La passion de Dodin Bouffant, le film de Tran Anh Hung

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Par chance il me restait une portion … de pot-au-feu et j’ai pu satisfaire ma fringale en rentrant du cinéma. La passion de Dodin Bouffant ne m’a pas … passionnée, hélas.
Je ne comprends pas que ce film ait reçu le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes. J’ai vu un documentaire, d’ailleurs bien fait, et je pourrais énumérer chacun des ustensiles, plats de cuisson (comme la si caractéristique turbotière en cuivre que j’avais vue chez Mauviel 1830, qui reste la seule entreprise française encore capable de produire aujourd’hui) ou de service (je me suis réjouie de voir à l’honneur un cul noir comme celui dont j’ai hérité de ma mère et qui est en photo ci-contre) avec de bons, voire très bons acteurs (en particulier évidemment Juliette Binoche et Benoit Magimel), mais pas un film.
On ne pourra pas dire que le duo n’est pas crédible. Juliette et Benoit furent considérés, il y a presque 25 ans, comme formant un couple magnifique. Ils étaient alors Georges et Alfred de Musset dans Les enfants du siècle de Diane Kurys (1999). Ils ont eu une fille, Hannah (née en 1999), mais ils se sont séparés en 2003. 

Ce qui est formidable, je le reconnais bien volontiers, c’est que pour une fois le tablier de la cuisinière ne sort pas du pressing. Ses mains sont en action et il faut admettre qu’elle s’y connait, au moins a minima. 


Mais quelle torture de voir tous ces plats nous passer sous le nez. J’espère que le jury des Oscars sera magnifiquement masochiste sinon c’est la statuette qui va passer sous le nez du réalisateur qui avoue volontiers ne pas savoir cuisiner. Si le contraire avait été vrai il n’aurait sans doute pas choisi d’adapter l’historie d’un cuisinier qui n’a jamais existé. C’est un personnage fictif, imaginé par l’historien Marcel Rouff en s’inspirant d’authentiques grands noms de la gastronomie française comme Brillat-Savarin, at qui a écrit le roman "La vie et la passion de Dodin Bouffant, gourmet",

La trame de l’histoire n’est d’ailleurs pas respectée car la cuisinière Eugénie disparait dès le premier chapitre, et est remplacée par une paysanne que le metteur en scène ne fait apparaitre que dans le dernier tiers du film, de manière à développer la relation amoureuse entre Dodin et Eugénie. C’est ce qu’on appelle en cuisine, une revisite.

Comble de l’affaire, je n’ai pas glané le moindre conseil culinaire. Pierre Gagnaire que je respecte infiniment, et qui a sans doute été un excellent auxiliaire sur le film, fait une apparition grotesque. On lui fait lire un menu, engoncé dans un ridicule costume de pâtissier et coiffé de la toque de Maurice Carême. Il ne fait aucun doute qu’il n’a aucun talent pour la lecture, et encore moins pour le métier d’acteur. Si encore il avait été devant un fourneau on aurait compris.
Bref, je me suis royalement ennuyée, pressée d’arriver au bout de ces ripailles qui me soulevaient le coeur. Lorsque la caméra a fait deux fois (oui deux fois, pulvérisant le record de Claude Lelouch) le tour de l’immense cuisine seigneuriale j’ai su que j’allais enfin être autorisée à me lever de table, malheureuse qu'au long de ces 2 heures 15 de belles images je n’ai pas ressenti l’émotion qui m’avait gagnée avec L’odeur de la papaye verte, du même réalisateur Tran Anh Hung.
Le comité de sélection des films présentés aux Oscars a écarté deux longs-métrages exceptionnels, Le Règne animal et Anatomie d’une chute, croyant sûrement donner davantage sa chance à la France avec cette Passion qui en rappelle une autre, celle d’une femme dans Le festin de Babette qui reçut l’Oscar du meilleur film étranger en 1987. Mais celui-là avait un scénario … écrit d’après une nouvelle de Karen Blixen.
Je me suis retenue de quitter la salle au moment de la scène de "dégustation" des ortolans, dont on ne voit pas les convives s’empiffrer, sans doute parce que Pierre Gagnaire a fait une mise en garde de l’interdiction de consommer ces oiseaux protégés. Je connais des chefs qui servent ce mets délicat dans le plus grand secret aux grands de ce monde, soit-disant garants du respect des lois.
Vous retiendrez malgré tout cette affirmation juste du cuisinier jouant au pédagogue : il faut de la culture, de la mémoire pour que le goût se forme. Je dirais qu’il faut surtout goûter et regoûter, suivant la recommandation que j’ai entendue d’un autre chef étoilé, Guy Martin, propriétaire du grand Véfour, il faut avoir gouté au moins seize fois avant d’affirmer qu’on n’aime pas (tel ou tel produit). 
Pour ceux qui voudraient une recette de pot-au-feu réaliste (car celui du chef étoilé exige une tranche de foie gras frais) suivez le lien. Et pour les autres, qui ont pu être choqué par mon emploi du terme de cul noir, il désigne un plat de service épais et par conséquent lourd, dont le fonds est recouvert d'un émail brun foncé obtenu grâce à l'oxyde de manganèse choisi pour la robustesse qu'il procure à la pièce mais aussi pour la modicité de son prix.L’aspect de cette faïence est généralement grossier parce qu’on utilise de l’argile d'un blanc grisâtre qui se craquelle. Quant à la décoration, elle est souvent naïve, réduite à l’essentiel pour connoter un univers campagnard et humble, ce qui confère un charme rustique à ce plat qui s’accorde très bien avec un pot-au-feu.
La passion de Dodin Bouffant de Tran Anh HungAvec Juliette Binoche, Benoît Magimel, Pierre Gagnaire …D'après le roman de Marcel Rouff, paru en 1924, La Vie et la Passion de Dodin-Bouffant, gourmet, aux éditions Menu FretinEn salles le 8 novembre