Le spectacle est une
grande fresque musicale qui est organisée de manière chronologique. Ce choix de mise en scène facilite la progression en se voulant historique même si parfois on devine quelques tentatives d’analyse.Sur ce point, il me semble que la soirée aurait gagné en densité avec une dramaturgie qui aurait fait office d’analyse de la condition noire et de la manière dont la musique a participé à son émancipation. Elle aurait aussi permis d’instiller un peu de suspens. Une fois qu’on a compris qu’on va avancer dans le temps l’arrivée de chaque séquence ne présente pas de surprise puisqu’on connait l’évolution historique.
Néanmoins les danseurs sont exceptionnels et il faut complimenter les concepteurs des chorégraphies ainsi que les interprètes. La centaine de costumes et les accessoires ajoutent une dimension réaliste qui situe immédiatement la scène dans sa période de référence. Quant aux lumières elles sont également superbes avec des pinceaux qui dessinent des espaces précis. L’énergie de la troupe est remarquable et leur incursion parmi le public a déchainé les applaudissements. A plusieurs reprises leur dynamisme a entrainé les spectateurs à se lever et à danser, à chanter aussi et c’était très joyeux. Pour toutes ces raisons il a bien mérité leTrophée 2023 de la revue ou du spectacle musical et le Trophée 2023 du collectif de spectacle musical.Il ne faut pas pour autant oublier le propos. Certes la musique afro-américaine est rythmée et enlevée mais elle s’appuie sur des faits qui sont très souvent tragiques, comme l’esclavage, les atrocités du Ku Klux Klan, l’application rigide et inhumaine de la ségrégation, la lutte pour les droits civiques, le rôle de Rosa Park, d’Angela Davis, de Malcom X, de Martin Luther King (dont il est bon d’entendre la propre voix s’élever pour dire qu’il a un rêve), l’assassinat de Kennedy, la bouffée d’espoir qui accompagna l’élection de Barack Obama à la Maison-Blanche … mais comment oublier la succession avec Trump et le racisme systémique américain ?
Certes on voit dans le dernier quart d'heure un groupe de femmes et d’hommes décliner leur profession (avocate, banquier, médecin, assistante sociale, astrophysicienne, patron de restaurant …) et le message est positif mais la condition des Noirs n’est pas brillante aux Etats-Unis, et beaucoup vivent encore dans des ghettos.Si on considère Black Legends uniquement sous l’aspect musical alors par contre on peut dire que le résultat est à la hauteur de nos attentes. Quel plaisir de deviner dès les premières notes les morceaux qu’on aime tant (dommage malgré tout que les intitulés ne s’affichent pas sur un banc-titre) et de réentendre de grands standards comme (impossible de tous les citer) :- Summertime de Gerschwin,- Hit the road Jack de Ray CharlesA noter qu’alternent des morceaux clairement engagés et toujours chargés d'émotion comme- Strange Fruit de Billie Holiday qui paya très cher sa volonté de chanter ce titre écrit à propos des pendaisons de noirs américains, et dont on reconnait la silhouette dès son entrée en scène à la présence du gardénia blanc dans ses cheveux - A Change Is Gonna Come enregistrée le 30 janvier 1964 pour marquer clairement l'engagement de Sam Cooke dans la lutte pour les droits civiques et qui devint rapidement un hymne dans la bataille dans laquelle sont engagés les militants- I Wish I Knew How It Would Feel to Be Free où Nina Simone dénonce le racisme ordinaire- Say It Loud, I'm Black & I'm Proud de James Brown dans un climat post ségrégationniste encore anxiogène- What's Going On du chanteur de soul américain Marvin Gaye où il dénonce l’absurdité de la guerre de Vietnam où les Noirs ont payé un lourd tribut.- No More Drama de Mary J. Blige en 2001 qui parle des drames familiaux de la violence que connaît (aussi) la communauté noire des femmes. L’interprétation qui nous en est faite sur scène est bouleversante.Comme ils nous donnent envie de danser !- Minnie the Moocher de Cab Calloway, un des artistes du Cotton Club- Crazy In Love et son Uh oh, uh oh, uh oh, oh, no, no de la chanteuse américaine de RnB contemporain Beyoncé avec la participation du rappeur américain Jay-Z en 2003- Purple rain, phénoménal coup d'envoi de la carrière internationale de PrinceEt comme ces titres conservent leur énergie et ou leur fraicheur :- Think d'Aretha Franklin, reine de la soul, dans une démonstration de danse incroyable- Proud Mary d'Ike & Tina Turner- Free créé par Stevie Wonder en 1987En une heure trente qui passent à toute vitesse et une quarantaine de tableaux, c’est presque un siècle de la musique afro-américaine qui a défilé sous nos yeux et dans nos oreilles. La standing ovation est largement méritée.Et souvenons-nous que l'esclavage considérait l'homme comme un animal, voire même moins puisque c'était une marchandise "meuble" dont on pouvait venir assister en famille à la pendaison comme on aurait été à un spectacle. Rappelons-nous que lorsqu'ils furent égaux, noirs et blancs restèrent séparés. Reconnaissons que Black is Beautiful. Applaudissons à cet hommage à la musique noire américaine, qui est aussi un hymne à l'amour et à la différence.Black Legends Le Musical
Création et mise en scène : Valéry RodriguezChorégraphies : Thomas Bimai ; Directeur musical et claviériste : Christophe JamboisCostumier Créateur : Sami Bedioui Avec Chanteur.se.s, doublures et alternants : : Anandha Seethanen, Barry Johnson, Virginie Hombel, Guillaume Ethève, Khady Ba, AmalyaChanteur.ses. et danseur.se.s : Mômô Bellance, Cynthia M’Pouma, William Saint-Val, Keh Mey Sebeloue, Christian Schummer, Thomas Garcia Alejo Biig Thom, Key, Léa Lounda, Louxy, NevedyaDanseur.se.s : William Alberi, Presher Blue, Charice-CanelleMusiciens : Alex Poyet, Aurélien Meunier, Gérald Grandman, Christophe Borilla, Jean-François BourassinDu jeudi 5 octobre jusqu’au 8 janvier 2024 à 16, 18, 21 ou 21 h 30Au 13ème Art - Centre Commercial Italie Deux - 30 place d'Italie, 75013 Paris - 01 48 28 53 53