Le Festival “Les Practicables” se tient du 8 au 17 décembre dans le quartier traditionnel de Bamako-Coura. Depuis 2017, des artistes maliens et venus du monde entier participent à cet événement pour faire connaître leur art. Au programme de cette cinquième édition : pièce de théâtre, opéra, défilé de mode et autres performances artistiques.
Pendant une dizaine de jours, du 8 au 17 décembre, le centre-ville de Bamako est en fête. Le festival “Les Practicables” va s’y installer. À la tête de ce projet : Lamine Diarra. Comédien et metteur en scène, il a été formé à l’institut national des arts de Bamako. Passé par le conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, il entend désormais “immerger le pays de culture”. Nous l’avons rencontré à Bamako.
Africultures : Pouvez-vous expliquer comment est né le festival Les Praticables ?
Lamine Diarra : Ce projet part du constat simple que la place du théâtre au Mali, dans sa fonction sociale et politique, ne cesse de décroître depuis des décennies. Les politiques ont sciemment confisqué la place de l’artiste et du spectacle vivant dans la société. Ils ont cherché à faire disparaître l’espace sociable d’un pays où l’art et la culture avaient un rôle capital.
Par conséquent, la qualité des propositions s’était amoindrie. J’ai eu la volonté de mettre en place un projet qui puisse unir l’utopie à la réalité. Un projet qui mobilise la jeunesse dans l’invention et la construction d’un changement permettant à l’art de penser la ville et la société au cœur d’un quartier.
Quels sont, selon vous, les objectifs de ce festival ?
Le festival a pour but d’immerger le pays de culture. C’est aussi Bamako qui invite les autres régions du centre éprouvées par les difficultés d’aujourd’hui à venir parler de leur problème.
L’intérêt du festival et de nos créations, c’est que les Maliens et les gens du monde entier puissent se reconnaître dans ce qu’on crée et cela est très important. Le projet grandi avec cette 5ème édition et nous avons l’intention de la fêter comme il se doit avec tous les artistes, avec tout le quartier : jeunes, vieux, tout sexe confondu, toute religion confondue. C’est une fête populaire ouverte sur le monde en plein centre de Bamako.
Cette année, on a décidé de laisser les artistes être au plus près des gens pour que les créations parlent des problématiques réelles rencontrées dans un quartier spécifique pour ensuite les ouvrir au monde car cet espace, ce quartier fait partie du monde.
Comment a été accueilli le festival par la population locale au moment de sa création ?
La première édition, en 2017, une centaine d’artistes, d’intervenants ont investi les lieux publics. C’était un renouveau, tout le quartier était enthousiaste à l’idée d’accueillir un projet et des artistes. À l’époque, le maire qui habitait également le quartier avait confectionné des attestations de reconnaissances pour les artistes et les intervenants et il avait fait la promesse de dédiée le nom d’une rue au projet des Praticables.
Les Praticables, ce n’est pas seulement un festival, c’est un projet global avec tout un process où les artistes prennent le temps de faire une immersion dans le quartier de Bamako-Coura à la rencontre des gens et de l’histoire du quartier avant d’émettre des idées de projet. Puis on construit une équipe autour et on met la création en route. On prend le temps de créer pour éviter que les gens viennent au Mali avec des idées préconçues.
Durant ce festival, des artistes vont venir du Congo, Côte d’Ivoire, Guinée Conakry, Sénégal et Burundi. Qu’est-ce que ça apporte au festival de travailler avec d’autres artistes du continent ?
Chaque année, un artiste international sera invité avec l’objectif de mettre sa production en œuvre dans le but de faire une tournée. Cette année, on a mis en place un programme qui s’appelle “la classe internationale” qui est animé par Dieudonné Niangouna. C’est un artiste du Congo Brazzaville qui va recréer sa pièce Sheda (créé à Avignon lorsqu’il était artiste-associé) dans un contexte malien avec des jeunes artistes venant du Sénégal, du Togo, du Burundi, de la Côte d’ivoire et également du Mali. L’idée est de créer des partenariats avec d’autres structures de la sous-région et au-delà pour mettre en avant de jeunes artistes émergents qui vont prendre part à la création et la manière de la diffuser. Cette nouvelle version de la pièce Sheda sera proposé aux Praticables puis elle fera l’objet d’une tournée au Mali et au-delà.
Quelles sont les difficultés organisationnelles liées au contexte de la guerre ?
Malgré le contexte actuel, les artistes n’ont pas de difficultés à faire des allers et venues entre Mopti et Bamako par exemple pour porter les projets. Cependant, en tant qu’artiste, on crée dans des conditions difficiles, mais on résiste, on se bat pour notre pays. On ne veut pas laisser la place à la peur. On ne peut pas réduire le pays aux difficultés de terrorismes et de guerre.
Porter le festival Les Praticables dans la difficulté amène à voir au-delà des problèmes de terrorismes et de politiques, cela montre que le Mali est également riche de sa culture dans toutes ses dimensions. Les artistes, jeunes artistes et les acteurs culturels du Mali se battent pour combattre l’image négative qu’on peut voir du pays. Leur résilience montre que la culture vaut plus que de l’or et du pétrole. Notre pays est riche de culture humaine et sociale. On va donc se battre jusqu’au bout pour maintenir ce pays debout. L’un est indivisible comme dirait l’autre et la culture a un grand rôle à jouer dans ce combat.
Vous avez créé un opéra inspiré de la phrase suivante : « Une tradition est faite pour s’appuyer dessus ou rompre avec elle » En quoi, selon vous, les traditions et coutumes maliennes font face à un bouleversement mondial ?
Cette phrase vient de la pensée de Mohammed Iqbal et je me suis également inspirée du célèbre penseur sénégalais Souleymane Bachir Diagne. Au Mali, je constate qu’on ne remet pas en cause les traditions. On est dans une société qui ne laisse pas de liberté à l’individu. Tout le monde doit aller dans le même sens. Le poids de la société est si colossal que lorsqu’on sort du cadre, on est vu autrement et on est mis de côté. Il y a des habitudes ancestrales qu’on essaye encore de calquer dans la société d’aujourd’hui sans les revisiter et pour moi cela ne fonctionne pas.
Par exemple, l’opéra que j’ai mis en scène s’inspire de l’histoire d’un aîné de famille qui part s’expatrier à l’étranger pour des études ou autres raisons et qui est obligé, à un moment donné, de revenir au Mali car selon la tradition l’aîné masculin doit hériter de la famille. En revenant, il met donc fin à des rêves futurs pour revenir prendre la suite de la famille. Cependant, il décide de se dérober, de laisser le poids de la famille et de la responsabilité sociale en donnant l’héritage à sa seule fille. La société malienne est patriarcale où les femmes n’héritent pas ce qui provoque donc un conflit familial.
Cet opéra est une métaphore pour nous interroger sur la manière dont on veut penser la société d’aujourd’hui et de se demander comment par-delà les barrières, nous arriverons à accepter tous les points de vue et à faire communauté. Pour cela, des jeunes ont été formés par des journalistes à recueillir des informations dans le quartier de Bamako-Coura et à s’entretenir avec les gens sans les heurter. Les informations ont été soumises à un collage d’auteurs qui écrivent le livret de cet opéra. Toumani Diabaté a également accepté d’écrire la musique de cet opéra. Nous avons prévu, dans cette édition, la lecture d’une partie du livret des auteurs pour une création 2024.
Propos recueillis par Arcadius SITA
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