Critique de Marie Stuart, de Schiller, vu le 9 novembre 2023 au Théâtre Montansier
Avec Margaux Le Mignan, Clémence Longy, Pierre Cuq, Axel Mandron, Daniel Léocadie, Nicolas Avinée, Dylan Ferreux, mis en scène par Maryse Estier
Le Théâtre Montansier a pour moi la plus belle programmation d’Île-de-France. Ne rentrant dans aucune case, il continue d’aller son petit bonhomme de chemin en ne s’intéressant qu’à un critère ; qu’il tourne dans le public ou le privé n’a aucune importance, ce qui compte, c’est la qualité du spectacle. On y croise même des pépites qui, mystère éternel du choix des (autres) programmateurs de théâtre, ne tourneront qu’ici. Et c’est grâce à eux qu’on a découvert Maryse Estier, qui signe sa deuxième mise en scène dans ce beau théâtre à l’italienne de la ville de Versailles. Et qu’on pourra retrouver aussi à la Comédie-Française, en deuxième partie de saison. Tout simplement.
C’est donc le deuxième spectacle de Maryse Estier que je vois et je sais déjà que ce ne sera pas le dernier. Après L’Aiglon, elle continue de surprendre avec un choix de texte très particulier et qui lui va si bien, de ces oeuvres connues de tous et pourtant si rarement montées. Elle est de la veine des grands metteurs en scène. On sent déjà beaucoup de choses : une certaine forme d’élégance qui s’acoquine avec quelque chose de plus lyrique, se mêlant à un incontestable amour des mots et à un véritable sens de la tension dramatique. Plus que prometteur.
Tout le monde connaît Marie Stuart, son destin tragique et la responsabilité d’Elisabeth 1ère dans sa mort ; on se demande pourquoi Netflix ne s’est pas encore emparé de son histoire. Et pourtant la pièce de Schiller est si rarement montée. Parce qu’elle est trop longue, parce que la langue est compliquée – originellement en allemand et en vers – parce qu’il faut trouver deux comédienne solides pour endosser Marie ET Elisabeth 1ère, bref, parce que la perspective de donner vie à ce texte sur un plateau n’a rien de simple. Et pourtant, Maryse Estier parvient à rendre cette tragédie historique passionnante et intelligible en jouant constamment sur l’ambivalence qui s’en dégage, accrochant d’abord le spectateur par la course à la vérité avant de livrer, subtilement, d’autres enjeux.
Il y a une sensation à la fois très forte et difficilement explicable qui ressort de ce travail. C’est un travail abouti – et je sais que ce que je vais donner l’impression de me contredire tout de suite après, donc je préfère être claire dès le début – mais c’est comme si on sentait tout le potentiel de cette mise en scène mais qu’elle ne pouvait pas se révéler tout à fait, limitée d’abord par des moyens financiers – c’est le jeu de l’émergence – ensuite par sa troupe. Il y a une espèce de décalage entre ce à quoi elle semble aspirer, ce qu’on sent qu’elle veut aller chercher, et ce qui se passe réellement sur scène.
C’est difficile à exprimer, et je n’ai aucunement l’intention de rabaisser les comédiens, dont la justesse n’est pas en cause, mais il y a comme un léger écart entre le travail très poussé dans l’intellectualisation, dans le travail « cérébral » qui semble avoir été fait sur le texte, et le jeu très terre-à-terre des comédiens. Ils semblent être légèrement en dessous de l’ambition, cette ambition qu’on touche du doigt au regard du travail de mise en scène et surtout de ce qui est donné à entendre au spectateur.
On sent l’intelligence, la profondeur, la rigueur. Ce qui caractérise le travail de Maryse Estier, au-delà de ces choix de textes – textes-mondes qui peuvent faire peur mais auxquels elle s’attelle avec une grande clairvoyance – c’est la manière dont elle parvient à les mettre en valeur. Elle sait mettre en évidence les lignes de force de ses pièces, elle bâtit bien son spectacle, elle sait où elle va. Et elle sait comment entraîner le spectateur. Elle donne à sa Marie Stuart des accents parfois shakespeariens, s’amusant avec l’intégralité de la palette proposée par la partition, de pure comédie à pure tragédie. Elle propose quelque chose d’à la fois très classique dans son rapport au texte et de beaucoup plus moderne dans sa manière de rythmer le tout. C’est étonnant, c’est accrocheur, on en sort avec en tête des noms de grands metteurs en scène qu’on adore et à qui on a envie de l’identifier et ça donne plein d’espoir pour la suite. Elle est de ceux qu’on n’a pas envie d’assimiler à ». On a envie de créer une case Maryse Estier.
Et pour le moment, ça donne un spectacle à la fois exigeant et accessible, et c’est tout ce que j’ai envie de voir au théâtre.