Ils avaient immigré d’Italie toute proche (à pied par le col de la Lombarde, pour ceux qui connaissent la région) quelques années auparavant, pour travailler sur la Côte d’Azur, tout d’abord pour cueillir les olives puis pour s'embaucher dans les hôtels fort demandeurs de main d’œuvre, ou dans le secteur du bâtiment en plein développement (comme quoi, rien ne change ...).
Augustin Pellegrino et Josépha Borsotto son épouse furent naturalisés français par décret signé par Gaston Doumergue, alors Garde des Sceaux, le 16 juin 1927.*
Mon grand-père en était fier et disait toujours qu’il avait payé cher cette procédure … en frais d’avocat. Ma maman était leur neuvième enfant, dont seules quatre filles survécurent.
Ils ont travaillé dur pendant toute leur vie. Mais ma grand-mère n’a jamais appris le français, elle ne parlait que le patois piémontais. Elle gagnait sa vie en faisant des lessives et je ne l’ai vue qu’une seule fois, peu avant sa mort en 1953.
C’était une époque où la France intégrait nombre d’immigrés pour combler les vides dus à la saignée de la Grande Guerre. Âgé de 60 ans en 1940, Augustin n’aurait pas été mobilisable et le couple n’eut pas de fils …
Lucie, ma maman, n’a jamais appris l’italien. Elle a travaillé dès son adolescence et payé ses études de sténodactylographe et teneur de livres à l’Ecole Pigier en livrant à vélo les restaurants de la riviéra.
Jusqu’à son mariage le 9 janvier 1932 avec Jean, mon père. Un héros de guerre décoré dès 1950 de la Croix de Guerre, de la Légion d’honneur et de la médaille des évadés.
Cependant, ma mère se souvenait des injures qu'elle avait subies au sujet de sa condition de fille d'immigrés. Le jour de leur mariage, la mère de mon père avait refusé d'assister à la cérémonie, ne supportant pas qu'il épouse une "babi" (i.e. crapaud).
Tous les jours, je pense à eux et en particulier en leur jour d’anniversaire.
Je n’ai pas connu de personnes plus attachées à la France que mes parents.
* la famille a eu beaucoup de chance de ne pas tomber, à quelques jours près, sous le coup de la loi promue par le régime de Vichy le 22 juillet 1940 qui permettait de déchoir de la nationalité toute personne naturalisée depuis la loi du 10 août 1927.