Les Vrilles de la vigne de Colette

Par Etcetera

Une amie m’a offert ce livre Sido suivi des Vrilles de la vigne, car elle connaît mon goût très vif pour le style de Colette.
J’ai aimé autant ce premier recueil de souvenirs familiaux que le second ouvrage, rassemblant de brèves nouvelles ou textes poétiques. Et c’est justement les Vrilles de la vigne que j’ai choisi de présenter aujourd’hui.

Un Extrait de la Quatrième de couverture

Sido et Les Vrilles de la vigne sont deux textes distincts de l’œuvre de Colette écrits à des périodes différentes de sa vie. (…) Les Vrilles de la vigne (1908) rassemblent des confidences, dialogues et textes courts dans lesquels on retrouve tous les thèmes chers à Colette : l’amour, l’indépendance, la solitude, les souvenirs, les bêtes, la nature…

Mon Avis

Ce livre rassemble de courtes nouvelles, abordant des thèmes variés : des dialogues de bêtes entre son chien et son chat, de courts récits mettant en scène une de ses amies, Valentine, jeune bourgeoise mariée et dotée d’un amant, des scènes de bord de mer (une partie de pêche avec des amis, une journée caniculaire à la plage, etc.), un dialogue imaginaire entre elle-même et l’une de ses anciennes chiennes, le portrait d’une chatte partagée entre ses devoirs maternels et ses élans sensuels, des descriptions de la nature d’une merveilleuse poésie, des réflexions sur le maquillage des femmes à l’époque où Colette avait elle-même ouvert un salon de beauté et tentait de rajeunir ses contemporaines par la magie des couleurs et des ombres…
Dans ces textes, Colette laisse entrevoir beaucoup de son univers intime mais, souvent, de manière indirecte et voilée. Ainsi, elle laisse le soin à son chien et à son chat de nous parler d’elle et de se disputer sur la signification de ses différentes attitudes. Aussi, elle nous propose le portrait de cette jeune amie, Valentine, tout en se positionnant elle-même dans un second plan bienveillant, protecteur et expérimenté – se mettant à la fois dans un rôle subalterne, en retrait par rapport à Valentine, mais aussi dans un rôle de conseillère avisée, qui a déjà traversé les mêmes souffrances que sa jeune amie mais qui a su les surmonter. En nous parlant de Valentine, nous comprenons donc aisément que c’est aussi d’elle-même qu’elle parle, d’une Colette plus jeune et plus inconséquente, dont elle se souvient.
Ce livre aborde quelques thèmes que l’on pourrait considérer comme typiquement féminins et qui pourraient même passer pour carrément frivoles – en particulier le maquillage, dont on supposerait a priori qu’il ne se prête pas à de la grande littérature (on n’imagine pas Chateaubriand ou Victor Hugo nous entretenir de rouges à lèvres ou de fards à paupière) – et pourtant, Colette nous prouve ici que ces sujets n’ont rien de superficiel, qu’ils ont leur part de profondeur, de signification, de noblesse…
Colette semble donc revendiquer une féminité pleine et entière, délivrée des convenances et des qu’en-dira-t-on. Portraiturant sa jeune amie Valentine, prise entre son amant et son mari, puis souffrant d’avoir été quittée par son amant, à aucun moment l’écrivaine ne nous rappelle la morale bourgeoise de son temps ou n’emploie les mots « adultère » ou « infidélité », qui pourraient évoquer le moindre jugement négatif sur cette situation, et c’est comme si Colette voulait totalement éliminer ces sortes de principes bourgeois, très puissants à son époque, de son univers mental et littéraire.
Du point de vue de son écriture, elle nous offre des descriptions merveilleuses, établissant souvent des liens de ressemblance entre le monde animal, le monde minéral, et celui des végétaux. Ainsi, à un moment, elle compare une feuille de sauge légèrement duveteuse à l’intérieur de l’oreille d’un chat, et on perçoit de façon quasiment épidermique le contact doux et tiède de l’une et de l’autre, de même que leur forme commune. A un autre moment, elle compare la dent d’un chat à un petit bout de silex bleuté, et nous percevons d’un seul coup toutes les qualités de dureté, de semi transparence, de brillance, de couleur et de coupant réunissant ces deux objets d’observation, qui nous apparaissent immédiatement et magiquement à la faveur de ces mots. Et il y aurait des quantités d’exemples.
Un livre génial, à côté duquel il serait dommage de passer !

Un Extrait page 248

Mon pied nu tâte amoureusement la pierre chaude de la terrasse, et je m’amuse de l’entêtement de Poucette, qui continue sa cure de soleil avec un sourire de suppliciée… « Veux-tu venir ici, sale bête ! » Et je descends l’escalier dont les derniers degrés s’enlisent, recouverts d’un sable plus mobile que l’onde, ce sable vivant qui marche, ondule, se creuse, vole et crée sur la plage, par un jour de vent, des collines qu’il nivelle le lendemain.
La plage éblouit et me renvoie au visage, sous ma cloche de paille rabattue jusqu’aux épaules, une chaleur montante, une brusque haleine de four ouvert. Instinctivement, j’abrite mes joues, les mains ouvertes, la tête détournée comme devant un foyer trop ardent… Mes orteils fouillent le sable pour trouver, sous cette cendre blonde et brûlante, la fraîcheur salée, l’humidité de la marée dernière…
Midi sonne au Crotoy, et mon ombre courte se ramasse à mes pieds, coiffée d’un champignon…
Douceur de se sentir, sans défense et sous le poids d’un beau jour implacable, d’hésiter, de chanceler une minute, les mollets criblés de mille aiguilles, les reins fourmillants sous le tricot bleu, puis de glisser sur le sable, à côté de la chienne qui bat de la langue !
(…)

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Un Extrait page 226-227

– Vous l’aimez encore ?
Elle hésite :
– Je ne sais pas. Je lui en veux terriblement, parce qu’il ne m’aime plus et qu’il m’a quittée… Je ne sais pas, moi. Je sais seulement que c’est insupportable, insupportable, cette solitude, cet abandon de tout ce qu’on aimait, ce vide, ce…
Elle s’est levée sur ce mot d' »insupportable » et marche dans la chambre comme si une brûlure l’obligeait à fuir, à chercher la place fraîche…
– Vous n’avez pas l’air de comprendre. Vous ne savez pas ce que c’est, vous…
J’abaisse mes paupières, je retiens un sourire apitoyé devant cette ingénue vanité de souffrir, de souffrir mieux et plus que les autres…
– Mon enfant, vous vous énervez. Ne marchez pas comme cela. Asseyez-vous… Voulez-vous ôter votre chapeau et pleurer tranquillement ?
D’une dénégation révoltée, elle fait danser sur sa tête tous ses panaches couleur de fumée.
– Certainement non, que je ne m’amuserai pas à pleurer ! Merci ! Pour me défaire toute la figure, et m’avancer à quoi, je vous le demande ? Je n’ai aucune envie de pleurer, ma chère. Je me fais du mauvais sang, voilà tout…
Elle se rassied, jette son ombrelle sur la table. Son petit visage durci n’est pas sans beauté véritable, en ce moment. Je songe que depuis trois semaines elle se pare chaque jour comme d’habitude, qu’elle échafaude minutieusement son château fragile de cheveux coûteux… Depuis trois semaines – vingt-et-un jours ! – elle se défend contre les larmes dénonciatrices, elle noircit d’une main assurée ses cils blonds, elle sort, reçoit, potine, mange… Héroïsme de poupée, mais héroïsme tout de même…
Je devrais peut-être, d’un grand enlacement fraternel, la saisir, l’envelopper, fondre sous mon étreinte chaude ce petit être raidi, cabré, enragé contre sa propre douleur… Elle s’écroulerait en sanglots, détendrait ses nerfs qui n’ont pas dû, depuis trois semaines, faiblir… Je n’ose pas. Nous ne sommes pas assez intimes, Valentine et moi, et sa brusque confidence ne suffit pas à combler deux mois de séparation…

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