Je connais bien Madame Marguerite Cette pièce a été écrite par Roberto Athayde. Je l’ai vue interprétée avec une émotion sans pareille par Annie Girardot. Je l’ai redécouverte dans la version plus politique de Stéphanie Bataille. En la reprenant, Emilie Chevrillon la transforme en une sorte de stand up surréaliste à la limite de ce qu’on appelle une performance, mais je suis sûre qu’on peut revenir le lendemain, l’interprétation sera identique.Toujours est-il que les actions s’enchaînent comme si elles n’avaient pas été prévues et que la comédienne, habitée par un feu intérieur, s’embrase et disjoncte littéralement. C’est du grand art. Il faut beaucoup de technique pour jouer autant border-line avec un tel naturel et une impertinence ultra controlée dans un décor évoquant une salle de classe d’avant-guerre.Bien entendu, étant régulièrement repris dans le monde entier il n’a d’intérêt sur scène que si la proposition est différente des précédentes. Sinon, autant le lire, ce que je recommande aussi car le propos est diablement d’actualité. Les dictatures n’ont hélas pas disparu et il faut sans relâche dénoncer à quelle folie peut conduire la soif de pouvoir.Ce monologue tragicomique pour une femme impétueuse, interprété par les plus grandes comédiennes avec un succès constant, avait été écrit au Brésil pour dénoncer la tyrannie. Universel et plus que jamais d'actualité, il nous confronte à la folie.Le spectacle fourmille d’astuces pour traduire ce dérèglement. L’enseignante, la fleur au tableau, la tête sur le plateau, est comme écrasée par la responsabilité, apparaît parfois de taille lilliputienne, minuscule sur sa chaise haute, ou au contraire géante pour effrayer, menacer, bref s'imposer, bidouillant un artifice derrière son bureau.La mégalomanie de l’enseignante de CM1 n’est exacerbée que pour mieux en dénoncer les excès. Les enfants ayant la manie de tout prendre à rebours devraient -contrairement à l’ordre qui leur est donné- n’avoir qu’une envie, celle de désobéir pour vivre en adulte libre.Le texte a été traduit en français par l’auteur lui-même, sans édulcorer sa force et sa liberté d’expression. Les injures, gros mots et propos excessifs se multiplient avec insolence et sans tabou.Sous couvert de comédie, la comédienne devient tragédienne en laissant libre cours à une infinie palette de talents : actrice, mais aussi danseuse, chanteuse, mime … et même contorsioniste. Elle sait tout faire, y compris nous entraîner dans une séance de yoga ou de lévitation. Sa souplesse est vertigineuse. Ses mimiques sont désopilantes. Ses roulements d’yeux valent ceux d’un tambour.On se souviendra d'elle fredonnant Manhã de Carnaval, la si jolie chanson du compositeur brésilien Luiz Bonfá et du parolier Antonin Maria, apparue en 1959.On se souviendra d’elle dansant sur la musique d'un film de Chaplin un tango endiablé avec un squelette sur la musique typiquement argentine de La Cumparsita de Carlos Gardel. Ou encore de son interprétation du Lac des cygnes.On se souviendra car on ne risque pas de l'oublier, cette leçon sur l'horreur qui se cache derrière les rires et les bravos. Tant il est vrai que dans certains pays la vie est un coup de massue.Madame Marguerite de Roberto AthaydeMis en scène par Michel Giès
Avec Emilie Chevrillon
Au théâtre Essaion - 6, rue Pierre-au-Lard - 75004 Paris
Les mardi et mercredi à 21 heures jusqu’au 17 janvier 2024