Rencontre avec le romancier Jérôme Colin; auteur du livre "Les Dragons"

Par Filou49 @blog_bazart
mardi 05 décembre

  

Au départ de ce troisième roman d'un animateur très célèbre en Belgique notamment avec les émissions Hep Taxi en télé et d’ Entrez sans frapper ,  c'est la volonté de parler des adolescents et de leur santé mentale. 

 « Les dragons », les héros de ce roman qui nous a transpercé le cœur, ce sont ces ados détruits par la famille, l'école, l'époque et envoyés en centres de soins.

 Jérôme Colin les décrit sans artifice et avec beaucoup d'amour et même un peu d'humour.

L'auteur était de passage  à Lyon le week end dernier l'occasion d'échanger avec un type aussi attachant que brillant pendant un long entretien : 

Pourquoi avoir appelés vos jeunes gens à la dérive les  « dragons » ?

Un enfant sur trois déclare avoir des troubles d'anxiété. Un enfant sur dix déclare déjà avoir eu envie de mourir. Depuis la fin du covid, il y a 50 % de plus de tentatives de suicide chez les jeunes filles. L'hôpital psychiatrique pour enfants et adolescents me fascinait. Un tiers de 12-18 ans déclarent avoir des troubles anxieux. Un sur dix a déjà pensé à se suicider. Ca veut dire que sur une classe de 30 ados, trois ont déjà eu envie de mourir. C’est effrayant !  J'ai eu besoin d' aller dans un centre pour préparer le livre. Et j'ai vu les automutilations, les traces qui marquent leurs bras et leurs jambes, les écailles que ça laisse quand ça cicatrise. Ils sont devenus les dragons.

Pourquoi ce besoin d aller dans un centre pour préparer votre livre?

Je savais dans les grandes lignes ce que je voulais raconter. Mais je devais rencontrer des encadrants, des enfants… les entendre pour essayer de comprendre pourquoi ils vont si mal et raconter leur quotidien. Je me suis présenté, j’ai expliqué ce que j’écrivais un roman. J’ai dit que je serais là et qu’ils pouvaient venir me voir. Je suis resté trois jours seul à ma table. Ils me disaient bonjour mais aucun ne s’est assis.

Et puis dès qu’un a osé venir me parler, ils sont tous venus.  J’ai été soufflé de leur honnêteté, je me demandais mais comment c’est possible d’être si jeune et d’avoir traversé tant de choses…Quand tu vas dans un centre psychiatrique pour adolescents, tu vois la main de l'homme, du patriarcat, de la domination masculine. Tu vois notre responsabilité, quelle société on offre aux enfants. On s'étonne qu'ils ne veulent pas entrer dans l'âge adulte. Mais quand on voit l'avenir qu'on leur promet, je peux concevoir qu'ils ne veulent pas y aller. 

Votre roman est une fiction et en même temps, le héros a le même prénom que vous. Vous n’avez pas peur qu’on mélange fiction et biographie ?

 Ce n’est pas ma vie. Que les gens puissent le croire, je n’en ai rien à faire. Il n’y a aucune honte à parler de santé mentale, il n’y a rien de honteux à craquer, rien de honteux à dire qu’on a besoin des autres. Le narrateur a mon prénom, Colette a le prénom de ma femme. J’avais envie de donner son prénom à la personne dont il tombe amoureux parce que j’avais envie de raconter dans une scène le moment où je suis tombé amoureux d’elle il y a 27 ans. Et j'adresse le livre à ma fille Adèle.Mais la vraie part de moi, c'est la colère de ce gamin de 15 ans.

Pourquoi il y avait en vous cette colère  quand vous étiez ado?

Disons que quand j'étais gosse, je ne trouvais pas ma place dans un groupe, je me suis senti très seul, et j'ai trouvé des amis dans les livres quand je n'en avais pas dans la vraie vie. L'exclusion scolaire, j'ai connu ça. Donc la colère de ce gamin contre le monde, c'est clairement la mienne, celle de l'ado que j'étais et de l'homme que je suis aujourd'hui. Après, ce qu'il y a de réel dans le roman, ce sont les jeunes que j'ai vus. Colette est, dans les grandes lignes, cette jeune fille nell que j'ai rencontrée et a qui je dédie le livre 

Il y a des professionnels dans l'établissement psychiatrique que vous décrivez. Ils disent aux ados : « Ouvre-toi, libère-toi, regarde les autres ». On n'a pas l'habitude d'entendre ça.

Et c'est peut-être un des problèmes. Je reste persuadé que le « Tais-toi » est traumatisant. Parler à des enfants comme si c'étaient des abrutis, ce n'est pas bien. Ce que le Jérôme du roman ressent ce jour-là, dans le bureau du psy, c'est qu'on ne lui a pas parlé comme à un idiot.

Et il en sort grandi. C'est pour ça que j'écris qu'il faut noter, pour plus tard : Ne pas dire arrête mais explique ; ne pas dire tais-toi mais développe ; ne pas dire ne fais pas l'intéressant mais fais l'intéressant. J'aurais pu aussi mettre des professionnels moins dévoués, moins dans l'écoute et la bienveillance car évidemment tous les psys ne sont pas comme ceux du roman, mais j'avais envie de montrer ceux qui tendent la main

Un des leitmotivs de votre roman, c'est qu'on ne s'en sort pas sans les autres.c est pas ce qu on voit dans les livres de développement personnel qui fleurissent un peu partout...

C'est l'idée centrale. On ne se répare pas tout seul. On ne se répare que comme ça, dans l'échange.Avec les autres, avec les livres.Au départ, le gamin n'en a rien à foutre de lire. Il prend juste un livre pour s'asseoir en face de Colette. Sauf qu'une fois qu'on commence à lire Des souris et des hommes de John Steinbeck c'est foutu, on va être séduit, se faire des amis, des rêves. On n'est plus seul.  Et puis  il faut aussi lire Philip Roth. Parce qu'il dit : « Penche-toi sur ton passé. Répare ce que tu peux réparer. Et tâche de profiter de ce qui te reste. »

Et dans les livres qui nous font du bien, il n'y a pas à mon sens ceux qui sont dans les rayons de développement personnel, car par définition, ils ne pronent pas l'ouverture aux autres..

C'est une fameuse histoire d'amour aussi entre Jérôme et Colette.

Je rêvais un jour d'écrire un flash amoureux entre adolescents, parce que c'est le moment le plus fou de notre vie.Les deux heures qu'ils passent ensemble, c'est le paradis pour Jérôme.Et l'enfer. Je voulais ce moment d'espoir total. Mais la vérité, c'est que des fois, les plans les mieux conçus des souris et des hommes ne se réalisent pas.

Après avoir vécu cette histoire d'amour dramatique à quinze ans, peut-on encore aimer ?

J'espère. Il faut juste le temps de la réparation, du dialogue.

En fait, tu auras un sac à dos avec des cailloux dedans, tu ne seras pas vierge de toute souffrance, de tout passé. Mais c'est ce qui fait notre personnalité, notre sensibilité. On ne tombe pas amoureux d'une surface lisse. On tombe amoureux quand il y a des prises et quand il y a du mystère.

Vous avez passé du temps dans un centre pour ados, racontez-nous.

Ils ont lu le livre ?

J’ai envoyé le manuscrit au psychiatre du centre avant que ça parte à l’impression. C’est une fiction, je suis libre d’écrire ce que je veux, mais je ne voulais pas raconter de bêtises. Et surtout, c’était important de donner une image juste de ce qu’il s’y passe. C’est mon métier de journaliste qui ressort.

Jérôme Colin, « Les Dragons », Allary Editions. 180 p., 18,90€