Depuis deux ans, le collectif Kourtrajmé propose une formation gratuite destinée à des passionnés de cinéma venus de toute l’Afrique. Tous n’ont qu’une idée en tête : devenir scénariste ou réalisateur dans une industrie en plein développement. Reportage à Dakar, au sein d’une école de cinéma qui bouscule les codes et transforme des rêves en réalités.
« Est-ce que ce plan te convient ? » La mine concentrée, Kina scrute l’écran d’une caméra. Dans le décor d’un appartement de Ouakam, quartier animé de Dakar, la jeune femme dirige, pour la première fois, la réalisation d’un court-métrage. Originaire de l’île Maurice, elle a tout quitté pour intégrer Kourtrajmé, une école qui fournit une formation dans le domaine de l’audiovisuel à des jeunes talents africains. « J’ai toujours vécu à Maurice, mais cette année, j’ai décidé de suivre mon rêve et de venir à Dakar », partage-t-elle avec enthousiasme.
Ce jour-là, un petit groupe d’étudiants, encadrés par les professeurs, s’active dans l’appartement prêté par une habitante du quartier. Avec Kina à la réalisation, ils doivent tourner l’un des trois courts métrages sélectionnés par l’école. « Les étudiants scénaristes sont formés de janvier à juin sur la théorie et les fondamentaux cinématographiques. Durant ces six mois, ils développent chacun un projet de court métrage. Trois sont ensuite choisis pour être réalisés par les élèves réalisateurs », détaille Fatou Touré, la référente chargée de la formation en réalisation.
Un temps qui permet aux étudiants de maîtriser parfaitement les techniques d’écriture de scénario et de réalisation. « Même si tu as l’histoire, même si tu as tout son contenu en tête, il faut avoir les clés pour pouvoir écrire dans les normes de l’écriture scénaristique », explique Armand, élève scénariste de la promotion précédente.
Dynamiter le paysage cinématographique
Fondé en 1994 par les réalisateurs Kim Chapiron, Toumani Sangaré et Romain Gavras, le collectif Kourtrajmé réunit une centaine d’artistes issus de différents domaines artistiques. Son objectif : bousculer les codes et diversifier le paysage culturel et cinématographique français.
Après l’ouverture d’une école de cinéma à Paris et à Marseille, le collectif a créé Kourtrajmé Dakar il y a deux ans. Un choix qui n’est pas dû au hasard : le pays, en plus d’une situation politique stable, se distingue par une industrie cinématographique en plein développement. « Dakar répondait à ces critères-là, on avait essayé d’ouvrir le projet au départ au Mali, mais la situation du pays était un peu plus compliquée », explique Emma Sangaré, productrice et co-directrice de l’école. « L’industrie cinématographique au Mali n’est pas aussi développée qu’au Sénégal », confirme Bakary, un élève venu tout droit de Bamako.
Une formation pluridisciplinaire
Cette année, 14 élèves scénaristes et 15 élèves réalisateurs ont rejoint l’école. La sélection s’est faite sur l’évaluation de leur projet professionnel, sans limite d’âge, ni conditions de diplôme, mais en prenant en compte des critères sociaux. « On regarde si au niveau social ils ont des besoins particuliers. On se dit ok, eux, c’est leur chance en fait », précise Emma Sangaré.
Tous sont formés avec la promesse que leur insertion professionnelle soit facilitée. « Il y a vraiment une spécialisation métier avec l’objectif qu’un jeune puisse à la fin de la formation intégrer un réseau et avoir un métier rémunéré », souligne la co-directrice.
Ainsi, l’acquisition de compétences techniques, telles que le montage, la prise de vue ou la gestion de la production, occupe une place de choix dans la formation. « Nous formons nos étudiants à être polyvalents, pas seulement des réalisateurs mais aussi des techniciens, précise Fatou Touré. Ces jeunes qui vont sortir de l’école, ne vont pas tout de suite trouver des fonds de financement pour faire leurs films donc ils seront obligés de passer par les plateaux. »
En plus de la technique, l’école met l’accent sur le développement personnel des élèves et le réseautage en organisant des masterclass. « On a eu la chance de faire des festivals, de rencontrer les ténors du milieu, de parler avec des producteurs. C’est vraiment le coup de pouce qui nous manquait », s’exclame Landing, élève scénariste. Une pédagogie qui porte ses fruits : en deux ans, Kourtrajmé Dakar a formé 60 élèves (28 filles et 32 garçons), avec un taux d’abandon de 0%. Un score remarquable quand on sait à quel point les carrières artistiques sont rarement soutenues au sein des familles sénégalaises. « Au début c’était assez difficile, je suis la seule à faire du cinéma dans ma famille », reconnaît Maria, élève réalisatrice de 22 ans. « Mais par la suite, en me voyant tous les jours aller à l’école, bosser à la maison, ils ont compris que c’était du sérieux », ajoute-t-elle.
Défendre la gratuité
À l’issue de leur formation, la majorité des élèves poursuivent dans les métiers de l’audiovisuel. Le taux d’insertion professionnelle de l’école s’élève à près de 88%. « Après ma sortie d’école, je suis entré en résidence d’écriture pour un court métrage que j’ai proposé au Festival de cinéma de Dakar », se souvient Armand, optimiste sur son avenir. Côté réalisation, nombre d’étudiants trouvent des opportunités dans des équipes de réalisation de séries en tant que premiers assistants ou assistants à la mise en scène. « On change des vies », s’enthousiasme Emma Sangaré, on voit des parents qui ont les larmes aux yeux quand ils viennent nous voir parce qu’ils sont rassurés de voir que leurs enfants ont un métier et un avenir. »
Des réussites éclatantes qui n’occultent pas un enjeu de taille, celui du financement de la formation. Celle-ci est entièrement gratuite pour les étudiants, grâce aux fonds provenant de bailleurs étrangers. « C’est un challenge d’offrir une formation gratuite alors que le matériel coûte assez cher, nous devons sans cesse trouver de nouveaux partenaires », pointe Emma Sangaré. La co-directrice appelle à un véritable engagement des institutions locales pour soutenir durablement l’école. « Notre souhait c’est qu’il y ait un véritable engagement au niveau de la sous-région ou des grandes institutions africaines. Avec l’école, on répond à la question du chômage chez les jeunes. Ce n’est pas anodin dans un pays où ils représentent 70 % de la population », conclut Mme Sangaré.
Edwige Wamanisa à Dakar
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