J’avais lu il y a quelques mois « L’Ordre du jour » d’Eric Vuillard, lauréat du Prix Goncourt en 2017, et j’ai eu envie de retenter cet écrivain, avec un autre récit historique, « Congo« , qui retrace la colonisation belge, violente et cruelle, dans ce pays d’Afrique.
Note Pratique sur le livre
Editeur : Actes Sud (Babel)
Date de publication : 2014
Nombre de pages : 96
Quatrième de Couverture
« Le Congo, ça n’existe pas. » Il faut donc l’inventer. En 1884, à la conférence de Berlin, les grandes puissances se partagent l’Afrique et créent l’Etat indépendant du Congo, une simple entreprise commerciale. Viennent alors le défrichage, l’installation des comptoirs, les massacres…
En évoquant le roi Léopold II, Charles Lemaire l’éclaireur, Léon Fiévez le tortionnaire, les frères Goffinet les négociateurs, Eric Vuillard donne au mal un visage. A la fois récit historique et réflexion politique sur le libre-échange, Congo ressuscite, d’une plume lucide et irrévérente, la période coloniale, l’aube de notre modernité.
Mon Avis
Ce livre ressemble énormément à « L’ordre du jour » que j’avais chroniqué il y a quelques semaines : des récits historiques très courts qui commencent par une conférence politique au sommet, réunissant quelques hommes riches et puissants, qui s’entendent pour prendre une décision répugnante, réprouvée par la Postérité et par le sens de l’Histoire, parmi les dorures et les ambiances feutrées d’un palais présidentiel ou royal. Ensuite, Eric Vuillard nous montre, sur le terrain, l’application de cette décision par des hommes ignobles, lâches, sans scrupules, irresponsables, volontiers assassins, pilleurs, massacreurs d’animaux, de forêts, d’écosystèmes, etc.
Il me semble qu’aujourd’hui 99% des gens sont d’accord pour dire que la colonisation était une horreur et cela ne fait plus de débat depuis longtemps. Donc je me demande un peu pourquoi Eric Vuillard cherche maintenant à nous expliquer ce que tout le monde pense déjà ? Veut-il nous démontrer que nous avons raison de penser ce que nous pensons, de penser ce que tout le monde pense déjà et que personne ne songe à contester ? Ne serait-ce pas un petit peu de l’enfonçage de portes ouvertes de nous prouver par A plus B que les nazis et leurs alliés étaient très méchants (dans « L’Ordre du jour« ) ou que la colonisation était une très horrible et très ignoble chose (dans « Congo« )… Ceci dit, un tel rappel des faits peut certainement être utile pour des collégiens ou des lycéens, dans le cadre d’une lecture scolaire, en cours d’histoire ou de français, et peut leur apporter quelque chose.
La manière dont Eric Vuillard ressuscite ces divers personnages historiques est souvent grotesque, par les traits de leurs physionomies qu’il aime caricaturer et ridiculiser, mais je ne sais pas si c’est l’angle d’attaque le plus judicieux contre les colonisateurs, de critiquer leurs physiques plutôt que leurs mentalités. Pour ma part, j’aurais aimé que la pensée colonialiste soit davantage décortiquée et démontée dans ses rouages.
En résumé : C’est un livre très bien écrit, au style agréable, mais qui enfonce trop de portes ouvertes et qui ne va pas suffisamment au fond des choses.
Même si les deux livres ont des points communs, j’ai très nettement préféré « L’Ordre du jour« .
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Un Extrait page 75
Léopold fut donc pharaon. Il fut propriétaire de terres et d’hommes. Un bourgeois pharaon, si l’on veut. Quelque chose qui ne s’était jamais produit et qui plus jamais ne se produira. Un pharaon ne possède pas. Un bourgeois ne règne pas. Léopold est donc à la fois bourgeois et pharaon, pharaon du caoutchouc.
Mais on ne fait rien seul, et Léopold a bien du monde autour de lui, et si l’on jette un œil parmi tout ce monde, au milieu d’une foule de clampins, on croit tout à coup voir double. On voit deux fois la même tête rondouillarde, deux fois le même sourire satisfait, deux fois les mêmes moustaches qui remontent ! C’est qu’en réalité il y a bien deux types, deux types absolument identiques, absolument solidaires et identiques ; des frères jumeaux, célibataires endurcis, hommes de toutes les œuvres intimes, des gros sous au pot de chambre : les Goffinet.
Et qu’est-ce que c’est que ça : Goffinet ?
Deux barbes, deux fronts, deux paires de lunettes, quatre oreilles, une soixantaine de dents, des dizaines de médailles, quatre bras, quatre jambes : un animal. (…)