Très attendue, la nouvelle fiction de Leïla Kilani est particulièrement décapante : tant dans la forme que dans le fond, la réalisatrice poursuit sa démarche radicale et inventive pour interroger le temps présent et appeler à renouveler les paradigmes. Entamant sa tournée des festivals, le film a déjà obtenu le Grand prix du Festival du film arabe de Fameck, le Prix de l’innovation au Festival Nouveau cinéma de Montréal et a été retenu pour leur grand prix par les lycéens du Festival des films d’Afrique en pays d’Apt.
Ce qui frappe d’emblée dans Indivision, c’est la continuité esthétique avec les précédents films de Leïla Kilani (cf. sa masterclass au festival d’Apt), et notamment sa première fiction Sur la planche : le slam et la parole foisonnante d’une jeune femme, la fureur de vivre de la jeunesse, une caméra mouvante s’attachant charnellement aux corps et les mettant en perspective. Mais ce qui frappe encore plus, c’est que cette esthétique ouvre toujours davantage à l’actualité du film, sa façon de traiter sans ambages des enjeux de notre temps.
Et dans cette famille, Lina, 13 ans. Sa mère est morte dans un accident de voiture qu’elle avait provoqué en montrant à son père des cigognes. Elle a fait vœu de silence jusqu’à ce qu’il sorte de son coma, mais le poursuit encore alors qu’il est maintenant bien vivant. »Ils disent que je suis possédée, une lunatique, une sorcière ! » Elle ne cesse paradoxalement de s’inscrire frénétiquement ses mots et ses questions sur la peau, et de s’exprimer sur les réseaux sociaux. Cette déferlante intérieure largement suivie et commentée à l’extérieur révèle à toutes et tous les affres de la relation familiale, à commencer par les agissements violemment jusqu’au-boutistes de la grand-mère, que Lina surnomme « La Maréchale ». Lina balance ainsi son journal filmé dans l’espace public, sans souci des conséquences : les jeux de pouvoir entre classes sociales, les contradictions de chacun, les sales petits secrets et son propre désarroi face à la dégradation généralisée du vivre ensemble.
Lina écrit un « journal des coïncidences », faisant le parallèle entre les dérives environnementales et les pulsions humaines. Sous le pseudo de Cigogna nera (la cigogne noire), elle s’inscrit comme appartenant au peuple des cigognes qui se rassemblent dans le domaine, non plus comme simple étape de leur migration, mais déboussolées par le changement climatique, devenues des êtres inquiétants et incertains. Cela donne des images hallucinantes qui renforcent l’alerte aussi politique que poétique que constitue Indivision quant à la possible fin du monde, et son appel à retourner le cours des choses tant qu’il est encore temps.
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