« Ce que je sais de toi » raconte la vie toute tracée de Tarek, fils de médecin issu d’un milieu aisé, condamné à choisir le même métier que son père et héritant d’ailleurs de son prestigieux cabinet médical lorsqu’il décède prématurément. Entouré de sa mère, de sa sœur et d’une servante qui fait quasiment partie de la famille, il ponctue sa merveilleuse destinée en épousant Mira, son amour de jeunesse. Le jour où Ali, un jeune issu du quartier défavorisé du Moqattam, vient le trouver pour venir en aide à sa mère qui souffre d’une étrange maladie, la vie et les certitudes de Tarek se retrouvent totalement chamboulées…
En essayant de retracer l’histoire de ce jeune médecin chrétien qui exerce dans le Caire au début des années 1980, Éric Chacour nous balade finalement sur une quarantaine d’années, allant de 1961 à 2001 et voyageant de l’Egypte à Boston, en passant par Montréal. Au fil des pages, le récit de cette famille levantine chrétienne installée au Caire gagne en profondeur, en épaisseur et en clarté, levant progressivement le voile sur toutes les interrogations du lecteur et faisant souffler un vent de liberté qui va malheureusement se heurter au conformisme de l’époque…
Ce roman divisé en trois parties, respectivement intitulées « Toi », « Moi » et « Nous », ma fortement perturbé lors de la première partie, me faisant même hésiter à poursuivre l’aventure. Le tutoiement quasi permanent de ce narrateur mystérieux et omniscient me donnait l’impression de suivre une conversation lointaine dans laquelle je n’étais pas vraiment convié, créant trop de distance entre le récit et moi-même. Une fois arrivé à la fameuse scène du baiser, dont je ne dévoilerai rien de plus, j’ai cependant était totalement cueilli par ce récit qui devient subitement plus intime, pour finalement dévoiler l’identité du narrateur et passer d’une narration à la deuxième personne du singulier au « je », tellement plus proche et beaucoup plus émouvant.
Au final, « Ce que je sais de toi » s’avère donc être une histoire d’amour, de filiation, d’exil, de famille, de déracinement, d’abandon et de passion interdite au cœur d’une société levantine chrétienne corsetée, servi par la plume sensible, délicate et pleine de pudeur et de non-dits, d’un auteur dont on a du mal à croire qu’il livre ici son premier roman, tellement celui-ci s’avère maîtrisé.
Malgré une entame quelque peu perturbante et déstabilisante, je me joins donc finalement aux louanges… coup de cœur !
Ce que je sais de toi, Eric Chacour, Philippe Rey, 302 p., 22€
Elles/ils en parlent également : Matatoune, Kitty, Baz’Art, Vincent, Lola, Cannetille, Mimi, Nath, Patricia, Madame lit, La Trace, La plume de l’hirondelle