« Cʼest à nous de créer nos valeurs, de les reconnaître, de les transporter à travers le monde, mais nous sommes notre propre soleil », disait Sembène Ousmane. Le 21 mai 2023 au Pavillon des Cinémas du monde de l’Institut français au festival de Cannes, une table-ronde modérée par Catherine Ruelle a réuni Ghaël Samb Sall, qui dirige à Dakar le Fonds d’archives africain pour la sauvegarde des mémoires ainsi que les éditions Vive Voix qui viennent de publier Ousmane Sembène le fondateur dans la collection « Les grands cinéastes panafricains » ; Valérie Berty, New York University de Paris, auteure de Sembène Ousmane, un homme debout ; Renaud Boukh, directeur de la maison d’édition marseillaise Héliotropismes qui a réédité Le Docker noir, premier roman de Sembène (1956), enrichi de nombreuses archives ; Abdoul Aziz Cissé, cinéaste et secrétaire permanent du FOPICA ; et Cheick Oumar Sissoko, secrétaire général de la FEPACI. Transcription légèrement résumée, photos O.B.
Mots de bienvenue
Erol Ok, directeur général de l’Institut français : Cette table-ronde prend place dans le cadre du centenaire de la naissance de l’écrivain et cinéaste Sembène Ousmane. C’était à Cannes en 2018 que l’Institut français et le CNC ont lancé l’opération 20 films pour 2020. Aujourd’hui, 23 films ont été restaurés et une grande partie est disponible sur la plateforme ifcinema du réseau culturel français à l’étranger mais aussi pour les partenaires africains avec notamment les écoles de cinéma et les ciné-clubs en Afrique. Après un an d’expertise menée par Brice Ahonou, Dyana Gaye et Catherine Ruelle, nous sommes heureux de lancer une nouvelle vague de 30 restaurations de films africains du fond de la Cinémathèque Afrique mais aussi des films rares. Saluons leur travail d’experts.
Marianne Carré, conseillère des Affaires étrangères, sous-directrice Culture et médias, ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères : La cinémathèque Afrique parle d’un patrimoine qui a besoin d’être restauré car il porte une vision du monde. Les défis sont techniques et financiers et doivent être résolus. Le réseau culturel est au service de tous pour la circulation des films déjà numérisés et sauvés, en lien avec les partenaires africains, à commencer par la FEPACI.
Le ministre sénégalais de la Culture et du Patrimoine historique, Aliou Sow, salue l’engagement de Cheick Oumar Sissako, président de la FEPACI, et de Ghaël Samb Sall, directrice de Vives voix, et poursuit : « Notre rôle est d’accompagner les initiatives. L’ouvrage sur Sembène Ousmane publié par Vives voix est porteur de ces valeurs qui nous ont bercés étant jeunes. L’Institut de Saint-Louis a organisé un colloque important. C’est par la culture que nous pouvons opérer le rapprochement des peuples contre les tentatives diaboliques des populistes qui attisent la haine des autres et leur méconnaissance. La préservation et surtout la diffusion du patrimoine concourent au partage des valeurs démocratiques. Il est important qu’il soit maintenant reconnu que les Sénégalais produisent leurs films dans leurs langues. La sélection en compétition officielle d’un film sénégalais sur des réalités africaines a un immense impact en termes de relecture des rapports franco-sénégalais. La préservation des chaînes initiatiques dont la rupture n’est que violence, incompréhension et insécurité est essentielle : la transmission du passé au présent et du présent à l’avenir sans altérer l’authenticité des valeurs ».
Alain et Ousmane Sembène
Fils d’Ousmane Sembène, Alain Sembène intervient en visio : « mon père allait volontiers à Cannes, il le considérait comme un festival important, il y a été jury. Merci de lui rendre hommage ».
Catherine Ruelle, modératrice : Alain est le fils aîné de Sembène Ousmane. Il est né dans la région : il est important de replacer l’histoire de Sembène Ousmane entre les continents. Cet enfant rebelle, qui a fait mille métiers manuels, a été élevé par sa grand-mère. Il est à la fois très connu et méconnu : peu de gens ont vraiment lu ses livres et vu ses films, lesquels ne circulent pas assez. C’est un jeune homme qui nous permet de réinventer le futur, pour reprendre une phrase de Sankara dont il fut ami. Parti comme tirailleur dans l’armée française, revenu à Dakar et retourné à Marseille où il sera notamment docker, il est devenu écrivain dans cette région du sud de la France où il tourne son premier film de fiction… Quand il parcourt l’Afrique dans les années 60, il comprend que les mots ne suffisent pas pour en rendre compte. Il apprend le cinéma en Union soviétique, un langage qu’il appellera « école du soir ». Sembène Ousmane est important car il parle encore à tout le monde. Un rebelle qui aspire à l’indépendance, la dignité, la fierté, la transmission : ce sont des mots qui nous parlent aujourd’hui, et comme disait le ministre, c’est un message à faire revivre au présent et au futur.
Puis vient un extrait vidéo d’un entretien de Catherine Ruelle avec Sembène : « Vraiment Catherine, pour moi la création ne peut pas s’expliquer, je la vis. Après l’avoir fait, est-ce que je peux l’expliquer ? Quand je suis tout seul dans le plus profond de la nuit avec ma conscience, et que les gens m’obligent à penser à moi, je me dis que je n’ai pas mal vécu, sans avoir une ligne tracée au début. Ce sont les autres qui m’ont enseigné, éduqué, aidé. C’est l’éducation traditionnelle qui m’a aidé jusqu’à nos jours à être un peu sauvage – je m’en flatte, un peu casanier – je m’en flatte. J’ai horreur du mensonge et de l’esbroufe. J’ai vécu en France, non pas au niveau de la Sorbonne mais du peuple français. Quand j’étais dans le midi de la France, je vivais en famille avec des Français. Je ne vivais pas en France, je vivais dans la France. J’étais docker sur le port de Marseille, cégétiste, membre du Parti communiste. On avait une grande bibliothèque mais la place qu’y occupait l’Afrique était minime. C’était de la littérature de cocotiers : les bananes mûres, le soleil. Ce n’était pas mon Afrique, pas l’Afrique réelle. J’ai voulu montrer qu’il y a une Afrique qui combat. Pas une Afrique qui pleure, qui saigne, qui attend tout de l’autre. Il y a une autre Afrique qui espère, qui a sa beauté. Et si je ne parle pas de l’Afrique, qui va en parler ? J’ai écrit trois ou quatre livres, j’ai fait le tour de l’Afrique, et avec tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai entendu, il n’y avait pas assez de mots pour le dire. Autour de moi, les gens parlaient de l’image. J’avais 40 ans. Je suis retourné en Europe, où on pouvait apprendre le cinéma pour témoigner, apporter des images aux Africains. Je voulais témoigner et participer. Je n’aime pas le témoin neutre, je n’y crois pas. J’ai profité des autres cinémas. Il y avait le cinéma italien, Le Voleur de bicyclette qui a un peu inspiré Borom Sarret. Il y avait le Kino Pravda en Union soviétique, etc. j’ai bénéficié de l’apport de tous les peuples de la terre ! Je le revendique. Mais il s’agissait de voir comment créer notre cinéma, notre esthétique. Le cinéma est une école du soir, et qui dit « école du soir » dit pédagogie, et qui dit pédagogie dit « manière d’enseigner ». Je ne suis pas le premier à le dire. On le dit en bambara et c’est inscrit dans le Coran. Enseigner à un enfant, c’est graver sur la pierre. Enseigner à un vieillard, c’est écrire sur l’eau. Tous les enfants vont au cinéma. Tous nos enfants sont fascinés par l’image. Même moi. N’aime écrire et faire du cinéma : je veux créer, c’est une création. L’époque coloniale, les Indépendances, c’est pas mal. C’est aux Africains de faire des recherches pour aller plus loin que Sembène Ousmane. Il ne nous intéresse pas comme individu mais ses œuvres doivent nous intéresser. Parce qu’elles nous renvoient l’image de notre société. Quand on crée, il faut avoir l’ambition de parler à ses contemporains. C’est notre contribution à cette nouvelle société qui est en train de se faire. »
Catherine Ruelle : Comment avez-vous rencontré Sembène la première fois ?
Abdoul Aziz Cissé : Je fais partie de la génération des Sénégalais qui ont appris les romans de Sembène à l’école. C’était un rapport conflictuel car vu que c’était des œuvres au programme, on s’était promis de ne pas les lire et les profs s’étaient promis de nous les faire lire ! Plus tard, nous avons découvert qu’il était cinéaste. Nous étions de la génération du numérique, mais nous situions toujours par rapport à lui.
Ghaël Samb Sall (fille d’Aboubacar Samb Makharam, premier secrétaire de la FEPACI) : J’ai des souvenirs de Sembène dans la cour quand j’avais 3 ou 4 ans, une ambiance festive, avec d’autres enfants. C’était la fête de fin de tournage. On était et on est restés une grande famille parce qu’on continue à se parler, à se voir. On a créé un groupe avec des cinéastes ou ayant-droits du Continent. On s’appelle « les héritiers engagés », tous un peu éparpillés en Afrique ou en Europe. On partage nos expériences, notamment avec Stéphane Vieyra. Sembène était un porc-épic, vraiment. Il était de la famille mais il n’était ni facile ni agréable, même pas avec les enfants, même pas avec les petits filles aux cheveux bouclés ! Adolescente aussi, c’était des rapports tendus. Jeune femme aussi : il égratignait tout le monde, il n’épargnait personne. Et puis je l’ai rencontré, en préparant ce livre. Je fais des beaux livres en travaillant sur le patrimoine immatériel depuis des années, plus de quinze ans. On commence par les cinéastes sénégalais, sur les traces de nos pères, et me voilà habitée par Sembène. Je traverse le réalisateur, le militant, l’écrivain, mais l’homme aussi, et cela m’a beaucoup intéressé.
Cheick Oumar Sissoko : 1970 à Paris, étudiant et engagé politiquement à la CGT et à la Fédération des étudiants maliens. J’ai changé pour faire de la politique mais aussi pour faire du cinéma après avoir vu des films de Sembène. Au cinéma Racine, je suis allé voir un de ses films et il était là : je lui ai dit vouloir faire du cinéma, il m’a répondu tout de go : « laisse tomber ! » Il te rabroue, il te violente mais c’est pour savoir ce que tu as dans le ventre, si tu es vraiment sérieux, après il devient gentil. J’étais déséquilibré !
Renaud Boukh, éditeur à Marseille : En tant que marseillais, j’avais travaillé sur un auteur noir américain passé par là, Claude McKay, également formé en Union soviétique, qui fut aussi docker, qui a parcouru le monde. Il a noué des rapports interpersonnels dans la ville à travers différents réseaux et filiations comme Sembène. Comme ce n’est pas très présent dans les différentes biographies de Sembène, je voulais explorer cela, d’autant qu’il y a encore à Marseille des gens qui l’ont connu. Il a réinventé le futur. Il n’a cessé de se réinventer. Quand il est arrivé à Marseille, il n’était pas nouvelliste, ni écrivain, ni poète, ni même docker : il l’est devenu à Marseille. Se réinventer cinéaste à plus de 40 ans, c’est rare !
Valérie Berty, auteure de Sembène, un homme debout (Présence africaine), qui fait le lien entre création littéraire et cinématographique : J’ai rencontré Sembène à travers la littérature, que j’enseigne depuis 20 ans à l’université américaine à des Américains passionnés par Sembène. J’ai aimé dialoguer avec ses oeuvres. Je revendique la littérature de Sembène. Il a écrit huit romans, quinze nouvelles, et a fait douze films de fiction, dont six sont des adaptations ou des reprises de ses livres. Quatre sont de texte à film et deux (Guelwaar et Taaw) sont de film à texte. Il disait lui-même que « cette bigamie créatrice est fécondante : elle m’a enrichit ». J’ai travaillé sur ces deux amours indissociables. La littérature et le cinéma disent la même chose mais différemment, et traitent de problématiques actuelles.
Catherine Ruelle : Niaye, sa première adaptation, annonce toute son œuvre à venir : l’inceste par un chef de village noble sur sa fille, dans un village marqué par les dissensions entre castes, le peuple essayant de bouger face aux nobles en pleine décrépitude, l’exil rural, etc. Il est disponible sur youtube.
Renaud Boukh (Editions Héliotropismes) : Il m’arrive de faire de la recherche pour soutenir un livre. Dans le cas de Sembène, Samba Gadjigo, son biographe, parle de cette époque marseillaise à partir de sources orales. Il a rencontré des personnes qui l’avaient connu à Marseille. Sembène était affilié et militait à la CGT, au PC, à la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), et seul Africain dans un mouvement luttant contre l’antisémitisme après la Shoah, au MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié des peuples). Il a aussi milité dans le réseau panafricain, secrétaire général de l’association des originaires d’AOF et d’AEF, pour obtenir des postes pour les marins africains. En 1952, lorsque la chauffe au bois a été remplacée par le moteur diesel à mazout, les marins africains qui travaillaient sur les transatlantiques ne servaient plus à rien et ont été abandonnés sans que soit posée la question de leur avenir. Né dans une des Quatre communes, Sembène avait droit à une carte pour l’embauche. Il dérobe des cartes pour les donner à ces marins, et se fait attraper comme voleur… Les témoins étant décédés ou très âgés, il me fallait m’appuyer davantage sur les sources écrites et iconographiques. J’ai galéré dans les archives politiques du PC sans rien trouver, et suis tombé sur une boîte des Renseignements généraux dans les archives départementales Gaston Deferre qui mentionnait Sembène. Il avait créé l’antenne du PAI (Parti africain de l’Indépendance) à Marseille. Leurs réunions, organisées dans des bars, étaient infiltrées par des indicateurs qui transcrivaient ce qui s’y disait. On a trouvé des centaines d’archives : cette histoire est à écrire. Le Docker noir nous informe sur sa radicalité à Marseille puis sa résistance en Afrique. On le présente comme héraldique, bourru, mais ses héros sont collectifs, des gens du peuple.
Catherine Ruelle : Que représentait Sembène pour vous ?
Cheick Oumar Sissoko : Sembène voulait la liberté de tous contre tout asservissement. Il s’est porté volontaire contre le nazisme pour la libération du monde. Il a été syndicaliste contre l’exploitation capitaliste des travailleurs. Pour la libération de l’Afrique de la domination étrangère, des religions révélées et des bourgeoisies néocoloniales, il a usé de sa plume et de l’image pour mettre en évidence les inégalités sociales et la conscience collective qui allait amener nos peuples à prendre en charge leur destin. En 1970, avec les pionniers, il a créé en Tunisie la FEPACI. Tous ont accepté de donner à leur cadet, Ababacar Samb Makharam, le secrétariat général. Il y avait un énorme travail à faire pour la faire connaître dans le continent, la légaliser et fédérer les initiatives. Sembène a inscrit toute son action militante dans la FEPACI. Avec Tahar Cheriaa, ils voulaient un festival dans chaque région : Carthage, Ouagadougou, Mogadiscio… En 1985, au congrès historique, Sembène avait envisagé le secrétariat général mais tout le monde s’est rangé derrière Gaston Kaboré. Il aimait tout le monde, mais terrorisait pour tester les jeunes : – « Tu veux quoi ? » – « Juste dire bonjour… » – « Bon, tu as dit bonjour, tu veux quoi ? » Et celui qui insistait était bon pour payer la bouteille !
Abdoul Aziz Cissé : Il nous est très cher, il nous a montré à voir. On se posait beaucoup de questions entre documentaire et fiction. Quand on voit les tendances actuelles du documentaire, son travail était d’une grande modernité. J’ai redécouvert ses films quand j’ai commencé à en faire. C’est Ceddo qui m’a le plus déstabilisé : je me suis rendu compte qu’il était à un niveau autre par rapport à la thématique. Tout le savoir qu’il a insufflé dans le film, alors qu’on n’en parle pas dans nos sociétés. Quel cinéaste est assez courageux aujourd’hui pour faire de même. Moustapha Seck a fait En attendant le troisième prophète, constatant qu’au Sénégal, nous avons deux valises : Sembène et Mambety. L’enjeu est de dépasser cette opposition. Il nous paraît naturel aujourd’hui d’utiliser les langues locales, mais pour Sembène c’était un combat. Samba Félix Ndiaye disait qu’un film local interpellait l’universel.
William Ousmane Mbaye, qui fut assistant sur Ceddo : Aujourd’hui au Sénégal, un film comme Ceddo n’est plus possible, malheureusement. Peut-être dans 10 ou 15 ans, on reviendra à ce type de courage mais aujourd’hui, il y a une sorte de terrorisme religieux qui nous limite. Sembène a connu mes parents. J’ai connu le militant avant le cinéaste. Dans les années 70, on était dans des groupes dits maoïstes. Sembène avait créé une revue en wolof, Kaddu, notamment avec Pathé Diagne. On fréquentait beaucoup leur éditeur pour parler politique. On était admiratifs des premiers films de Sembène. L’enfant de Ngatch, mon premier film, était influencé par Sembène. Je lui ai donné à lire. Il m’avait dit de venir le voir « avec du vin et du tabac ». Il m’a fait ajouter une scène dans le scénario pour que l’utilisation du lance-pierre soit plus efficace. Mais dès Pain sec avec le collectif de l’Oeil vert en 1981, on conteste son esthétique : on dit que c’est un cinéma de papa, figé, statique. Nous les jeunes, on voulait que les images parlent plus que le dialogue. Aujourd’hui, je crois que le matériel qu’on utilise sur les tournages influe sur l’esthétique du film. Les caméras étaient très lourdes : en tant qu’assistant, on recensait les plans dans l’axe car si on bougeait la caméra, il y avait des sanctions : il fallait payer la tournée le soir et le salaire y passait ! Les films de Sembène sont devenus des références, cela restera longtemps. Le cinéma de papa va revenir !
Projection d’une interview de Gaston Kaboré : « J’ai connu Sembène à Ouagadougou, lors des éditions 1971 et 1972 du Fespaco, quand les cinéastes africains venaient à l’université pour rencontrer les étudiants. J’étais un passionné du cinéma. On avait étudié certains de ses romans au collège. Pour paraphraser Aimé Césaire qui a parlé de l’ami fondamental, je dirais que Sembène Ousmane est à la fois l’inspirateur, le fécondeur et l’inséminateur de beaucoup de cinéastes. Il était sobre en paroles mais sévère dans ses opinions et jugements. C’est ainsi qu’il a pu tant apporter. Il a été et demeure une figure tutélaire du cinéma de toute l’Afrique. Les jeunes doivent le redécouvrir car ses films ne circulent pas assez. Il faut continuer de célébrer sans jamais perdre de vue la vigueur qu’il a toujours eue. Il n’était pas dans la bienveillance excessive : il disait « faites ce que vous avez à faire », comptant sur la responsabilité de chacun. L’Afrique doit se raconter avec ses propres mots, son propre regard. »
Catherine Ruelle : Mettre cette mémoire à disposition, c’est ce que tu fais Ghaël avec ta collection des grands cinéastes africains où tu viens de sortir « Sembène, le fondateur ».
Ghaël Samb Sall (directrice des éditions Vives voix et présidente du fond d’archives africain pour la sauvegarde des mémoires) : On a fait un très gros travail de collecte d’archives mais aussi de témoignages. Je ne remercierai jamais assez les gens qui se sont ouverts à moi. Cela aurait pu faire 400 pages au lieu de 200. On a encore beaucoup de matière. Il a fallu faire des choix. On a en projet des documentaires, des expositions, toujours dans le souci de transmettre. Au bout de deux ans de cheminement dans l’œuvre de Sembène, j’en suis sortie enrichie. J’ai dit que Sembène était un véritable porc-épic mais après ces deux ans, j’ai un sentiment nouveau. J’ai pu trouver des failles, ces fissures qui le rendaient parfois brutal voire méchant. C’est cette carapace que j’ai pu traverser, ces fragilités. Même si c’est un immense personnage, c’est un être humain. Les valeurs qui sous-tendent son œuvre n’étaient pas forcément respectées dans sa vie de tous les jours. Ses enfants se sont ouverts à moi, Alain Sembène, Clarence Delgado, William Mbaye…
Cheikh Oumar Sissoko : Gaston dit qu’il a inséminé. Je dirais qu’il a officialisé le cinéma africain. Il s’est engagé dans un combat, c’était un homme politique. Les autres cinéastes l’ont appelé « l’aîné des anciens », mais il s’est aussi imposé auprès de l’Union africaine. On écoutait beaucoup Sembène. Il luttait pour l’émancipation de la femme, et pour la résistance : il faut se battre pour gagner.
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