Il y a une semaine, Caroline Bouffault devenait lauréate de la Mention du public pour son roman Thelma, paru aux éditions Fugue. J’avais beaucoup aimé ce roman qui figurait dans les cinq préférés que -comme 500 autres votants- j’avais transmis au Prix Hors concours, que je suis depuis sa création en 2016 et dont j’apprécie tant qu’il puisse révéler aussi bien (c’est son propos mais il est pleinement atteint) des maisons d’édition qui n’ont pas suffisamment de visibilité et aussi des primo écrivains.
Lire n’est pas qu’une activité intellectuelle disait fort à propos Gaëlle Bohé, la fondatrice du prix. On lit aussi avec son corps et il est important d’apprendre à respirer en même temps pour prétendre savoir lire.
Pour ce qui est du corps, Caroline Bouffault en parle avec beaucoup de finesse. Nous avons eu entre les mains plusieurs ouvrages qui traitent de l’anorexie. Ce qui fait la différence avec le sien, c’est que la maladie n’est pas niée par la jeune fille, pleinement consciente de dysfonctionner mais ne pouvant opposer de résistance efficace à la voix intérieure qui lui impose de maitriser son corps et qui est traitée comme un vrai personnage, prenant le nom de l’Entraineur, avec un E majuscule.
Il est évidemment très bien vu que ce soit précisément dans le sport que Thelma envisage une porte de sortie. D’où cette photo de couverture la montrant dans les starting-blocks. J’ai beaucoup apprécié aussi que l’entourage familial, certes imparfait, et même très imparfait, soit aimant et bienveillant, même s’ils ne sont pas toujours de bons conseils. Il était sans doute important pour l’auteure que cette anorexie ait démarré sans raison apparente, et donc sans offrir le moindre levier pour la résoudre.
Les parents en premier lieu sont persuadés que cette anorexie a forcément une cause. Qui plus est une cause rationnelle et le père va jusqu’à dresser une longue liste d’hypothèses qu’il soumet au psychiatre. L’absence de cause signifierait qu’il n’y aurait sûrement pas de solution. Leur faudrait-t-il attendre les bras croisés que le pire, ou le meilleur, advienne tout seul ?
Ce sera effectivement à Thelma de déterminer seule quelle voie suivre pour s’en sortir … ou sombrer plus bas. Toute la famille et l’entourage vont jouer un rôle positif ou négatif et c’est ensemble qu’ils gagneront ou perdront la bataille, un peu à l’instar de ces nouveaux jeux de société où tous les participants composent une seule équipe.
Du coup le roman embrasse des thèmes bien plus larges que celui de la santé mentale. Il reste un récit intimiste en nous plaçant régulièrement dans le cerveau de la jeune fille mais il n’occulte pas les états d’âme des autres protagonistes. Des notes d’humour ponctuent un récit qui, parfois, s’accélère comme un roman policier.Le lecteur est pleinement aux côtés de Thelma, espérant une issue heureuse puisque Ce qu’entreprend Thelma Thelma le réussit. Combative et lucide, fragile et sarcastique, la jeune fille va tenter de s’inventer un chemin parmi des adultes aussi désorientés que leurs cadets.
La trajectoire de la jeune fille s’entrechoque à celle de ses proches, et le roman nous plonge tour à tour dans les aléas de la vie de couple, les soucis scolaires, les amitiés adolescentes, les paradoxes des fratries … et les conflits de loyauté entre les uns et les autres, sans oublier la problématique très contemporaine de la responsabilité des enseignants.Caroline Bouffaulta grandi près de Grenoble et vit actuellement à Paris. Thelma est son premier roman. Elle écrit si bien sur la famille qu’on peut prendre le pari que ce premier sera suivi par plusieurs autres. En tout cas, on a hâte.Fugue est une maison d’édition indépendante créée il y a tout juste un an par deux éditrices, transfuges de Buchet-Chastel. Gaëlle Belot est éditrice depuis 20 ans et y a dirigé les collections « Musique » et « Les Auteurs de ma vie ». Éditrice depuis 15 ans, Sophie Bogaert (ci-contre à côté de l’auteure) a dirigé la collection de littérature « Qui Vive ».Thelma de Caroline Bouffault, aux éditions Fugue, en librairie le 6 janvier 2023