Instant mytho copyright G.
On peut toujours s'inventer une autre vie, y croire puis elle devient vraie... un pseudo pour commencer
Insoucieux d’avoir décroché trois T sur Télérama, Thomas Benjamin Dunid referme sa parenthèse parisienne. Le baluchon à roulettes qu’il promène vers Breteuil, comme d’autres sortent leur cabot entre les Invalides et Saint François Xavier, contient quelques chemises, jeans et sous vêtements des quatre jours passés à Paris. La flânerie, avec cette valise provinciale qui le trahit, stimule son imaginaire, il se voit dans une vie de résident de la prestigieuse avenue. Il revient vers Cambronne, traîne en terrasse pour un dernier café, puis finit à Montparnasse. Deux heures déjà que G. s’est engouffrée dans les entrailles du métro sans se retourner. Elle «n’aime pas les adieux». Il connaissait la couleur de ses sous-vêtements du jour, elle avait voulu connaître le goût de sa semence. Elles ont toutes cette curiosité. Et alors! Tom aurait supporté l’idée d’un petit signe complice et d’un regard humide, ça se fait pour des adieux, non?
Foin de ces baisers définitifs! Je me rendais à ses raisons de préserver ainsi son système immunitaire
Ils n’avaient rien évoqué de l’après lors de cette dernière nuit. Tom n’avait recueilli aucun indice dans l’attitude de G. hier soir non plus, trop occupé à jouir de la douceur de l’instant. Personne ne l’attendait à Chartres ou ailleurs même pas un train à Montparnasse puisque 4 jours plus tôt il n’avait pris qu’un aller simple. Sans l’amertume des déçus qui attendent du hasard une bonne surprise, son été l’avait comblé. G. était un bonus « féerique » pour un crapaud dépressif tombé du nid, il n’avait aucune perception du maintenant ni du tout à l’heure. La valoche de l’oubli et du linge sale au bout de son bras échappait à la pesanteur de la réalité — les roulettes, sans doute — . Chômeur fauché il était de ces traîne savates en fin de droit attendant la retraite. Ensemble de raisons amplement suffisantes pour partir sans se retourner ni donner de nouvelles. Avait-il seulement l'envie, le besoin, les moyens, d'une histoire avec cette femme capable de générosité à température ambiante puis d’une avarice émotionnelle cryogénique? Deux salles/deux ambiances. « Mon crush m’a nexté, j’ai le seum. » « Au suivant! » dirait Brel. On invente des locutions pas des concepts! Il semblait que la curiosité de G. était comblée. A Tom d’inventer une suite. Romanesque de préférence.
Quand le hasard corrige après soixante ans de distraction l’absence des fées autour du berceau et de la cuillère d’argent dans la bouche il faut assurer soi même le service après vente
G. ne s’était pas retournée mais elle avait écrit ce que Tom à cru lire
Tiens un mail de G.partie-sans-se-retourner. Questionnaire de satisfaction? Avis sur TripAdvisor? Mieux, beaucoup mieux:
«Je me suis enfoncée dans les entrailles du métro, sans me retourner, (…)
… je me demandai si je te reverrais un jour. Je me demandai si je devais te revoir. (…) pas fiable, pas confiance, pas pareil, pas d’avenir, pas facile, pas trop vite, pas besoin, pas d’mon’monde, pas pratique, pas envie et, de pas en pas, je faillis me convaincre qu’y avait pas d’raison d’ s’en faire puisque le pas était aussi infranchissable que la mer rouge et qu’il suffisait d’attendre sans bouger qu’il ne se passe… rien… et que ça ne se passe… pas…
(…) je bénéficiai d’un wind setdown qui vint faire émerger une étroite et toute petite bande de pourquoi pas au milieu de l’abîme des pas sans pourquoi.
Je n’ai que ça à t’offrir, ce tout petit pourquoi pas, fragile et précieux. Mais je te l'offre de tout mon cœur.
G.» (Texte et typo d’origine)
Vachement plus efficace qu’une émoji d’adieu dans un SMS
À Chartres, Tom dépliait son clic clac pour la nuit quand le pigeon voyageur Gmail délivra son message. Autant dire que ses ruminations mentales furent moins maussades cette nuit là et suivantes.
A Paris, le protocole de communication s’était à peine ébauché entre ces deux chats échaudés cependant l’info contenue dans ce message donnait du grain à moudre à ce meunier-tu-dors de Tom!
« pas d’mon’monde… » Bien vu Lulu mais là je peux faire quelques chose pour toi quant à ce « pas pratique… » nous verrons plus tard. Tu ne m’as pas vu sauter dans mon short en trois enjambées au saut du lit et partir courir 5 km avant que ton café refroidisse songea Tom à voix haute.
En compilant cette séquence de hasards Tom conclue avec conviction que cette rencontre était une conspiration de l’univers tout employé à cette organisation omettant quelques peu ce décalage horaire de onze ans. En temps cosmique l’apparition de la vie sur terre était intervenue une seconde avant minuit, il pouvait se montrer magnanime. De ce jour, l’ainée de ce fantasme remplaça le cadet de ses soucis dans l’infini de son ennui
L’urgence commandait donc à Tom d’améliorer ses compétences. Il semblerait qu’elle ait vu, dans le monde de Tom, un potentiel inexistant ou indisponible dans son « pas d’mon’monde ». Paris, un carrosse, des godasses qui tiennent le coup au delà de minuit. Marre des six trouilles de fin des six dernier mois, Tom sentit un souffle « Alors les dieux, les rois, la chance et la victoire … » en direct de l’ami Kipling qui lui redonna un coup de frais. Il lui sembla entendre le cri du cormoran le soir au-dessus des jonques. Ce qui n’est pas un mince exploit quand on dort sur ses deux oreilles au fin fond de la Beauce.
Tout cela était peu compatible avec sa quête de sagesse
Autodidacte, Tom avait développé une mode de fonctionnement inspiré de bouquins. Certain lus trop tôt pour être compris, d’autres trop tard pour être utiles, l’impro était érigée au rang de stratégie. Mais le Petit Robert ne vaut pas Louis-le-Grand
Le hasard était un algorithme en voie de décryptage. Pour Tom c’était une croyance.
Facteur humain, G. échappait à toute modélisation
Tiens qu’est-ce que je disais:
La semaine suivante G. se déplaça apportant deux infos importantes sur le « pas d’mon’monde… ». Elle zappait une réunion familiale pour visiter un quasi inconnu distant de 700 bornes fois 2 en comptant le retour — Tom, même en pleine mythomanie, imaginait difficilement qu’elle vienne s’établir en sa compagnie à Chartres y compris avec un « tout petit pourquoi pas » — et elle roulait dans une bagnole de fonction qui devait coûter le prix d’un studio en province. Le qui suis-je? était à la hausse et le qui est-elle? plein de mystères. Ah les vacances! C’est juste un instant de vacance de l’esprit dans le « juste après » où le Moi profond concède des trucs au Moi social. Une rencontre modifie la trajectoire professionnelle, affective ou autre sinon ce n’est pas une rencontre… et une rencontre asymétrique est une niche quantique. Ainsi que celle de Pandore l'ouverture de la boîte condamne le félin de Mr Schrodinger
G. avait dompté un vieux lion — qui ne demandait que ça — décati, nourrit à la salade depuis trop longtemps sur le point de devenir végan. A la relecture, il serait plus juste de dire qu'une lionne s'était entichée d'un vieux bouc. C’est elle qui avait la main durant ses week-end disponibles. Bordeaux, Annecy, Paris, Tom augmenta dangereusement son empreinte carbone et son découvert bancaire.
A cause ou grâce à ce « pas pratique… » et tant de « pas envie, pas besoin » G. disparue lors d’un trek à l’autre bout du monde. Perplexe Tom n’avait aucune légitimité, ni moyen pour investiguer sur ce mystère —qui n'en était un que pour lui —. Le cerveau aux abonnés absent, le cœur est bien incapable de traiter toutes ces informations contradictoires. Restent les hypothèses sur les codes de communication de l’étage supérieur. Dans le monde de G. sans doute considère-t-on que l’alter aura la faculté de piger par défaut qu’une fonction a changé dans une équation où il a perdu la sienne.
Peu importe! Après ce concerto il convenait d’applaudir debout, abasourdi, le silence d’après, c’est encore du Mozart dit-on. Avec un statut d’ex aussi vertueux, Tom était désormais satellisé sur une orbite stratosphérique. Disparition, rupture du signal se traitent en quatre étapes: déni/rébellion/acceptation/émancipation. Deux pas dans l’absurde, deux autres dans la résilience, le compte est bon. Pour un Tom perplexe le regain coûta le temps d’un hiver rigoureux prés d’un lac avec un aigle noir dans un ciel en province. Emancipé et libre, les moyens se connectent aux ambitions quand un fée un jour d’été embrasse un crapaud. Cette rencontre tardive, inespérée, pas vraiment inattendue — si on fouille un peu — avait sonné comme une alarme incendie dans un Ehpad. Vite Paris, Choisy-le-Roi, Bourre-la-Reine, Jouy-en-Josiane! Au cas où…
Avec une baguette magique, c’est facile! Tom eut ses entrées par la porte de service de la chambre d’une rédactrice d’un éditeur parisien. Chaque être humain dispose à minima, d’un pouvoir concentré sous la ceinture lui permettant d’entrer en contact plus ou moins rapproché avec ses congénères selon la règle assez bien foutue de l’offre et de la demande réduite au Plus Petit Commun Dénominateur
Josiane prenait sa pose clope rue Huyghens, Tom venait d’acheter le dernier — espérons — Amélie Nothomb pour se faire bien voir en déposant le manuscrit de Saint Jean du Gard. Josiane remarqua la mention « emplacement disponible » en lieu et place du nom de l’auteur et, comme elle n’avait à rien à se mettre sous la couette ce soir, elle accepta le café que lui proposait Tom. Thomas B. Dunid avait une confiance absolue depuis la parenthèse G. Tom était plus à l’aise avec les boniches que les princesses. Dans l’espace propice à la confidence, grâce à la compatibilité des épidermes de Josiane et Tom, ce dernier écouta attentivement post câlin, la description de sa fonction chez Alb’mich’
— J’ai lu ton manuscrit c’est pas mal, prétentieux mais pas mal
Faste soirée. Je suis vidé de la cave au grenier et je vais être édité pense Tom — plus que jamais — tombé du nid
— Bon, tu ne seras pas publié mais …
— Comment ça?
— Redescend! Sais-tu ce qu’est un bouquin?
— Chais pas, un truc avec des mots qui font des phrases qui racontent une histoire, une fabrique d’image, une usine à rêves, un instant mytho…
— Mouais, je vois pourquoi tu baises avec des pincettes. T’es un romantique
Tom capta rétrospectivement une raison possible de la coupure du signal avec G. — « quand tu commences à bander de travers, c’est le final count down » —.
— C’est ça! Bon, je vais y aller moi, j’ai mon canasson garé en double file
— Et caractériel en plus! Montre moi ce que tu sais faire avec ta langue puisque t’es tout mou et j’t’explique
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— T’écris correctement sans plus mais t’es personne. « J’ai lu le dernier de PPDA, j’ai adorééééé!» Tu piges? T’es pas bankébeul! Imagine un dîner en ville où l’on s’exclamerait: « J’ai lu le dernier Tom B. Dunid, j’ai adoréééé! » Ce n’est pas un talent que l’on publie, c’est une marque. T’as vu qui on a dans le box?
Le catalogue a de la gueule en effet! Pendant qu’elle nettoyait les écuries d’Augias dans sa tête Tom a trouvé la machine expresso
— Café?
— Oui! Quand j’ai vu ton « emplacement disponible » j’ai cru que tu savais…
— Que je savais quoi?
— T’es juste con en fait. Tu crois qu’il a le temps d’écrire Machin? Nan, y a des rédacteurs. Bien sûr, il y a des auteurs mais ça coûte une blinde en pub. Je dis pas qu’il n’y a pas de coup de temps en temps…
Elle buta sur le mot « coup »
— Dis donc, tu sais pas faire le café, non plus!
Pourtant Josiane redemanda du rab de plume à Tom. La solitude de la quinquagénaire parisienne qui n’a pas accès à la chirurgie esthétique est dramatique.
Tom s'est entiché de son langage cash, cynique — un poil vulgaire — beaucoup plus riche d’enseignement que la flagornerie des simulatrices. Elle posait des mots sans fioritures sur ceux qu’il écrivait avec des enluminures. Commerce équitable, elle modérait ses hyperboles, il lui fit un meilleur café. A double titre, la plume payait et Tom sorti du confinement mieux nanti qu’il y était entré
Version intégrale cf Comique out novembre 1