de Pauline Hillier
Roman - 170 pages
Editions La Manufacture des livres - février 2023
Une jeune femme débute une aventure qu'elle n'a pas souhaitée : suite à une manifestation des Femen elle est arrêtée et conduite à la prison pour femmes de Tunis, La Manouba. Débutent alors l'immersion dans une cellule du pavillon D qu'elle partage avec vingt-huit codétenues, les regards absents ou méfiants ou menaçants, la crasse des lieux qu'il faut sans cesse nettoyer, l'organisation militaire convenue, la brutalité des fouilles, la faim, les gestes de survie et la débrouille, et l'horreur des trajets en fourgon vers le tribunal. Ne parlant pas l'arabe, beaucoup de choses lui échappent. Cependant, alors qu'elle révèlera son petit talent de lectrice des lignes de la main, c'est aussi beaucoup de tendresse, d'entraide, de sororité qu'elle lira dans les gestes de celles qui l'entourent.
Pauline Hillier a réellement été incarcérée à la Manouba à Tunis. De cette expérience elle a écrit ce roman où elle rend hommage à toutes ces femmes co-détenues, comme un hommage féministe à celles que l'injustice, le désespoir, le crime, n'a pas fait perdre le sens de la sororité. Au fil des chapitres, ses rapprochements avec les filles sont autant de prétexte pour nous livrer des récits de vie, des parcours de femmes voleuses, tueuses dont la légitime défense ne peut pas être retenue, mères sans nouvelles de leur enfant, victimes d'erreurs judiciaires, victimes de la violence du patriarcat ou reniées par des maris qui, alors que leur libération est en leur pouvoir, ne bouge pas le petit doigt.
Extrait :
"Plusieurs heures s’écoulent sans que personne ne m’adresse plus la parole ni ne vienne me chercher. Ce n’est qu’en fin de journée qu’un rayon de soleil apparaît. C’est Hafida qui s’approche de mon lit. Hafida est douce, parle lentement et sourit beaucoup. Elle se présente et me dit avant toute chose de ne pas m’inquiéter. Soit mon anxiété se lit sur mon visage, soit toutes les prisonnières ont besoin d’entendre les mêmes mots à leur arrivée. Hafida dit : ici personne ne te fera de mal, on est comme une famille. Je pense : une famille sacrément matriarcale. Hafida dit : tu as eu de la chance d’atterrir ici, ailleurs c’est pire, tu peux dormir tranquille. Je pense : c’est quoi pire enfin ? Il ne lui faut pas beaucoup de temps pour amadouer la guenon marginale. Elle a dans la voix ce qu’il faut de calme et de chaleur. Je balaye à nouveau la pièce des yeux, et c’est un autre tableau qui apparaît. Redessiné par la voix tranquille d’Hafida."
Parfois la forme du récit un peu trop construit ou imagé me semblait en contradiction avec l'urgence du récit ou la détresse des situations. Mais j'ai surtout été happée par ce quotidien cruel et humain. Un récit puissant, une voix de femme qui a précieusement gardé Les contemplations de Victor Hugo pendant que se déroulait sous ses yeux des vies à l'ombre, celles de ses Contemplées.
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