Depuis les premières esquisses d'une contrainte d'ouverture de leurs données, les institutions financières, qui craignent plus que tout l'émergence d'une éventuelle concurrence de la part des géants du web, s'indignent du déséquilibre qu'elles subiraient en raison de l'absence d'une obligation équivalente pour eux. Le régulateur britannique lance une consultation afin d'objectiver ces jérémiades.
Naturellement, sur le papier, les récriminations des entreprises soumises à ces exigences paraissent légitimes : pourquoi devraient-elles offrir sur un plateau les informations extrêmement riches qu'elles détiennent sur leurs clients à des compétiteurs en germe (parfois bien avancés) qui possèdent eux-mêmes une visibilité approfondie sur leurs activités quotidiennes sans être soumis à des règles similaires ? Mais, à la réflexion, sont-elles vraiment justifiées ou ne s'agit-il que d'un écran de fumée ?
La FCA veut donc entendre les arguments des uns et des autres avant de former un avis définitif, qui, je suppose, aboutirait le cas échéant à des mesures compensatoires. Finies les accusations faciles et sans preuves, les premières intéressées vont devoir démontrer en quoi l'asymétrie des données qu'elles dénoncent procure un avantage déloyal à leurs bêtes noires, susceptible de leur assurer un pouvoir démesuré sur le marché. L'exercice risque de s'avérer plus complexe que prévu pour les plaignantes.
Après tout, rien ne confirme jusqu'à maintenant, à travers leurs (nombreuses) premières initiatives dans le champ financier, que les acteurs visés trouvent un bénéfice particulier à l'exploitation des opportunités de la banque ouverte (surtout par rapport à d'autres usagers) : leurs propres ressources suffisent apparemment à leurs besoins, ce que leurs adversaires tendent à valider indirectement en affirmant qu'elles valent d'être mises à leur disposition (c'est tout l'objet de leur requête… du moins en façade).
L'autorité ne se laisse d'ailleurs pas abuser puisqu'elle demande aux établissements du secteur, avec une touche de perfidie, d'expliquer comment l'accès aux informations des plates-formes de la « Big Tech », s'il leur était accordé, les aiderait à délivrer un meilleur service. Encore ne s'aventure-t-elle pas sur le terrain de leur capacité réelle à mettre en œuvre les exemples qu'ils citeraient, qu'il faut pourtant relativiser au vu des immenses progrès restant à accomplir dans le traitement des données internes.
Par ailleurs, la question de fond n'est pas non plus abordée dans cet appel à contribution alors que, même si ce n'est pas le lieu, elle conduit à en remettre en cause les prémices. En effet, la réduction du sujet à l'asymétrie des données est probablement une erreur, car elle n'est qu'un corollaire inévitable d'une asymétrie de rôles : sur le périmètre considéré, les banques sont médiatrices de transactions tandis que les firmes dites technologiques fournissent des services finaux. La nature des informations manipulées n'est donc pas la même et les règles qui les régissent ne peuvent être identiques.
À l'aube de l'extension (certes encore lointaine) dans l'Union Européenne des exigences d'ouverture apportées par la DSP2 (dont les grands groupes se sont largement plaints… et n'ont toujours pas réussi à tirer parti, laissant le champ libre à toutes sortes d'acteurs plus agiles et plus visionnaires), la démarche entamée outre-Atlantique vaudra d'être suivie. En tous cas, et quels qu'en soient les résultats et les conséquences, elle mériterait d'inspirer les régulateurs du continent (et d'ailleurs dans le monde).