà comment il peut y avoir des livres de génie sans talent.) » Moins convainquant sur Nabokov dont il parle en amoureux déçu, lui reprochant sa vanité, son mauvais goût et une certaine couardise qui l’aurait poussé à vouloir protéger sa sensibilité derrière le cynisme. Nabokov est certes un peu tout ça, mais il ne me déçoit pas encore assez pour que je ne voie pas toujours ses nombreuses qualités.
2 mars 2023.- Éclaircies ( 8°C). Le trop-plein, l'inspiration : Cioran et Valéry (Paul). Nothing else : « Malheureusement le culte du travail a tout gâché, en art spécialement. De lui, de ce culte, vient la surproduction, véritable fléau, qui est funeste à l’œuvre, à l’auteur, au lecteur même. Un écrivain ne devrait, dans le meilleur des cas, ne publier que le tiers de ce qu’il a fait . » … « Un poète — ne soyez pas choqués de mon propos — n’a pas pour fonction de ressentir l’état poétique : ceci est une affaire privée. Il a pour fonction de le créer chez les autres. On reconnaît le poète — ou du moins chacun reconnaît le sien — à ce simple fait qu’il change le lecteur en "inspiré". L’inspiration est, positivement parlant, une attribution gracieuse que le lecteur fait à son poète : le lecteur nous offre les mérites transcendants des puissances et des grâces qui se développent en lui. Il cherche et trouve en nous la cause merveilleuse de son émerveillement. »
3 mars 2023.- Météo de saison, comme on dit (7°C). Semaine trépidante au labeur. Lundi, mardi et jeudi alerte à la bombe. Dans un e-mail inquiétant, un supposé djihadiste voulait nous faire sauter au nom d'Allah. Aujourd'hui le type est arrêté sur place par la gendarmerie, la Police nationale et la B. R. I. C'est l'un de mes collèges pas plus musulman que ça, un gamin maigrelet de 18 ans à la couleur de cheveux changeante (grise, rouge ou bleue, selon les jours et la température ambiante). Plaqué au sol, menotté puis entouré par plus de vingt malabars en bleu il a l'air tout penaud. Une mèche de couleur inracontable dépasse de son bonnet noir posé obliquement sur sa petite tête qui vire au blême. Il regarde ses chaussures de sécurité, tremble, ferme les yeux : un moinillon valétudinaire tombé de sa mauvaise blague.
Bouquinistes, bonne pioche : Fuite et fin de Joseph Roth - Soma Morgenstern, La France fugitive - Michel Chaillou, Le livre de l'hospitalité - Edmond Jabès, Voyage - Sterling Hayden, Vu sur la mer - Jean Rolin, La panoplie littéraire - Bernard Frank, Comme une fantaisie - Béhanzigue - Lettres à soi-même - Paul-Jean Toulet, Vivre à Madère - Jacques Chardonne, En lisant Augustin - Miklos Szentkuthy, Mes débuts - Paul Morand. Le tout pour moins de 15€, une aubaine.
4 mars 2023.- Soleil voilé (8°C). Mes Débuts, Morand. C'est tout petit, c'est très bien. Loin du Morand tardif et acrimonieux — celui du Journal Inutile — un Morand quadra(génaire) qui se souvient de ses propres débuts multiples et variés. Débuts dans la littérature, débuts dans la vie mondaine, débuts dans la diplomatie, débuts dans l'art du voyage… Belle forme qui ne s'oublie jamais élégante jusqu'aux deux dernières pages consacrées à ses débuts dans le cinéma ; un art, si c'est un art, aux mains d'une « nuée d'intermédiaires internationaux qui sont les maîtres invisibles du cinéma ». Voilà le Morand bistre, le reste est délicieux.
Lire Monsieur Vénus de Rachilde.
5 mars 2023.- Beau temps frais (8°C). Hier soir, vie sociale. Une bière, un verre de vin, pas plus et c'est déjà beaucoup.
Je persiste avec Morand en lisant J'ai eu au moins cent chats aux Cahiers Rouges. Un spicilège ressemblant un choix de papiers distillés par le Morand chroniqueur, pas journaliste, mais presque. Comme dans Mes débuts son enfance, sa famille, ses amis et ses voyages sont convoqués au petit confessionnal de la mémoire… Il parle aussi de Proust, Larbaud ou André Maurois, de ses chats, peut-être pas cent, mais tout de même bien nombreux. C'est un Morand finalement assez intime, un Morand qui frôle souvent le merveilleux. Comme je suis assez sans mes mots, je laisserai l'artiste s'exprimer en le recopiant bêtement : « Minuit. C’est l’heure où, dans les villas du Cap-d’Ail, les ministres concussionnaires jouissent en paix de la pergola de leurs rêves ; où les vieilles Américaines du Cap-Martin disent à leur chauffeur : “Appelle-moi maman ! ” ; où les fumeurs d’opium de Toulon ou de Beauvallon congédient leurs domestiques et déroulent leurs matelas et leurs fumées ; où les réfugiés allemands de Juan-les-Pins se baignent sous la lune et se jouent du Schumann sur disques Polydor ; où le gangster italien, embarqué à Brooklyn, passe sa tête par le hublot et se croit déjà arrivé à Gênes ; où le dernier train, celui de minuit vingt, amène à Vintimille les voyageurs éreintés d’avoir traversé d’une traite toute la France. C’est le moment où les Russes se relaient dans l’atrium de Monte-Carlo pour jouer le deux cent millième coup d’une martingale sûre ; où les jeunes lords phtisiques de 1880 et les princesses allemandes hydropiques de 1890 sortent de leur lit en marbre de Carrare du cimetière de Menton et retournent jouer à la roulette… C’est l’instant où les coffres des rades, agités par quelque houle sous-marine, grincent autour de leur chaîne rouillée, avec un gémissement qui sort des profondeurs de la mer, comme le soupir des trépassés. »
Lire La femme abandonnée de Balzac.
6 mars 2023.- Demi-soleil (11°C). Lourds aléas extralectoraux sur lesquels je ne reviendrais pas.
Quittant Paul Morand je reste ligne clair en poursuivant mes pérégrinations lectorales avec Michel Déon et À la légère, quatre nouvelles écrites pour La Parisienne, Le Figaro Littéraire ou Votre beauté au mitant des années 50. Pas extraordinaire, mais un certain charme, de la désinvolture fifties, un peu de désenchantement, un soupçon d'érotisme goujat et une pointe de misogynie badine qui n'est certainement plus de notre temps. La meilleure nouvelle est la troisième : Inconstante Constance (un aréopage de délégués de la Société des Nations louche sur le corsage et les gambettes d'une sténodactylo, l'un des diplomates en tombe amoureux. Il y aura de la fantaisie et de la déception).
Lire Akrivie phrangopoulo de Gobineau.
7 mars 2023.- Il pleut (10°C). Malade, retour des symptômes. Guère d'appétit lectoral. Commencé La Femme abandonnée de Balzac qui m'est tombée des mains au bout de quatre pages. Replis dans le Journal de Renard qui déçoit rarement et convenait parfaitement à mon humeur morose. Une cinquantaine de pages. Grande présence de Marcel Schwob, quelques lourdeurs, des merveilles.
Lire Le Naufragé de Thomas Bernhard.
9 mars 2023.- Radoucissement (16°C). Je croque dans L'Autofictif repousse du pied un blaireau mort, la saison 2019-2020 de l'animal Chevillard. Le sautillement est très vite là, le kangourou est convoqué : « Souffrant d’une entorse, il apprit à sautiller entre deux cannes anglaises. Après quelques semaines, guéri, débarrassé de ses béquilles, le kangourou continua pourtant sur sa lancée à progresser par bonds et nul n’a jamais osé — l’animal est belliqueux — lui faire remarquer qu’il pouvait maintenant marcher normalement. » Constat : dans toute l’œuvre de Paul Valéry il n'est jamais question du kangourou, il n'est pas non plus question du Koala, le docte Sétois doit avoir un problème avec les marsupiaux.
11 mars 2023.- Pluie intermittente (15°C). À l'image du Kafka de Max Brod le Fuite et fin de Joseph Roth de Soma Morgenstern est un autel dressé par un écrivain à la mémoire d'un autre écrivain ; un autel de l'amitié, de la reconnaissance, un autel informé aussi. Il y a de pires lectures. J'ai entamé ce livre, celui de Morgenstern, ce matin. Rien à redire pour l'instant. Nostalgie austro-hongroise, nation éclatée, Shtetl, « village initial » et souvenirs qui remontent, c'est émouvant et très bien.
Otherwise, a few pages of the Chevillard’s Autofictif. Still funny.
12 mars 2023.- Nuages épars, quasi beau temps (16°C). Repas dominicale familial, bu un verre de vin, c'est beaucoup. Chez Sona Morgenstern rencontre entre Musil et Roth. Les deux parlent de Kafka. Un intellectuel et un naïf. Je pencherais plutôt du côté du naïf.
13 mars 2023.- De la douceur du soleil et du vent (21°C). Alcoolisme et littérature, grande histoire. Morgenstern parle beaucoup de cette pente tragique qui aura emporté bon nombre d'écrivains. Évidemment, Roth est un parangon titubant de cette chose qui le fait verser vers le pire pour lui-même et vers le meilleur pour ceux qui le lisent. Enfin peut-être... rien n'est moins sur. Il pense que sans alcool il ne serait qu'un bon journaliste et rien de plus. Que l'inspiration ne lui vient qu'en buvant. Morgenstern pense l'inverse. Pour lui l'alcoolisme de Roth n'est qu'une tragédie et certainement pas une quelconque source d'inspiration. L'alcoolisme et le sac de sel… Être ami avec Roth c'était « manger un sac de sel avec lui ». Le manger ad vitam æternam…
Sinon en dehors de l'alcoolisme et des sacs de sel ingurgités avec ses amis, Roth était extrêmement poli, avec tout le monde et même avec les chiens, ce qui lui faisait un point commun avec Ernest Renan.
14 mars 2023.- Vent tempétueux (12°C). Pas au mieux, toujours malade… Les lignes qui suivent seront faiblardes
Le livre de Morgenstern n'est pas chronologique, il est même plutôt soumis au flux des souvenirs. On passe du Ring à la Rue de Tournon, de Vienne à Munich, de l'assassinat de Dolfuss à l'anschluss, des émigrés à Paris en 1938 aux persécutions subies par les juifs dans les débuts du pire. Seules les dernières pages apportent une sorte de linéarité. Une linéarité poignante et tragique, l'alcoolisme de Roth, ses delirium trémens, sa fin inéluctable qui tombe comme un couperet (le livre est très bien).
Plus joyeux, relu la première aventure de Gil Jourdan par Tillieux (c'est une BD).
17 mars 2023.- Ciel voilé (17°C). Me revoilà… Je picore dans L'Autofictif de Chevillard qui malgré quelques rares baisses de régime reste globalement sautillant. (Être pertinent 365 jours sur 365 jours me semble relever de la gageur.) Moins joyaux l'ami Cioran qui dans ses Cahiers perd sa mère. (Cette mort c'est comme sa propre mort puisque sa mère lui avait transmis toutes ses infirmités.)
Ce sera tout pour aujourd’hui.
18 mars 2023.- Soleil voilé (18°C). (Matin.)
« La vie s’est écoulée, pour moi, dans les trains de banlieue ; si j’ajoute mon enfance immémoriale, un autre monde, je perds pied, une sorte d’éternité m’habite ».
Mon refus persistant de m'engager pour quoi que ce soit — causes politiques, affaire sentimentale — est certainement lié à ma fainéantise ontologique. Pourquoi bouger alors qu'il est si commode et même si réconfortant de ne rien faire ? En attendant d'être emporté puis empaqueté par les affres du velléitaire je suis plongé dans le Vivre à Madère de Chardonne. Voilà un livre doux et peu velléitaire lui non plus (bien qu'un peu plus que moi). C'est la seconde manière de Chardonne qui est à l’œuvre, la plus tardive, la plus douce, la plus libre et gracieuse, avec cette tonalité qui donne l'impression d'avoir à faire à des phrases qui ne doivent plus grand-chose aux contraintes du prosaïque et du naturel ; dans une sorte de flottement aérien, tellement concordant avec les douceurs madériennes. (Je ne dirai rien de l'intrigue, vous n'avez qu'à vous renseigner).
(Après-midi.) Allongé en position horizontale de sécurité sur ma chaise de jardin de jardin je suis toujours avec Chardonne. Comme tout est certainement dans tout, page 163, je tombe sur ces mots qui me semblent tomber à brûle-pourpoint : « J’étais étendu sur une chaise longue devant la maison, près de la grille, depuis le déjeuner. L’après-midi fondait vite, tandis que je pensais, ou plutôt je rêvais. Depuis des années, ne voulant plus écrire, craignant la manie que j’avais autrefois de noter et d’approfondir des idées et des imaginations, qui ne valent que pour un instant, j’ai appris à les dissoudre quand elles se forment. J’ai poussé assez loin l’art de ne rien faire ; je peux rester inoccupé tout un jour dans un brouillard d’idée. Cette rêverie inoffensive n’est pas vide. »
19 mars 2023.- Quelques averses, une éclaircie (14°C). Qui est le vrai Chardonne ? Le romancier délicat et poignant de Vivre à Madère qui préfère dormir devant l'adversité où l'épistolier bistre et atrabilaire que l'on constate et subit dans sa correspondance avec Morand ? Certainement les deux… On préférera le premier, un Dr Jekill plutôt enchanteur, on oubliera le second, ce Mister Hyde vitupérant devant une somme de choses qui n'en valaient pas vraiment la peine. Autre cas, encore une dichotomie : Gobineau. Je vadrouille dans son Mouchoir rouge, une nouvelle que l'on pourrait définir comme délicieuse. Rien de l’Inégalité des races, plutôt un condensé de ses heureuses Pléiades. Rien à redire, c'est très beau, pour preuve : « Du reste, il était de mœurs simples, et allait dans les rues en habit noir râpé, en cravate d’un blanc douteux, quelquefois en pantoufles, fidèle en cela au laisser-aller italien, et toujours sans le moindre ruban à sa boutonnière. On lui en savait gré.»
Dernière lecture du jour (l'orage point, en mars c'est étonnant), Chevillard et son Autofictif. Goût de greguerias, goût de Ramón Gómez de la Serna. Pas de cas étrange, pas de double personnalité. Chevillard penche du bon côté. Peut-être un peu trop, allez savoir ?
20 mars 2023.- L'hiver finissant, ce nuage qui passe devant le soleil, je le hais (13°C) François Gorin fut avec Michka Assayas celui qui aux débuts des années quatre-vingts dans les colonnes de Rock & Folk ouvrit mes écoutilles (pour ne pas dire mes oreilles). J'ai une immense dette envers lui et je ne me voyais pas penser le moindre mal de son Carnet vert que j'ai lu dans la matinée. Je ne le ferais donc pas, tout d'abord par fidélité avec mon moi jeune adulte et quasi-adolescent ensuite parce que c'est un livre que j'ai trouvé très à mon goût. Ce n'est qu'une petite affaire littéraire, mais elle est très bien. Elle est échafaudée à partir d'un modeste carnet retrouvé au fond d'un tiroir, un modeste carnet où Gorin notait les numéros de téléphone d'une petite armée de gens qu'il aura croisé au fil des ans et dont il se souvient. Des garçons, des filles, des gens que l'on croit deviner connaître, d'autres qui resteront anonymes et un peu indistincts, un peu gris… Le résultat aurait pu être problématique cédant au petit ton, à la petite musique, ce n'est pas le cas. Je dirai que nous sommes plutôt dans quelque chose de Perec et de Modiano en pleine coalescence sur une bruine mémorielle. Il y a un vrai art du portrait, une délicate attention au temps qui passe, un certain pincement. C'est pas mal du tout : « Je chasse les souvenirs avec un filet à papillons percé, et je ne vois que ton visage, tes fantastiques cheveux, ta nuque, tes jolis pulls, la carnation de tes joues. Tout cela est très joli, mais… »
Par ailleurs, toujours avec Chevillard le grand ami de Frédéric Beigbeder.
Lire Les éclats de Bret Easton Ellis.
21 mars 2023.- Légère couche nuageuse (16°C). Examens médicaux, une échographie abdominale, résultat, j'ai le foie trop petit. Trop grand je veux bien, mais trop petit, qu'elle est donc cette histoire ?
Dans son Autofictif Chevillard liste les personnalités qu'il aura « vues de ses yeux vues, de ses yeux vivants vus ». Comme je suis assez désœuvré (en fait, je prends ma retraite à moitié avant l'heure légale), j'ai moi aussi démoulé ma petite liste, la voilà (mes personnalités étant pour l'essentielle moins mortes que vivantes, je triche et biaise un poil la proposition chevillardienne) : Carlos, Carole Laure, Bernard Thevenet, Paul Lederman, Pierre Tchernia, Gérard Jugnot, Marie Myriam, Marc Lavoine, Gérard Collomb, Ogor Plotvitch, Henri Pescarolo, Laurent Wauquiez, Eric Champ, Bruno Gollnisch, Alain Maneval, Lyn Byrd, Nic North et Oliver North, Peter Zaremba, Raoul Lachenay, Victor Wembanyama, Eric-Emmanuel Schmitt.
Extraballe footballeurs et footballeuses : Pascal Olmeta, Sonny Anderson, Michael Essien, Franck Gava, Sydney Govou, Wendy Renard, Fleury Di Nallo, Rémi Garde, Bernard Lacombe…
Chose étonnante, tout étant décidément dans tout, je n'ai pas fini de poser mon Autofictif qu'ouvrant au hasard le Journal de Renard à la date du 5 août 1893 je tombe sur une autre Chevillard. Celui-ci n'a rien à voir avec l'homme de chez Minuit c'est un escrimeur plein de retraits d'une grâce imprévue. Tout son jeu est une composition de haut style : « sa phrase d'armes est presque littéraire. »
Rien (ou presque) : Mon hôtel à insectes est une franche réussite, colonisé par une horde d'abeilles, il va falloir que je le détruise.
22 mars 2023.- Appétence printanière (20°C). Bel douceur, je tangue. Court retour dans les Cahiers de Cioran que je lis avec parcimonie, faisant durer le plaisir. Rien à redire je taponne presque tout. Ceci par exemple : « La sagesse est de laisser les choses en l’état. Chaque fois que j’ai essayé d’y remédier, je m’en suis trouvé plus mal, à cause de complications imprévues et à vrai dire imprévisibles, inhérentes à tout changement, même en bien. »ou encore : « L’héroïsme est puéril. Il faut regarder plus loin. »
24 mars 2023.- Pluie (14°C). Labeur, fatigue… Dans les rues, émeutes, le son de l'explosion. Nouvelles acquisitions, ma pile de livre à lire devrait bientôt traverser le plafond : Tout ce qui n'est pas écrit disparaît et Une vie à brûler - James Salter, L'ombre infinie de César: Regards sur la Provence - Lawrence Durrell, Siegfried et le Limousin - Giraudoux, La maison Mélancolie et Mauvais genre - Nourissier, L'Explosion de la durite - Jean Rolin, L'épreuve de Gilbert Pinfold - Evelyn Waugh, Un château en forêt - Norman Mailer, Cordon-bleu - Patrick Deville, Le dernier ange - Robert de Goulaine, Les Chemins parcourus - Edith Wharton, Un jeune homme bien élevé - Jean-Jacques Brochier, En haine du roman - Marthe Robert, Les taiseux - Jean-Louis Ezine, Comme ceci comme cela - Jean Tardieu, Amour Noir - Dominique Noguez, Croquis de mémoire - Jean Cau.
To be continued.