La construction du roman est donc complexe, surtout parce qu’elle se veut à la fois explicative d’un processus tabou et militante. La pratique de l’excision, croyance et tradition d’origine séculaire, commune au Nigéria et à la Somalie, est une abomination qui vise à asservir totalement les filles au bon vouloir de leur mari.
Malgré l’interdiction totale dans les pays d’immigration, elle continue à être pratiquée dans la clandestinité – avec les risques parfois mortels qu’elle comporte - mais avec le concours des parents, et même des mères qui ont, elles aussi, subi ces mutilations.
Deux familles sont en cause : les parents adoptifs aisés de deux sœurs d’origine africaine devenues adultes, et la famille d’un commerçant apparemment bien intégré mais conservant les traditions d’un autre temps et d’un autre continent. On y parle avec objectivité du racisme au quotidien – aussi bien le mépris des Blancs vis-à vis des Noirs mais aussi des Noirs vis-à-vis des Blancs, des fossés culturels entre communautés comme du fossé subsistant entre les très anciens caribéens totalement devenus « Anglais » au fil des siècles devant les plus récents arrivés …
On y retrouve les états d’âme de l’inspecteur Linley, qui fait l’intérim de la commissaire en cure de désintoxication, sa coéquipière Barbara, toujours aussi « barge ». Mais le personnage principal de cette double intrigue est Winston Nkata, l’adjoint costaud et balafré, ancien membre de gang dans sa jeunesse avant d’intégrer la police, et sa famille généreuse, et la talentueuse photographe rousse Déborah Saint James, une ex de Linley qui, lui, ne parvient toujours pas à oublier son épouse Helen, assassinée devant le pas de sa porte par un gang de jeunes. Le temps et le chagrin ne passent pas …
Avec aussi, en arrière-plan, une histoire d’amour pleine de tourments et de tristesse entre un policier et son épouse, parents d’une seule enfant polyhandicapée.
Tout pour un mélo bien compliqué … et comme toujours, la culpabilité finale révèle celle d’un personnage absolument insoupçonnable … C’est la loi du genre.
L’art d’Elizabeth George est de nous tenir en haleine en détaillant la procédure, les pistes explorées et sitôt abandonnées, la multiplicité des suspects, en des chapitres courts, qui font que le livre se dévore aussitôt commencé … Une connaissance fine aussi des adolescents de notre génération, très transposable dans notre pays, entre tradition et soif de modernité, chez une dame de 74 ans … remarquable.
Une chose à cacher – Something to Hide - polar d’Elizabeth George traduit de l’anglais par Nathalie Serval, en édition poche aux Presses de la Cité, 863 p. 10,80€